Ayant observé et disséqué les produits structurés et autres placements à formule depuis leur apparition dans les années 1990, je connais leurs caractéristiques et les litiges de masse consécutifs aux balivernes de leurs méthodes de vente.
Alors qu’Hedios a perdu tous ses procès bâillons contre Deontofi.com concernant ses produits structurés Gammes H, le débat auquel m’acculait ce vendeur de placements à promesses était une occasion d’expliquer devant la justice les raisons pour lesquelles, la plupart de ces placements, sont trompeurs et toxiques.
Malgré les déceptions, tromperies et litiges, les autorités financières françaises sont plutôt bienveillantes envers les produits structurés, depuis des décennies.
Cette bienveillance des autorités avec les banques qu’elles supervisent, s’explique en partie par la proximité de leurs dirigeants, comme le patron du gendarme des bancassureurs (ACPR), ancien dirigeant de BNP Paribas, ou la patronne du gendarme boursier (AMF), ancienne directrice de la Fédération Bancaire Française, lobby du secteur.
Voici ce que j’ai dit aux magistrats de la Cour d’appel de Paris, à l’audience du 10 novembre 2022 au Palais de Justice, île de la Cité (extraits édités pour une meilleure lecture et compréhension).
La Cour : Pouvez-vous expliquer les conditions dans lesquelles vous avez été amené à créer le site Deontofi.com, et les raisons de votre article ?
Gilles Pouzin : Je vous remercie, cela fait un peu plus de 30 ans que je suis journaliste dont près de 15 ans rédacteur en chef du magazine Le Revenu, que j’ai quitté en 2013, pour des raisons liées aux difficultés d’aborder un certain nombre de sujets dans un organe de presse n’ayant malheureusement pas la chance de l’indépendance que j’ai, compte tenu de ses charges salariales, de ses actionnaires, de ses annonceurs publicitaires.
En 2019, il y a eu cette affaire où, après s’être fourvoyé dans l’escroquerie aux panneaux solaires de DomTomDéfisc, Hedios s’est repositionné sur les produits structurés. Alors les produits structurés c’est un roman (…). En résumé, ce sont des placements à promesses : on vous promet un gain certain, sauf si… Toute l’ambiguïté de finance comportementale, dans ce type de promesses, est que le cerveau est attiré par la certitude, et fait l’impasse sur l’aléa. Donc on vous promet du « sûr » sauf si… Et généralement, c’est plutôt le « sauf si » qui se réalise. Donc on n’a pas le « sûr ».
La Cour : Vous pouvez donner un exemple ?
Gilles Pouzin : Oui bien sûr… par exemple, on va vous promettre, c’est les produits à la mode en ce moment : « si l’indice CAC 40 est au même niveau dans un an, vous aurez gagné 6% ». C’est bien, c’est un gain certain si l’indice CAC40 ne baisse pas. Et s’il baisse, vous aurez une protection, en plus c’est sécurisant : « vous aurez une protection jusqu’à 20% de baisse, si l’indice CAC40 ne baisse pas de plus de 20% à l’échéance ». Oui, parce que quand même, au bout d’un an, si le CAC40 est au dessus du niveau de départ, on vous donne les 6% et on vous rend votre capital. S’il est en dessous du niveau de départ, on repart pour un an, et puis on verra l’année prochaine, et ainsi de suite jusqu’à l’échéance du produit qui est généralement de 8 à 12 ans. Plus les taux d’intérêts étaient bas, plus il fallait rallonger les échéances.
Ce type de produit est malheureusement constitué de beaucoup de failles, par rapport à d’autres produits financiers, déjà dans leur compréhension. Ils étaient au départ considérés comme des produits classiques, et à force de discussion, de signalements à l’autorité des marchés financiers (AMF), au tournant des années 2010, ils les ont quand même classés en produits « complexes ».
Dans une récente consultation de l’European Securities Market Authority (ESMA), le gendarme boursier Européen considère aussi qu’il y a beaucoup de zones d’ombres dans ces produits. La cartographie des risques de l’autorité des marchés financiers présentée à l’été 2022 commence à comprendre aussi qu’il y a beaucoup plus de risques et d’opacité et de problèmes avec ces produits, qu’avec leurs cousins qu’ils imitent, qui sont les fonds à formules.
Parce que ces produits, on peut les faire sous forme de fonds d’investissements, qui sont réglementés par une directive européenne [ndlr directive Ucits, pour Undertakings for Collective Investment in Transferable Securities] et par toutes sortes de contraintes et contrôles liés à la gestion d’actifs. Ou on peut faire ces « placements à promesses » sous forme de titres financiers. Les produits structurés sont alors vendus sous forme de titres émis par les émetteurs, dits « structureurs », donc les banques qui sont les fournisseurs d’Hedios.
Hedios n’est pas émetteur de produits structurés, il est distributeur. Donc ces banques sont en Europe, dans le classement Européen, Société Générale, Barclays, BNP Paribas, Unicredit et Leonteq. Un Suisse qui a beaucoup d’ennuis en ce moment, puisqu’il est dans une affaire de blanchiment d’argent détectée par le Financial Times, qui se passe malheureusement en France.
Donc les produits structurés, c’est un placement qui est trompeur et source de litiges pour les épargnants. Depuis les années 2000, il y a eu de très nombreux litiges de masse sur ces produits, qui ont commencé par l’affaire Bénéfic, un fond de la banque postale au début des années 2000, qui promettait un gain si la bourse montait, et une protection en cas de baisse de la bourse jusqu’à 23%. Seulement, il y a eu le krach de 2001 et le produit a fait -60%, pas de protection. Les gens à qui on avait fait basculer leur Livret A sur ce produit ont tout perdu. Des centaines de milliers de victimes épargnants et des procès qui ont duré pendant des années, notamment avec le cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni, qui ont finalement eu gain de cause sur la tromperie de ces produits.
Il y a eu dans la foulée, plus de 300 000 personnes qui ont été victimes de déceptions avec les produits Ecureuil Europe 2003, qui étaient du même principe mais à la Caisse d’épargne. Et ensuite, le produit Doublô. Là c’était un peu différent, c’était un produit qui promettait de doubler, et puis qui finalement rapportait zéro.
C’est vraiment un sujet de place et il y a beaucoup de problèmes avec ces produits.
La Cour : C’est par ce point là que vous commencez votre article, en expliquant un peu la présentation de ces produits structurés, et donc vous prenez cet angle d’attaque pour développer ensuite ce qui s’est passé avec la société Hedios ?
Gilles Pouzin : Alors voilà, ce qui s’est passé avec la société Hedios. Je reçois malheureusement trop souvent, des alertes de personnes qui sont témoins, lanceurs d’alertes dans des sociétés, ou victimes de malversations financières liées à l’épargne. Je n’ai pas les moyens et le temps de leur accorder l’investigation nécessaire pour faire le scoop, pour faire l’enquête à la place des autorités financières qui sont bien mieux équipées, à la fois en ressources et en pouvoir d’investigation que je n’ai pas.
Donc, étant très prudent, puisque ma ligne éditoriale est la cible de nombreuses attaques pour m’empêcher de sortir les informations, j’ai à ce sujet 10 procès en 5 ans sur Déontofi.com, évidemment, ils ont tous été perdus par mes poursuivants, puisque c’était des procès baillons du même acabit que ceux auxquels me confronte Hedios.
Je suis extrêmement prudent pour éviter ce type de soucis, puisque, même s’ils ne gagnent pas, moi je perds de l’argent, du temps, des ressources que je n’ai pas. Donc, je suis extrêmement prudent, et cet article est avant tout, ce qui s’est passé, entre guillemets, « la bonne nouvelle » pour l’information, pour la vérité, quand est tombée cette sanction d’Hedios, évoquant un certain nombre d’irrégularités au regard de ses obligations réglementaires, notamment liés à la commercialisation des produits structurés gamme H.
Je désamorce tout de suite l’objection de l’avocat d’Hedios, qui va me dire « la condamnation ne portait pas sur les gamme H. » Non, mais les griefs, ce que les gendarmes de la bourse ont trouvé, étaient répréhensibles, et donc, c’est l’objet des commentaires qui sont fait par la Commission des sanctions de l’AMF, indépendante du collège poursuivant dans cette affaire.
La commission des sanctions de l’AMF nous explique à travers cette sanction de mai 2019, absolument tout ce qui s’est passé.
Pour désamorcer un autre grief que j’entends souvent dans ces procès bâillons qui espèrent se faire de la publicité en s’estimant victimes de complots médiatiques : non, Hedios ne m’intéresse pas. C’est du menu fretin, c’est vraiment des sous couches de distributeurs, par rapport justement à ce qui se passe chez les émetteurs. Donc non, je n’ai aucun intérêt pour Hedios en particulier, sinon de surveiller d’un œil les procès bâillons et les bâtons dans les roues qu’ils veulent me mettre. Donc la décision est sortie en mai 2019, et le temps que je trouve un quart d’heure pour m’occuper d’eux, je fais cet article, je crois, 7 mois plus tard, … en décembre.
La Cour : Donc vous prenez comme point principal cette sanction de l’AMF avec 50 000 Euros d’amende, c’est ça ?
Gilles Pouzin : Je ne me souviens pas précisément du montant, qui de toute façon n’est jamais très pertinent dans ce type d’affaire, puisque vous savez, moi je les entends à la Commission des sanctions (de l’AMF) : « s’il vous plait, on paiera tout ce que vous voulez mais anonymisez ». Le plus grand coût pour ces sociétés, c’est qu’on sache qui fait quoi. Payer n’est pas un problème, compte tenu de ce que rapportent les contournements des règles. C’est un peu comme les pétroliers qui dégazent dans la mer, l’amende est toujours inférieure à ce qu’ils gagnent en contournant les règles.
Ce n’est pas un problème d’argent, c’est un problème d’image. Effectivement, il y a leur nom dessus et plus que leur nom : il y a le communiqué de l’autorité des marchés financiers (…).
L’AMF, Autorité des Marchés Financiers, est une autorité administrative indépendante, qui fait ses enquêtes, sa supervision et sa régulation. De l’autre côté, elle travaille de concert avec la Commission des sanctions des marchés financiers, qui elle, rend des décisions de justice relevant des juridictions administratives, puisqu’elles sont contestées devant le Conseil d’Etat.
Ce qui était intéressant dans cette affaire, c’était que la décision de la Commission des sanctions montrait tous les débats et les contorsionnismes auxquels avait pu se livrer Hedios, pour essayer de se faufiler dans les interstices de la réglementation, afin de fourguer ses structurés sans prendre trop de risques vis-à-vis du défaut de conseil, ou des mauvais conseils qui ne pouvaient être que liés à ses produits, puisque je ne vois pas vraiment comment ils peuvent être bien conseillés, personnellement ; ça, c’est un jugement de valeur évidemment. Et puis aussi parce que ça dédouane d’un certain nombre d’obligations légales, quand on dit « je ne suis pas conseillé », plutôt que d’assumer être conseillé.
Tout le contorsionnisme pour se faufiler dans les réglementations et occulter un certain nombre de points importants pour les épargnants, auquel s’était livré Hedios, est très bien raconté dans cette décision de la Commission des sanctions. Ensuite, cela fait partie de mon travail de journaliste grand public, j’aime beaucoup le slogan de Radio France International, qui fait un « Journal en français facile », un français que tout le monde peut comprendre. Et mon travail, mon obsession c’est ça : traduire en français facile toutes ces choses fumeuses, sophistiquées, auxquelles personne ne comprends rien. C’est fait exprès que personne n’y comprenne rien, parce que c’est la meilleure façon de pouvoir abuser du consentement des gens.
Donc, je vois cette décision passionnante, je vois qu’elle est mise sous le projecteur de la communication par l’Autorité des marchés financiers, qui est l’expression du collège de l’AMF, c’est-à-dire le poursuivant, le responsable de l’enquête, et l’émetteur des griefs. Et je me dis que je vais raconter tout simplement ce qui se passe, ce que les gendarmes ont découvert, ce que la justice boursière a jugé, la façon dont l’autorité l’a mis en valeur dans son communiqué, et tout ça en français facile, pédagogique, étape par étape, pour essayer de comprendre ce qui se passe réellement dans la vente des produits structurés, à travers l’exemple d’Hedios. Ça aurait pu être à travers d’autres exemples comme je le fais souvent sur Deontifi.com, il y a beaucoup d’articles.
Une sanction par exemple, puisque je m’intéresse aux grands systèmes de fraudes et blanchiment qu’a été révélé le Financial Times sur Leonteq, Leonteq qui est en France, sur lequel il y a des procès. J’ai fait des commentaires de l’affaire Leonteq d’une part. Et d’autre part, j’ai fait des commentaires de sanction de l’AMF contre des conseils en gestion de patrimoine (CGP), c’est-à-dire des CIF [Conseils en investissement financier], un peu comme Hedios, mais même plus de 3ème zone, de 18ème zone dans des villes de province où ils ont 10 clients, épinglés pour la vente de produits structurés Leonteq.
Donc à ce moment là, je prends cette décision et je raconte, sans aucune inimitié contre le pauvre CGP qui a vendu ça, qui généralement n’y comprend rien. Ce sont des bons vendeurs mais ils ne savent vraiment pas ce qu’ils vendent, pour expliquer l’enjeu de ces produits.
La Cour : Dans l’article, vous présentez les produits, puis vous en venez à l’avis de l’Autorité des marchés financiers, enfin l’avertissement et la sanction, et là vous mettez « Hedios ne respectait pas les réglementations protectrices des épargnants, ses méthodes de ventes sont ainsi épinglées par l’autorité financière notamment pour avoir omis d’informer correctement ses clients et prospects en infraction et vous citez les textes ».
Gilles Pouzin : Absolument, je cite les extraits de la décision de sanction citant elle-même les textes réglementaires que l’AMF a mis dans sa sanction.
La Cour : Et vous rajoutez : « et plus encore pour leur avoir présenté « des informations inexactes présentant un défaut de clarté ou trompeuses concernant les risques relatifs au ENTM », dont on comprends que c’est Euro Medium Term Notes », il va falloir quand même quelques explications…
Gilles Pouzin : Bien sûr, comme je vous l’ai expliqué, j’essaye de préserver mes lecteurs, soit qui n’ont pas connaissance de ce vocabulaire, soit qui de temps en temps, apprécient de lire les choses techniques en français facile. J’essaie de les préserver du jargon juridique. Il se peut qu’à plusieurs passages, j’aie fait la traduction en français facile, de ce qu’expliquait l’AMF, mais sans jamais travestir les propos et le séquençage des arguments qui sont dans la sanction.
Eveil réglementaire ?
Dix-neuf mois après cette intervention devant la Cour d’appel de Paris, Deontofi.com se félicite de lire dans le communiqué du 12/6/2024 du Pôle Commun AMF-ACPR, à l’occasion de la présentation de son rapport annuel 2023 :
« en 2024, les autorités ont mis en place un groupe de travail visant à cartographier le marché des produits structurés, commercialisés en France auprès du grand public au travers des assurances-vie ou en comptes-titres. L’objectif principal est d’affiner davantage leur connaissance de ce marché en réalisant un état des lieux des encours, des modes de commercialisation et des dynamiques en présence ».
communiqué du 12/6/2024 du Pôle Commun AMF-ACPR
S’il reste peu probable, à ce stade, que les épargnants français soient mieux protégés contre les tromperies des produits structurés, la mise en place de ce groupe de travail indique au moins que les autorités de supervision des services financiers semblent prendre conscience de l’ampleur des cachotteries de l’industrie des produits structurés, et de ses distributeurs, notamment assureurs, concernant l’opacité et les tours de bonneteau possibles dans la conception comme dans le commissionnement de ces placements.
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