Que Leonteq soit inconnu du grand public, au moins de ceux ayant esquivé ses placements perdants, tant mieux ! Mais serait-il aussi peu connu des professionnels de la finance ? Serait-ce la raison pour laquelle le FT ne l’a pas nommé dans le titre de l’article épinglant ses pratiques ?

En français: « Des lanceurs d’alerte accusent Ernst & Young de blanchir des transactions suspectes chez un client fidèle », titrait le FT du 10 octobre 2022. En V.O. : « Whistleblowers accuse EY of whitewashing suspicious trades at longstanding client”.

Le fidèle client d’EY, pour qui les transactions suspectes ont été blanchies, c’est Leonteq, apprend-on juste en dessous, dans le chapeau de l’article : « Deux transactions effectuées pour une société coopérative et un versement mystérieux de 120 000 € sont au cœur du conflit interne chez Leonteq » (« Two trades created for a workers co-op and a mystery €120,000 payment are central to internal row at Leonteq », en V.O.).

Résumons ce que révèle le Financial Times.

ID Formation, un organisme de formation professionnelle à structure coopérative, domicilié à Lille, a un peu de trésorerie à placer (pas des millions).

En mars 2021, ID Formation souscrit deux placements structurés à formule de Leonteq, pour un montant de 750 000 euros chacun, soit 1,5 million d’euros en tout, par l’intermédiaire du cabinet Eurocap Finance, son conseiller financier de proximité, aussi basé à Lille, qui passe lui-même par i-Kapital, un courtier parisien familier dans la distribution de produits Leonteq en France.

Entre le souscripteur, ID Formation, et le vendeur émetteur des placements structurés, Leonteq, les deux intermédiaires assurent n’avoir touché aucune commission sur ces deux souscriptions.

8% de commissions, payées offshore aux Caraïbes

« Quelqu’un a cependant été payé, assure le FT. Leonteq a envoyé 120 000 € à l’étranger, soit l’équivalent d’une commission de 8 % sur les deux transactions, à une société des îles Vierges britanniques appelée Ladoga Capital, qui était en relation avec l’équipe de vente de Leonteq au Moyen-Orient ».

Le FT révèle ensuite toute une pelote d’embrouillaminis en cascade, expliquant comment cette affaire a été étouffée par Leonteq avec l’aide du cabinet EY. Les deux sociétés ont des affinités de longue date, plusieurs cadres de Leonteq ayant précédemment travaillé pour le cabinet de conseil et d’audit Ernst & Young.

D’abord, quelqu’un chez Leonteq a découvert ces versements suspects. Comme tout mouvement d’argent d’origine ou de destination suspecte, Leonteq aurait dû signaler ces paiements vers Ladoga BVI à Tracfin, le service de lutte anti-blanchiment français rattaché au ministère des finances à Bercy.

Mais certains n’étaient pas d’accord. « En octobre 2021, la dispute interne sur ce qu’il fallait faire et sur la profondeur de l’enquête a été portée à la connaissance du conseil d’administration de Leonteq dans un courriel qui alléguait que certaines parties de l’organisation avaient résisté à un examen approfondi de plusieurs transactions suspectes, dont les deux pour ID Formation, afin de protéger un vendeur très performant à Dubaï et d’éviter des conclusions qui montreraient un « échec complet de notre cadre juridique et de conformité » », raconte le FT.

Soupçon étouffé, intermédiaire liquidé

Plutôt qu’effectuer simplement une déclaration de soupçon, Leonteq a donc préféré diligenter une grande enquête d’auto-innocentement menée tambour battant par EY, qui, par souci de discrétion et protection du secret des affaires, ne semble avoir effectué aucune vérification contradictoire auprès du souscripteur final du placement, à l’origine de cette affaire de commissions occultes

On apprend même comment les blanchisseurs ont fait disparaître un des intermédiaires suspects, pour effacer leurs traces : « Ladoga a été placé en liquidation volontaire par un liquidateur panaméen en août (ndlr 2022), explique le quotidien britannique, après que le FT ait contacté d’autres parties aux transactions suspectes présumées. Elle n’a pas pu être jointe pour un commentaire ».

Résultat, circulez y a rien à voir :  « dans un mémo daté du 20 janvier (2022), Leonteq compliance a conclu que le dépôt d’une déclaration de soupçon liée aux deux transactions n’était « pas jugé nécessaire ». EY a approuvé cette conclusion dans un « rapport d’enjeu » daté du 15 février 2022, même s’il n’avait pas établi qui avait vendu les titres à ID Formation et comment il l’avait fait ».

Dans la foulée de l’article du FT, Leonteq a publié un communiqué de déni (à lire ici sur son site) à la hauteur des droits de réponse qu’il avait adressés à des journaux ayant publié mes articles sur eux. En gros, la version de Leonteq est qu’ils respectent tout bien, puisqu’ils vous le disent et qu’EY a vérifié.

En résumé, c’est la parole de Leonteq et EY contre celle du Financial Times et son journaliste. « You are Fake News ! » aurait hurlé Trump tout rouge de colère.

Leonteq contre le tombeur de Wirecard

Seulement voilà, le confrère du FT auteur des révélations sur Leonteq n’est pas un débutant. Il s’appelle Dan Mc Crum, et le Financial Times s’est montré capable de défendre ses investigations, dans des situations rocambolesques de contre-espionnage et d’accusations calomnieuses, tenant face à la police allemande et aux autorités financières, manipulées par des escrocs.

C’était il y a trois ans, entre janvier 2019 et l’été 2020, quand Dan Mc Crum et le Financial Times avaient mis à jour la méga-fraude Wirecard, start-up de paiements allemande, gonflée aux fausses transactions et blanchiment mafieux, défendue bec et ongle par l’establishment allemand, au point d’accuser notre confrère, et sa collègue Stefania Palma, de manipulation de cours au service des méchants vendeurs à découvert. Pathétique, mais effrayant.

Wirecard était une fraude. La boîte gonflée jusqu’à 24 milliards de valorisation boursière en 2018, au firmament de l’indice DAX des 30 vedettes germaniques, avant de s’écraser à zéro. Son président, Markus Braun, en prison. Son DG, Jan Marsalek, en fuite, vaguement de mèche avec des espions russes du FSB ex-KGB, aurait été vu à Moscou.

L’enquête et la ténacité de Dan Mc Crum avaient finalement été couronnées par le prix 2020 pour la presse, de la fondation Ludwig Erhard, créée en 1967 par l’ex-chancelier allemand éponyme. Ne manquez pas le documentaire époustouflant de Netflix sur cette enquête : « Skandal! La chute de Wirecard »

L’article du FT soulève bien des questions et mérite qu’on s’attarde plus en détail sur ce mystère Leonteq, aux ramifications inextricables et rebondissements inattendus.

Car avec Leonteq, vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.

Retrouvez ici toute la saga Leonteq sur Deontofi.com :

  1. Leonteq flashé par le FT, une saga des structurés
  2. Que lit-on sur Leonteq dans le Financial Times ?
  3. Ernst & Young et les audits serviables
  4. Des structurés perdants de Leonteq (EMTN)
  5. Au cœur de Leonteq, une conformité foutraque
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