Nouvel article de Marie-Jeanne Pasquette, interview de Colette Neuville, présidente de l’Association des défense des actionnaires minoritaires (Adam), pour Deontofi.com. Alors que l’indice CAC 40 des valeurs françaises a regagné 30% en deux ans, la confiance des actionnaires individuels n’est pas revenue. Si l’arsenal juridique est là pour faire respecter le droit des minoritaires, certains gérants influents sur les marchés n’exercent pas toujours leurs droits de vote dans l’intérêt des épargnants. Ils s’opposent rarement aux dirigeants de sociétés cotées par ailleurs clientes des banques qui les emploient. Tant que les banques françaises exerceront tous les métiers à la fois, leurs gérants de Sicav et fonds seront en situation de conflit d’intérêt lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt des épargnants, explique Colette Neuville, présidente de l’Association des défense des actionnaires minoritaires (Adam).

Des gérants d'OPCVM bancaires qui hésitent à user de la démocratie actionnariale face aux dirigeants de sociétés cotées

Des gérants d’OPCVM (Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières) bancaires qui hésitent à faire usage de la démocratie actionnariale face aux dirigeants de sociétés cotées.

Colette Neuville, présidente de l'Adam défend les minoritaires depuis 1992, elle est intervenue cette année dans les dossiers  Veolia, Vivendi, Alstom et Club Med.

Colette Neuville, présidente de l’Adam défend les minoritaires depuis 1992, elle est intervenue cette année dans les dossiers Veolia, Vivendi, Nexans, Alstom et Club Med.

DéontoFi : Des affaires récentes comme celles d’Alstom ou de Vivendi tendent à écarter encore un peu plus les actionnaires individuels du marché des actions. Comment « Rendre confiance dans la Finance » ? N’est-ce pas le moment de conduire une réflexion plus large sur le droit des minoritaires ?

Colette Neuville : D’une manière générale, la question qui se pose n’est pas celle d’une insuffisance ou d’une inadaptation des droits des minoritaires, mais plutôt celle de leur réticence à utiliser les droits dont ils disposent. On peut dire que l’arsenal est en place pour faire respecter ce droit et la jurisprudence est aussi là quand il y a contestation. Les deux affaires que vous citez mettent en lumière un des rares cas qui échappe à la réglementation, à savoir la procédure à suivre en cas de cession d’un actif essentiel dans une société non contrôlée. Dans le cas d’Alstom, la cession du pôle « Energie » sera soumise à l’approbation d’une assemblée générale, mais ce n’a pas été le cas pour la cession de SFR par Vivendi. La réglementation est muette sur le sujet.

DéontoFi : Cela montre qu’une action n’est pas un produit comme un autre et qu’il n’y a pas de contrat de garantie lorsque la nature de l’entreprise est modifiée. Sur quels fondements repose le droit boursier ?

Colette Neuville : Les relations entre une société et ses actionnaires sont certes encadrées par la loi, mais elles trouvent leur fondement dans le contrat de société : l’actionnaire s’engage à partager les risques de l’entreprise en échange du profit qu’il espère en retirer. Tel investisseur choisit d’investir dans une société plutôt que dans une autre, parce que le profil de rendement et de risque de cette entreprise correspond à ses objectifs. D’où l’importance d’une parfaite transparence de l’information. Mais il peut arriver que la société subisse des changements majeurs qui ne correspondent pas aux objectifs de l’investisseur. Considérant qu’il y a alors « rupture du contrat d’investissement » , le droit boursier prévoit en pareil cas une possibilité de sortie pour les actionnaires qui ne sont pas d’accord. S’ils ne veulent pas rester au capital d’une société dont le profil est radicalement modifié : le cas le plus fréquent est celui du changement de contrôle qui ouvre ainsi droit à une offre de sortie (OPA). Les minoritaires peuvent aussi se voir offrir une sortie lorsque les personnes qui contrôlent la société décident d’un changement de l’objet social, de la cessation de distribution de dividendes, ou encore de la transformation de la société en commandite. L’investisseur a ainsi le choix : soit de rester actionnaire, en adhérant implicitement au « nouveau contrat », soit de récupérer ses billes s’il n’est pas d’accord.

DéontoFi : Avouez qu’il est très difficile de juger quand le contrat d’investissement est rompu. Dans les entreprises où le capital est dispersé à qui s’adresse-t-on pour récupérer son argent ?

Colette Neuville : C’est exactement le problème qui s’est posé chez Vivendi et chez Alstom. Ces sociétés n’ont pas d’actionnaire de contrôle : aucun actionnaire (agissant seul ou de concert) n’y détermine les décisions dans les assemblées générales. Il n’existe donc personne à qui réclamer une sortie en cas de changement majeur, notamment en cas de cession d’un actif essentiel. C’est pourquoi il paraît alors logique de soumettre ces décisions majeures à l’approbation de l’assemblée générale extraordinaire, comme on le fait pour les modifications statutaires. Encore faut-il que les actionnaires intéressés ne participent pas au vote. Mais, si cette règle est respectée, la décision de l’assemblée générale – organe souverain des sociétés – s’impose à tous . La soumission à la loi de la majorité est une règle essentielle au bon fonctionnement des sociétés.

DéontoFi : Certains sujets d’actualité, comme la cession d’actifs essentiels peuvent se baser sur la théorie du contrat d’investissement. Mais que fait-on pour mettre fin au mandat d’un dirigeant reconfirmé dans ses fonctions par son conseil, bien qu’il ait commis des erreurs et perdu la confiance des actionnaires par exemple ?

Colette Neuville : Si le dirigeant a effectivement perdu la confiance des actionnaires, le problème sera vite réglé : la loi prévoit qu’un actionnaire, même s’il ne possède qu’une seule action, peut demander en assemblée générale la révocation du mandat de n’importe quel administrateur, y compris du président. Si cet actionnaire réunit la majorité, il est immédiatement mis fin au mandat de l’administrateur visé. S’il s’agit du président, n’étant plus administrateur, il ne peut plus présider le conseil. C’est bien la démocratie directe qui s’applique alors. Et il faut savoir que la loi met d’autres moyens à la disposition des minoritaires : ainsi des actionnaires qui réunissent une fraction minime du capital (0,5 % dans les grandes sociétés) peuvent déposer des résolutions en assemblée générale. Et s’ils réussissent à convaincre leurs pairs et réunir une majorité, ils peuvent les faire voter et peser sur la stratégie.

DéontoFi : Vous avez usé de ces droits chez Gecina mais, à l’époque, vous n’avez pas réussi à destituer le président Joaquim Riveiro, pourtant dans le viseur de la justice. A d’autres reprises, vous vous êtes heurtée à la difficulté de réunir une majorité de vote pour soutenir une résolution comme chez Altamir. Pourquoi est-ce si difficile de se faire entendre ?

Colette Neuville : C’est souvent le résultat de plusieurs facteurs. Les actionnaires étrangers (principalement anglo-saxons) suivent généralement les recommandations des agences de conseil en vote : or, il est rare que celles-ci prennent directement parti contre un dirigeant. Quant à l’actionnariat français, il est pour l’essentiel entre les mains des banques et des compagnies d’assurances qui sont les plus gros collecteurs d’épargne. Il y a de moins en moins d’actionnaires individuels qui investissent directement en Bourse. Il reste bien sûr certains investisseurs puissants, comme les fonds souverains du Qatar ou de Norvège qui jouent leur rôle d’actionnaire et peuvent peser sur la stratégie. De même que certaines sociétés de gestion indépendantes. Mais elles sont rares. Les choses ont du mal à changer, principalement à cause du choix que nous avons fait en France de privilégier la détention d’actions via la gestion collective des banques et assurances. Le métier de ces gérants d’OPCVM actions est de manager un portefeuille de titres, pas de se comporter en actionnaires. Ils se contentent le plus souvent d’arbitrer tant bien que mal en faveur des entreprises les mieux gérées, sans faire de vagues.

DéontoFi : Si je comprends bien, l’arsenal juridique est là pour protéger les intérêts du minoritaire, même dans les entreprises au capital dispersé. Le manque de volonté des investisseurs à exercer leurs droits d’actionnaire serait donc en cause, à commencer par la nomination d’administrateurs qui défendent vraiment les intérêts des actionnaires.

Colette Neuville : Effectivement, le rôle des administrateurs est très important, or c’est toujours le même problème, l’assemblée n’a pas le choix. On ne lui présente au vote qu’un seul administrateur désigné par le conseil pour chaque siège vacant. Si un actionnaire dépose une résolution pour présenter une seconde candidature à son initiative, et s’il n’a pas négocié de pied ferme et pesé de tout son poids pour obtenir l’accord du conseil avant l’AG, ce dernier se montre généralement défavorable. Et comme les votes en blanc sont exercés dans le sens décidé par le conseil, il y a très peu de chance de faire aboutir la candidature d’un administrateur présenté contre la volonté du conseil. C’est pourquoi la notion d’administrateur indépendant est sujette à caution.

DéontoFi : Pour en revenir au vote des OPCVM (Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières) et autres fonds d’investissement en actions, la loi dit bien qu’ils sont tenus d’exercer leurs droit de vote et ceci, dans l’intérêt exclusif de leurs actionnaires ou porteurs de parts, pourquoi ne sont-ils pas plus actifs ?

Colette Neuville : Il y a évidemment des OPCVM indépendants mais, en France, les rapports entre les gestionnaires d’actifs et les banques sont souvent compliqués. Les sociétés de gestion qui sont dans le giron des banques, sont certes filialisées mais on ne peut pas dire qu’elles soient réellement indépendantes. J’ai pu le constater à plusieurs reprises. A l’occasion d’un recours contre une OPA au début des années 2000, j’avais obtenu le soutien d’un gérant, qui faisait partie d’une grande banque cotée. Quand son PDG l’a appris, il a exigé le retrait du recours. La même chose s’est produite quelques années plus tard dans une autre affaire où j’avais contesté une dérogation d’OPA accordée par l’AMF, avec l’appui d’un gérant de fonds. Le même PDG est intervenu auprès du gérant pour qu’il se retire de la procédure. Le respect de l’actionnaire minoritaire s’arrête là où commencent les intérêts de la banque. Et à partir du moment où nos banques universelles exercent tous les métiers à la fois, de la collecte d’épargne à la banque de financement et d’investissement en passant par la gestion d’actifs et l’analyse financière, on est en plein conflit d’intérêts. Résultat, l’épargnant passe au second plan et finit même par se décourager avec l’impression d’avoir affaire à un marché de dupes.

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