L’écureuil s’affiche. (photo © GPouzin)

Une arnaque de plus, serait-on tenté de dire en écoutant l’histoire désopilante de l’escroquerie Vivalavi. Oui, les arnaques se succèdent et se ressemblent, comme on l’apprend en découvrant cette affaire rocambolesque. Au-delà des manipulations classiques pour berner les pigeons avec de belles histoires, un point commun plus rarement mis en lumière dans les procès d’escroqueries, concerne la responsabilité des banques.

Sans le concours des banques, les grandes arnaques ne seraient pas possibles. Les banques ouvrent des comptes aux escrocs, laissent les escrocs encaisser l’argent de leurs victimes sans vérifier l’origine des fonds, puis laissent les escrocs dilapider les montants détournés sans vérifier la légalité de leur destination. C’est mal, et c’est illégal. C’est condamnable, et trop rarement condamné.

Dans l’escroquerie Vivalavi, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 21 décembre 2021 (RG n°21/01619), revient en détail sur la responsabilité de la banque des escrocs. Sur ce texte de 188 pages, près d’une vingtaine de pages sont consacrées à l’examen détaillé du délit de blanchiment aggravé auquel a participé la Caisse d’Epargne IdF.

Passé ce préambule, de quelle arnaque s’agit-il ?

Vivalavi est un peu le comble de la filouterie, où l’on mélange tous les styles pour tous les goûts : du coaching bien-être à l’investissement immobilier en passant par le conseil financier.

Coaching bien-être, état de faiblesse et

Au terme de péripéties classiques dans l’histoire des escroqueries, les escrocs ont été arrêtés à la suite d’une plainte d’une victime qui s’était fait escamoter 125 000 euros. Tout commence (ou finit) ce 24 juin 2014 :

Elle raconte comment elle s’est faite arnaquer à la suite d’un salon bien-être où elle a rencontré un coach pour changer de vie.

Victime entre 2009 et 2014, elle s’est fait plumer 125 000€ après la rencontre d’un escroc, coach en bien-être pour changer de vie, dans un Salon à Paris

Elle suit une formation à 3 500 euros qui va l’entraîner vers sa perte

« 7 étapes pour accéder à une vie magnifique », formation à 3500€ pour une vingtaine de stagiaires « présentant des fragilités psychologique caractéristiques d’un état de faiblesse »

Les escrocs proposent une panoplie d’embrouilles « coaching – catching »

Dont un stage d’endoctrinement, comme au bon vieux temps du time-share (vente de « semaines » d’hôtel en temps partagé), on soigne les prospects…

Les escrocs autoritaires nieront leurs méthodes de manipulations et pressions : « si vous ne nous écoutez pas, vous ne serez jamais un leader »

Au bout du compte, Vivalavi est bien une pyramide de Ponzi, qui « consiste à inviter des clients à investir dans un projet et à les rémunérer avec l’argent apporté par de nouveaux arrivants »

L’ensemble de l’arnaque a permis aux escrocs d’escamoter 10 millions d’euros aux victimes en France.

Et un peu plus en tout…

Les escrocs ont collecté 13 millions d’euros de plus auprès des victimes que ce qu’ils leur ont reversé en « faux intérêts » dans le cadre de leur pyramide de Ponzi.

Kit de blanchiment vendu sur France Offshore

Ils avaient même « acheté » une panoplie de blanchiment en kit dans la boutique en ligne France Offshore, officine qui prospère sur Internet en dépit de ses condamnations par la justice française.

Deontofi.com avait repéré ce type de prestataires lettons et décrypté leur fonctionnement ici.

Les escrocs n’auraient pas pu détourner l’argent de leurs victimes sans l’aide de leur banque, la Caisse d’Epargne, accusée de blanchiment et condamnée à 4 millions d’euros de caution avant le procès sur le fond, « par arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ».

Alors que la Caisse d’Epargne avait été relaxée en 1ère instance du délit de blanchiment, le procureur avait fait appel de cette décision. L’avocat général (nom du procureur en appel), a requis « l’infirmation du jugement déféré », en ce qu’il a « relaxé la Caisse d’Epargne d’Ile de France du chef de blanchiment aggravé ».

L’avocat général a fait appel du jugement et réclame la condamnation de l’Ecureuil à 3 millions€ d’amende pour blanchiment aggravé.

Oui c’était une escroquerie en bande organisée d’une grande banalité, comme celles que tentent encore de cacher les coupables des arnaques « Epsilon » et « Goldfinger ».

Les lecteurs intéressés auront tout le loisir de découvrir les ressorts de l’escroquerie Vivalavi, exposés en détail à partir de la page 113 de l’arrêt d’appel (p.55 du PDF expurgé des coordonnées de victimes par Deontofi.com)

Page 55 of Vivalavi_Blanchiment_CEidF_RG21-01619_CA_Paris_20211216
Contributed to DocumentCloud by Gilles Pouzin (Deontofi.com) • View document or read text

Comment une banque se rend coupable de blanchiment aggravé ?

La partie intéressante dans cette affaire concerne le rôle spécifique des banques, sans lesquelles aucune escroquerie ne pourrait sérieusement prospérer.

L’arrêt de la Cour d’appel se penche sur « le délit de blanchiment aggravé reproché à la Caisse d’Epargne d’Ile de France » à  partir de la page 129 (p.71 du PDF édité et publié par Deontofi.com). Il y est d’abord rappelé les circonstances de son accusation et de sa relaxe dans le jugement de 1ère instance du 26 février 2021.

Devoir de non immixtion des banques

Amusant de voir les banques justifier leur laxisme anti-blanchiment, avec les arguments opposés de ceux qu’elles mettent en avant dans leur inquisition contre les petits clients ordinaires :

La banque « ne peut se livrer à des investigations qui porteraient une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale », c’est pourtant ce qu’elles font toutes avec leurs petits clients…

Le gendarme des banques, l’ACPR, réclame pourtant plus de justificatifs.

A l’issue d’une inspection, le gendarme des banques n’avait rien trouvé à redire aux dispositifs et procédures de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme (LAB-FT) de l’Ecureuil.

En 2020, l’Ecureuil avait même été la première banque à signaler des fraudes aux aides Covid, à la cellule de lutte anti-blanchiment Tracfin.

Cependant, les avocats des victimes réclament la condamnation de la banque en appel, pour de nombreuses raisons mésestimées en 1ère instance.

Passoire à blanchir

L’Ecureuil a d’abord ignoré ses propres signaux déclenchés par ses « outils, procédures et moyens » concernant de « multiples virements internationaux », ayant fait l’objet d’un « classement systématique des très nombreuses alertes générées par ces outils », « pour des motifs que ses agents savaient être artificiels et inopérants ».

Ensuite, les défenseurs des épargnants escroqués rappellent la jurisprudence de la chambre criminelle de la cour de cassation concernant la responsabilité des banques ayant connaissance de faits de blanchiment, ou ayant l’obligation de les rechercher par leurs contraintes réglementaires.

Jurisprudence criminelle

Arrêt du 7/12/1995 RG n°95-80.888

Les « manquements, négligences ou imprudence manifestes à une obligation (…) sont susceptibles de révéler (…) la connaissance évidente par leur auteur du caractère frauduleux des fonds utilisés ».

Arrêt du 8/4/2010 RG n°09-84.525

« le fondé de pouvoir d’une banque « n’a pu ignorer le caractère frauduleux des fonds (…) n’ayant rien tenté pour en connaître l’origine malgré le fonctionnement atypique de ces comptes et ayant sciemment méconnu les obligations auxquelles il était soumis en vertu de l’article L562-2 du Code monétaire et financier ».

Arrêt du 13/10/2021 RG n°19-87.424

La cour d’appel « pour justifier la condamnation (…) de blanchiment aggravé, retient que les représentants de cette banque (…) avaient délibérément laissé des comptes ouverts en toute conscience de la totale anormalité de leur fonctionnement et de la nature frauduleuse des opérations ».

Pas de maison mère parapluie !

Les avocats des victimes de l’escroquerie rappellent que la Caisse d’Epargne IdF ne peut pas s’exonérer de ses obligations et responsabilités de lutte anti-blanchiment en s’abritant derrière les prérogatives de sa maison mère, le groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne BPCE.

Un conseiller financier ne perçoit pas de fonds !

Les avocats des victimes reprochent aussi à l’Ecureuil de ne pas avoir réagi, alors que la banque savait que son entreprises cliente (Vivalavi France) revendiquait le statut de Conseil en investissement financier (CIF), alors même que ce statut interdit la perception de fonds des épargnants, ou même leur réception transitoire.

L’avocat général réclame aussi la condamnation de l’Ecureuil pour blanchiment aggravé.

Il rappelle « la distinction entre les manquements simples, qui relèvent de l’ACPR, et les manquements qualifiés, qui relèvent du juge pénal ». Ce dernier doit sanctionner « l’auto-blanchiment » opéré par les escrocs, et « les instances qui jouent le rôle de facilitateur de blanchiment », en citant des condamnations récentes de la banque lettone RIETUMU, et d’une banque turque.

La banque savait et a ignoré 52 alertes internes

Parmi les reproches de l’avocat général, l’Ecureuil ne pouvait ignorer l’origine frauduleuse des fonds collectés par Vivalavi, car la banque avait les contrats bien avant d’être interpellée par avocats. Sans démontrer la collusion frauduleuse, une forme de complaisance suffit, les 52 alertes internes classées sans suite « suffisent à établir cette complaisance coupable ».

La Caisse d’Epargne rappelle pour sa défense les 4 arguments plaidant pour sa relaxe en 1ère instance (p.135-137 de l’arrêt, p.77-79 du PDF édité) : 1/ Absence de concours positif (pas vu pas pris), 2/ Absence de manquement à ses obligations de vigilance et de surveillance (l’ACPR n’avait rien vu d’insatisfaisant dans ses procédures) 3/ Nécessité d’établir une violation délibérée de la banque à ses obligations de vigilance, de surveillance, en connaissance de l’origine délictueuse des fonds (NDLR c’est comique, comme si la banque disait « j’avais l’obligation de regarder mais je n’ai pas fermé les yeux délibérément, je me suis juste endormie ») ; enfin 4/ l’absence de responsabilité pénale en l’absence de personnes physiques identifiées comme ayant commis volontairement le délit de blanchiment pour son compte (NDLR, le coup du parapluie : « si le coupable n’est pas quelqu’un, c’est personne »).

Bref, ou plutôt « ceci étant exposé », comme écrivent les magistrats, ces derniers examineront chacun de ces points un par un :

  • les faits de blanchiment de capitaux stricto sensu,
  • les circonstances aggravantes retenues dans la prévention,
  • l’identification de l’organe ayant agi pour le compte de la personne morale.

La lessiveuse blanchissait bien

Premièrement, les juges examinent l’efficacité du dispositif anti-blanchiment dont se vante l’Ecureuil pour sa défense.

Il ressort du contrôle de l’ACPR que le dispositif anti-blanchiment de l’Ecureuil est améliorable. Ses « conclusions d’ordre très général », portent sur le dispositif LAB-FT, et pas sur le suivi des comptes spécifiques de Vivalavi. L’ACPR souligne expressément que « des progrès restent à accomplir, notamment dans la justification d’activité professionnelle », et que « les outils informatiques sont robustes mais insuffisamment intégrés ».

Or, notent ensuite les magistrats, c’est justement le problème de cette affaire : la Caisse d’Epargne peut bien mettre en avant des « alertes informatiques efficaces, mais constitutives de contrôles mécaniques, non suivies des nécessaires approches humaines, expertes et distanciées permettant une approche globale du fonctionnement du compte ».

En résumé, oui l’Ecureuil a un système de détection des comptes suspects plutôt efficace, comme en témoignent les 52 alertes concernant Vivalavi, mais rendu inopérant dans ce cas par un manque de pertinence humaine. Par comparaison, LCL n’avait pas effectué de déclaration de soupçon mais avait fermé les comptes des SCI Vivalavi.

Circonstances aggravantes du métier de banquier

Quand une banque commence à blanchir l’argent collecté par un client escroc, le problème est qu’elle en prend vite l’habitude sans y prendre garde, ce qui donne rapidement une proportion inquiétante à ses facilitations.

« Les facilités procurées par l’exercice de l’activité professionnelle de banquier ont permis à la Caisse d’Epargne de commettre les faits qui lui sont reprochés », résument les juges.

Concernant l’identification de la personne physique représentant la personne morale face à ses responsabilités pénales, c’est évidemment le responsable de la conformité, point névralgique de l’autorégulation financière comme Deontofi.com l’a mis en évidence depuis des années.

L’Ecureuil IdF mérite bien une amende, concluent les juges. Mais comme il n’a pas de casier (l’avantage des caisses régionales par rapport aux banques monolithes), les juges ne lui infligent que 700 000 euros d’amende dont 350 000 avec sursis, près de 10 fois moins que les 3 millions réclamés par le procureur (p.144 de l’arrêt, p.86 du PDF édité).

Condamnation civile solidaire

Si l’amende pénale est allégée, les juges sont en revanche très clairs sur la responsabilité civile de la Caisse d’Epargne vis-à-vis des victimes de l’escroquerie : ils n’auraient pu être escroqués sans le concours du blanchiment bancaire.

Résultat : « le principe n’est pas discuté de la solidarité entre l’auteur du délit support du blanchiment d’une part, et celui du délit de blanchiment d’autre part, quant à l’indemnisation des parties civiles ».

L’Ecureuil tente un ultime argument pour semer ses poursuivants en s’abritant derrière les procès civils en cours, mais les juges lui opposent l’article 5 du CPP : « La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive. Il n’en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile ».

Ne versez jamais d’argent hors de France !

ATTENTION, ce qui va suivre est très important. Bien sûr, il vaut mieux lire Deontofi.com pour éviter le pire avant d’investir. Mais en cas d’escroquerie facilitée par le blanchiment d’une banque, les victimes n’ont aucune chance d’obtenir une quelconque indemnisation de leurs versements effectués à l’étranger, y compris par virement. Seules les banques opérant en France peuvent être condamnées à indemniser les victimes d’escroqueries dont elles auraient malencontreusement blanchi les détournements sur des comptes français.

Ainsi, les victimes de l’escroquerie ne seront partiellement indemnisées par la Caisse d’Epargne que pour les versements effectués en France, sur les comptes Vivalavi auprès de l’Ecureuil, sur la période condamnée, comme vous le lirez dans l’arrêt (p.146 et suivantes, p.88 du PDF édité).

Pour ceux ayant versé de l’argent sur un compte HSBC à Hong Kong, cette somme est déduite de celle que l’Ecureuil doit indemniser.

S’agissant d’une condamnation solidaire, l’Ecureuil ne paiera par ailleurs que la moitié des pertes : « la solidarité au paiement de l’établissement bancaire avec Eric et Franck Girardot sera réduire de 50% » (p.148 de l’arrêt, p.90 du PDF édité par Deontofi.com).

Par sécurité, les juges affectent les 4 millions versés en caution par l’Ecureuil à l’indemnisation des victimes de son blanchiment (p.149).

Sur cet arrêt d’appel de 188 pages, Deontofi.com a effacé les noms et coordonnées de victimes, et retiré les pages exposant exclusivement les victimes. Comme nous l’avons expliqué en commentaire d’autres jugements, les victimes sont exposées à une triple peine lorsque leurs noms sont exposés publiquement. Car en plus d’avoir été volées par des escrocs, leurs victimes sont alors exposées à une forme de réprobation sociale (comme les femmes victimes d’abus), et surtout à un risque accru de nouvelle arnaque, car les fichiers de victimes d’arnaques sont les terrains privilégiés de prospection des escrocs.

Print Friendly, PDF & Email

4 commentaires

    • Gilles Pouzin, le

      Merci cher lecteur pour ces compléments d’information, affaires à suivre donc, et l’occasion d’en reparler plus tard.
      En espérant que cet article vous aura été utile ainsi qu’aux épargnants directement concernés ou non, bonne lecture sur Deontofi.com

    • Maxou, le

      Bonjour, très bon article mais je trouve très étonnant que la sœur, Isabelle G soit passée à travers les mailles du filet ! L’entreprise d’organisation des salons est à son nom… Aujourd’hui elle continue:générer votre premier million ! Incr mais vrai !

Laisser un commentaire