Dans la torpeur de l’été, un après-midi de juillet, mon téléphone sonne. Le numéro qui s’affiche m’est inconnu mais commence par un indicatif étranger. +35 315 134 204. Dans le doute, je décroche. Si c’était un confrère journaliste, ou un client potentiel ? Non. J’entends un brouhaha de centre d’appel. Un jeune homme avec un fort accent germanique m’explique en anglais qu’il s’appelle Benjamin Goldfin (nageoire d’or en français, est-ce un pseudo ?). Il prétend appeler de Zurich, en Suisse, et travailler pour la société Trade Twenty Four (Trade24), qui forme des experts pour apprendre aux particuliers à investir sur le Forex, le marché des changes (foreign exchange = marché des devises). Ah bon ? Voilà qui est intéressant.
Je saute sur l’occasion et allume l’enregistreur de mon téléphone, en lui faisant répéter sa tirade. Nous avons une conversation assez surréaliste et néanmoins amusante, car Ben n’a pas compris que je connaissais ce sujet mieux que lui. Le jeune Goldfin m’interroge sur mes connaissances du Forex, mais je lui réponds en le questionnant sur le but et le contexte de son appel.
Pourquoi m’appelez-vous ? Que voulez-vous ? Que vendez-vous ? Why are you calling me, what do you want, what do you sell ?
Ben se démène comme un diable, pour tenter de me faire rentrer dans ses cases. Je le fais un peu tourner en rond mais il ne se décourage pas.
Nous allons vous apprendre le Forex, comment ça marche, le social trading. Nous avons différentes plateformes. Nous aidons les gens à investir. Nous ne touchons pas l’argent. Disons que vous investissez 100 euros. Le dollar baisse. Vous vendez des dollars, pour 100 euros, et vous encaissez des gains, juste comme le font les banques, mais vous le faites vous-même.
Hum, hum… C’est mignon ! (That’s cute ! je lui dis)
Au bout de neuf minutes je finis par lui faire dévoiler son jeu : il fait du démarchage téléphonique auprès de prospects tirés au sort, pour vérifier leurs connaissances du Forex avant de les passer à un de leurs experts, susceptible de leur faire ouvrir un compte pour spéculer sur les devises. En résumé, c’est un courtier qui vend un service de trading sur devises, bien qu’il n’en soit pas très sûr.
Après dix minutes de ce petit jeu exploratoire, Ben Goldfin, soulagé, peut enfin me mettre en contact avec un de ses « senior » (supérieur), à qui il résume mon profil. Nouvelle tranche de rigolade en perspective !
Hello Gilles ? Good afternoon ! C’est Nathan Matthews au téléphone, senior account executive à Trade Twenty Four, comment ça roule mon pote ! Le ton est donné (How is thing today buddy ?).
Je le calme tout de suite, c’est moi qui pose les questions.
J’ai mal entendu, vous pouvez épeler votre nom à nouveau ?
Il épèle N.A.T.H.A.N M.A.T.H.E.A.W.S. Si ce n’est pas un pseudo c’est en tout cas très pratique pour se fondre dans l’anonymat. Il y a 127 Nathan Matthews sur le réseau social professionnel Linkedin, aucun avec son orthographe. Combien de senior account executives à Trade24 ? Officiellement aucun. Nathan est un fake, bien sûr. C’est le Forex !
Gilles, enchanté de te rencontrer pour commencer ! Very nice to meet you, first of all, me lance Nathan avec un accent moyen-oriental collant parfaitement avec le personnage que j’imagine au bout du fil : un bonimenteur bling-bling et mythomane toujours bronzé, prêt à vendre sa mère si ce n’est déjà fait, et à se vanter de tout et n’importe quoi pour faire gober son arnaque à des épargnants naïfs mais flattés.
J’entends un bip, c’est quoi ce bruit ? S’inquiète Nathan. C’est un dispositif de surveillance, je lui dis. Vous êtes au travail maintenant ? Je suis toujours au travail, pas vous ? Toujours au travail ? Hein. Maintenant, parlez-moi du bip, je ne comprends pas.
Si vous êtes courtier, vos conversations doivent être obligatoirement surveillées.
Nathan commence à s’agacer.
Vous enregistrez notre conversation, oui ou non ? Vous l’enregistrez bien vous-même, n’est-ce pas ? Non, non, je vous demande si vous enregistrez, vous. Je vous pose une question simple, vous ne me répondez pas. Vous devez savoir que… NON, NON. Répondez, je vous pose une question simple. Vous ne me répondez pas et je commence à m’énerver.
I’m getting nervous. Rrrrrooorroaaaeehhhh… Le trader perd son sang froid. (minute 13’07 » de l’enregistrement)
Je le relance. Si vous enregistrez, quel est le problème, vous devez enregistrer n’est-ce pas ? Bien sûr que j’enregistre cette conversation, admet Nathan, mais vous, vous enregistrez ou non ? Répondez. Pourquoi vous ne m’avez pas dit que vous m’enregistrez, je lui demande. Parce que vous ne m’avez pas laissé l’opportunité de commencer à vous parler (il est gonflé). Mais si, vous avez parlé le premier. Vous m’avez même dit que vous étiez heureux de me rencontrer, bien que je ne me souvienne pas que nous nous soyons rencontrés.
OK, maintenant vous allez prétendre être plus rusé que moi ? (OK. Now you’re gonna pretend to be more clever than me ! @13’35 » on the tape).
Nathan s’énerve. Pour une fois que ce n’est pas lui qui prend les gens pour des imbéciles, mais un prospect qui le prend à son propre jeu de dupe !
Ça ne va pas marcher. Je le sens. Je sens que vous simulez, et je n’aime pas ça ! (It’s not gonna happen. I feel it. I feel that you’re pretending and I don’t like it ! tape@14’07 »)
Quelle est votre problème alors ? (What is your issue then ?).
OK c’est bien. Qu’est-ce qui est bien ? Non ce n’est pas bien. Si c’est bien que vous essayiez de comprendre que vous n’êtes pas complètement en conformité avec les réglementations du courtage et que vous vous en rendiez compte.
J’essaye de lui expliquer qu’il s’énerve car il sait qu’il fraude, le trader raccroche sans dire au revoir.
Toute proposition de trading Forex est une arnaque ! Les lecteurs de Deontofi.com le savent bien. Depuis 2013, le site de la déontologie financière a été le premier média a dénoncer catégoriquement et sans réserve les arnaques au trading Forex, qu’elles soient « légales » ou totalement frauduleuses.
Dans 99% des cas, les intermédiaires en trading Forex promettant des gains faciles sont des vitrines d’entreprises factices, arborant parfois un faux-nez de légalité en brandissant un agrément de l’autorité boursière chypriote leur permettant d’opérer en France grâce au passeport européen. Quant aux autres, ceux disons à peu près mieux régulés, une étude du gendarme boursier (Autorité des marchés financiers) a montré qu’ils plumaient autant leurs clients. Certains comme FXCM, grand annonceur publicitaire de médias sérieux, a même été interdit aux Etats-Unis début 2017.
En France, la lutte contre la publicité et le démarchage illicites pour les arnaques au trading Forex a été renforcée par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 (lire ci-dessous).
Pourtant ça continue ! Pour mémoire, la publicité par voie électronique pour le trading a enfin été interdite par l’article 75 de la Loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 créant l’Article L222-16-1 du Code de la consommation qui dispose que :
ATTENTION, en cas de perte sur le trading Forex ou les livrets diamants vous ne pourrez pas récupérer votre argent car il s’agit d’escroquerie depuis l’étranger.
Deontofi.com recommande, comme le gendarme boursier, de n’accorder aucune confiance aux promesses de récupérations de pertes qui sont aussi des arnaques.
Superbe, félicitations
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