Deux ânes pris sur le vif faisant des âneries. (photo © GPouzin)

Deux ânes pris sur le vif faisant des âneries. (photo © GPouzin)

Retour à la Commission des sanctions de l’AMF. Après le renouvellement de ses membres début 2014, et quelques semaines de latence pour reprendre les dossiers en cours, les audiences devant la Commission des sanctions ont repris au printemps. Deontofi.com renoue avec les comptes-rendus de ces procès. L’audience du 11 avril à 9h, présidée par Christophe Soulard, était consacrée à deux délits d’initié sur Ilog et Business Objects. Enquête de Brigitte Poteau, rédaction assistée par Gilles Pouzin.

Mise à jour du 23 octobre 2017:

Revoici nos deux gloden boys devant le juge pour esquiver leur condamnation. Cette fois c’est fichu !

La Cour d’appel a prix acte de la décision du Conseil d’Etat:  Par arrêt du 28 septembre 2017 (n°16/10468), la cour d’appel de Paris a rejeté le recours formé par M. Joseph Raad contre les décisions de la Commission des sanctions des 12 avril et 18 octobre 2013.

Par décision du 6 avril 2016, le Conseil d’Etat a (i) rejeté la requête de M. Charles Rosier, (ii) porté la sanction financière prononcée à l’encontre de M. Charles Rosier à 600 000 euros, (iii) prononcé un blâme à l’encontre de M. Charles Rosier, (iv) enjoint l’AMF de mentionner ces sanctions sur son site Internet, (v) réformé la décision de la Commission des sanctions du 18 octobre 2013 en ce qu’elle a de contraire à sa décision, (vi) rejeté le surplus des conclusions du recours incident du président de l’AMF et (vii) condamné M. Charles Rosier à verser à l’AMF la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Le feuilleton des recours de Charles Rosier et Joseph Raad ici sur le site de l’AMF.

Mise à jour du 16 février 2016 :

Recours formé par M. Charles Rosier devant le Conseil d’Etat contre la décision SAN-2014-07

M. Charles Rosier a formé un recours devant le Conseil d’Etat contre la décision de la Commission des sanctions du 16 mai 2014.

Recours formés par MM. Joseph Raad, Charles Rosier et Thomas Xander devant la Cour d’appel de Paris contre la décision SAN-2014-07

Par arrêt du 15 octobre 2015, la Cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente pour statuer sur le recours formé par M. Charles Rosier et l’a renvoyé à mieux se pourvoir. Elle a ordonné le sursis à statuer sur l’intégralité des demandes formées par M. Joseph Raad ainsi que par M. Thomas Xander dans l’attente de la décision à intervenir du Conseil d’État sur le recours formé par M. Charles Rosier.

L’affiche placardée pour annoncer les cas examinés par les juges boursiers ce vendredi 11 avril, à l’entrée du sas de l’AMF, 17 place de la Bourse, mentionne les noms de deux golden boys déjà connus des lecteurs de Deontofi.com. Joseph Raad et Charles Rosier ont fait parlé d’eux quelques mois plus tôt, puisque nous avions pu les entendre à l’audience du 20 septembre 2013 à propos d’un délit d’initié à 6 millions d’euros, sanctionné quelques semaines plus tard par l’amende record de 14 millions d’euros que leur avait infligé la Commission des sanctions dans sa décision du 18 octobre 2013.

Récidivistes ? En tous cas amateurs de bons tuyaux ! Les deux cousins sont convoqués cette fois pour un délit d’initié réalisé à l’occasion d’une OPA en préparation par le géant américain IBM sur la société de services informatiques Ilog.

Entre le 18 et le 25 juillet 2008, Joseph Raad, trader au Crédit libanais de son état, achète subrepticement 20 000 actions Ilog et 100 000 CFD sur Ilog (contract for difference, c’est-à-dire des produits dérivés permettant d’encaisser des gains sur la variation de cours d’une action sans en être vraiment actionnaire). Quand IBM annonce officiellement son OPA sur Ilog, le 28 juillet, faisant grimper son cours, le jeune golden boy en profite opportunément pour revendre ses titres le lendemain en empochant une coquette plus-value de 334 680 euros.

Coup de chance ou délit d’initié ? Pensez-vous ! En bon trader qui se respecte, Joseph Raad a simplement du flair, du moins va-t-il tenter d’en convaincre les autorités boursières.

Avoir des informateurs bien placés est un véritable atout pour multiplier les « bons coups en Bourse », mais aussi un handicap quand on veut prouver son ignorance d’informations privilégiées auxquelles on prétend n’avoir jamais eu accès. C’est le cas pour Joseph Raad.

Deux initiés récidivistes, connus des lecteurs de Deontofi.com, entendus à l'audience de la Commission des sanctions de l'AMF du 11 avril 2014.

Deux initiés récidivistes, connus des lecteurs de Deontofi.com, entendus à l’audience de la Commission des sanctions de l’AMF du 11 avril 2014.

Comme les lecteurs de Deontofi.com le savent, le trader libanais a un très proche cousin banquier d’affaires chez UBS : Charles Rosier. Ce « managing director debt capital markets » ; selon son titre à la célèbre banque suisse. Or, depuis le 23 juin 2008, les collègues de Charles Rosier à l’UBS travaillent justement pour IBM, en tant que banque conseil, pour l’aider à préparer son OPA sur Ilog.

Joseph Raad s’entend très bien avec son cousin Charles Rosier avec qui il partage autant de liens amicaux que familiaux, mais aussi toutes sortes de belles affaires, comme cette plus-value réalisée ensemble sur des terrains revendus avec une belle culbute immobilière. Sans que l’on en comprenne précisément le cadre légal, on apprend lors des débats à la Commission des sanctions, que Joseph Raad gère aussi l’argent de son cousin Rosier. Maître Yves Schmidt, l’avocat de Joseph Raad explique même en séance « qu’il ne distingue pas les fonds de Charles Rosier des siens », pratique assez originale [NDLR interdite en France] dans la gestion pour compte de tiers.

Au fil de leurs pérégrinations, Charles et Joseph aiment surtout se retrouver chez les uns et les autres. Lundi 14 juillet 2008, Joseph Raad passe ainsi la nuit à Paris, chez la mère de son cousin Charles Rosier, avec qui il a passé le week-end. Ces derniers jours, Pascal Hervé, le collègue de l’UBS travaillant sur l’OPA d’IBM en préparation, cherchait justement à voir Charles Rosier. Se sont-ils parlé de ce projet ? Il n’en reste en tous cas aucune preuve, tout comme il n’y a aucune trace des conversations entre Charles et Joseph quand ils se revoient à Londres la même semaine.

Une seule chose est sûre : à la suite de ces entrevues, Joseph Raad a la conviction qu’Ilog va monter. Dès ce vendredi 18 juillet, avant de revenir à Paris dormir chez la mère de son cousin Charles, Joseph passe depuis Londres ses premiers ordres d’achat sur Ilog, à un prix « supérieur au cours de clôture, ou au plus haut de la veille » selon les précisions données par France Drummond, rapporteur de l’AMF devant la Commission des sanctions.

Renforcé dans ses convictions après un week end de réflexion, Joseph Raad augmente ses paris sur Ilog les mardi 22 et mercredi 23 juillet. Et il met cette fois-ci le paquet ! Ses transactions du 22 juillet représentent 69% des volumes échangés ce jour-là sur le titre Ilog, il est vrai assez peu liquide. C’est justement ce 23 juillet que Charles Rosier reçoit un courriel de son collègue Pascal Hervé relatif à la préparation de l’OPA d’IBM.

Siège de l'Autorité des marchés financiers (AMF), 17 Place de la Bourse, à Paris (photo © GPouzin)

Siège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), 17 Place de la Bourse, à Paris (photo © GPouzin)

Analysant la chronologie de ces événements, l’AMF est convaincue que Charles Rosier détient des informations privilégiées sur le projet d’OPA d’IBM dès le 17 juillet, quand son collègue Pascal Hervé cherche à le voir, et au plus tard le 23 juillet quand il reçoit ce courriel confidentiel adressé aux initiés du dossier. Charles nie bien sûr avoir informé son cousin des informations en sa possession, mais comment expliquer dans ce cas le subit engouement de Joseph pour la PME de services informatiques ?

Le trader libanais a toujours un bon alibi. Dans l’affaire Geodis c’était ses vacances clandestines qui l’avaient coupé du monde. Là, il était trop occupé pour voir son cousin à Londres, et c’est d’ailleurs grâce à une autre source, plaide-t-il, qu’il s’est passionné pour Ilog. Son ami monsieur El Chami lui aurait conseillé de s’intéresser à ce titre lors d’un déjeuner le 8 ou 9 juillet, il ne se souvient plus bien. Joseph Raad s’indigne que l’AMF n’ait pas auditionné ce précieux témoin, qui l’aurait mis sur la piste d’Ilog. Intrigué par cette recommandation, pourtant étayée par aucune information précise, Joseph aurait enquêté dix jours durant sur les perspectives d’Ilog, découvrant qu’elle allait bientôt publier ses comptes [NDLR comme toutes les sociétés cotées à cette période de l’année] et qu’elle faisait en plus l’objet de rumeurs d’un possible rachat, rumeurs dont il ne produit aucune trace et que l’AMF n’a pas retrouvée dans la presse.

Aux innocents les mains pleines ? C’est ce que plaide la défense des cousins : un malheureux faisceau d’indices ne constitue pas la preuve de leur culpabilité. Comme dans l’affaire Geodis, les avocats des golden boys épuisent donc toutes les voies de contestation et de recours contre la procédure et les méthodes d’enquête de l’AMF. Leurs arguties juridiques et procédurales étant à peu près aussi rébarbatives que celles invoquées dans l’affaire Geodis, les lecteurs intéressés sont invités à relire l’article de Deontofi.com sur cette affaire : Deux golden boys accusés d’un délit d’initié à 6 millions d’euros.

Un point de plaidoirie mérite néanmoins réflexion. « L’hypothèse que Joseph Raad ait été informé du projet d’OPA par son cousin Charles Rosier est plausible, confirme en substance son avocat, mais le banquier d’affaires de l’UBS n’étant pas le seul à avoir pu donner l’information au trader, prouvez-nous qu’aucun autre initié n’a pu le renseigner ». En droit, on désigne une telle requête sous le jargon de « charge de la preuve diabolique ». En clair, chacun sait qu’il est bien plus difficile de prouver l’inexistence de faits que leur existence. La jurisprudence a d’ailleurs évolué au regard de telles situations, exonérant par exemple les victimes d’un défaut d’information de prouver qu’elles n’avaient pas reçu l’information leur étant due. Et on imagine bien les difficultés auxquelles serait confrontée la justice répressive, si elle devait prouver l’innocence de tous les suspects plutôt que la culpabilité des accusés vers lesquels mènent les indices les plus probants, par exemple un mobile, un moyen et un profit.

En attendant que les hautes juridictions tranchent ce débat, le collège de l’AMF requiert respectivement 700 000 euros d’amende pour Charles Rosier et 1,675 million pour son cousin Joseph Raad. Verdict attendu avant l’été.

L’audience ne s’arrête pas là, car les enquêteurs de l’AMF ont repéré d’autres délits d’initiés autour de cette affaire, pour le moins étonnants, y compris des infractions découvertes par hasard, qui illustrent le faible risque de sanction de bien des fraudes boursières.
Bourse : les bons tuyaux de la voisine et du collègue de bureau.
Le délit d’initié que l’AMF a failli ne pas voir parmi tant de fraudes impunies.

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