L’ampleur des dénonciations calomnieuses est souvent proportionnelle aux fraudes que des employeurs malhonnêtes veulent dissimuler, comme on l’a entendu à l’audience du 28 janvier 2014, dans le procès en appel pénal des ex-dirigeants d’Altran. Deontofi.com publie cette dernière plaidoirie très détaillée pour un salarié-actionnaire victime de telles méthodes chez Altran, comme dans bien d’autres sociétés, notamment financières.

Des avocats confrontent leurs analyses sur les fraudes des dirigeants d'Altran jugés devant la 11ème chambre criminelle de la Cour d'appel de Paris. (photo © GPouzin)

Des avocats confrontent leurs analyses sur les fraudes des dirigeants d’Altran jugés devant la 11ème chambre criminelle de la Cour d’appel de Paris. (photo © GPouzin)

Plaidoirie orale de Maître Valérie Dahan, substituée à Maître Muriel Pariente du cabinet Hogan Lovels, et en complément de ses conclusions écrites citées par extraits. Deuxième partie (2 sur 2) :

Suite de : L’acharnement judiciaire d’Altran pour désigner de faux coupables…

Les conclusions rédigées de Maître Pariente rappellent l’enchaînement chronologique après l’article du Monde sur les manipulations d’Altran qui font chuter son cours : « Suite à ces révélations et après enquête préliminaire de la brigade financière, une information judiciaire fut ouverte à l’encontre de la société Altran, le 30 janvier 2003, pour diffusion d’informations fausses ou trompeuses, de faux, d’usage de faux et d’abus de biens sociaux. C’est dans ces circonstances que Monsieur K, actionnaire et stock-optionnaire de la société Altran, directement concerné par ces faits, a déposé plainte  contre X avec constitution de partie civile, en date du 22 mars 2004, pour publication par la société Altran de comptes inexacts, faux et usages de faux (Pièce n°11).

Chronologiquement première partie à porter plainte (hormis la société Altran elle-même, qui a cependant fini par être mise en examen le 6 avril 2005), la constitution de partie civile de Monsieur K a été déclarée recevable » malgré un nouveau parcours d’obstacles. »

« Altran va jusque devant la chambre de l’instruction pour faire dire que cette action n’est pas recevable, explique Maître Dahan à l’audience. Finalement elle sera recevable. Tout cela pour vous dire, madame le Président messieurs les conseillers, que les arguments d’Altran consistant à répéter « on ne savait pas », ne tiennent pas à l’examen des faits. Ils étaient acharnés ! »

Au-delà de cet acharnement d’Altran et de ses dirigeants, les conclusions écrites de Maître Pariente pour le cabinet Hogan Lovels dissèquent la raison de cet acharnement : la volonté farouche d’entretenir des diversions pour frauder jusqu’au bout avec l’obsession de dissimuler ces fraudes. « Les délits de faux et d’usage de faux sont prévus et réprimés par l’article 441-1 du Code pénal (…) Dans le cadre des délits de faux et d’usage de faux, l’élément intentionnel a été défini par la jurisprudence comme la conscience de l’altération de la vérité dans un document susceptible d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait susceptible de causer un préjudice (Cass. crim, 24 février 1972, 70-92.605). »

Maître Muriel Pariente rappelle notamment que « l’ancienne direction de la société Altran avait, sur les exercices 2001 et 2002, mis en place tout un système de fausses facturations généralisé pour permettre d’augmenter artificiellement le chiffre d’affaire et les résultats du groupe Altran ». Elle énumère les stratagèmes pointés par le juge d’instruction : la création et la comptabilisation de fausses « factures à établir » (FAE) ne correspondant à aucune prestation réellement engagée, ni même à venir. Ces factures n’étaient d’ailleurs pas adressées aux clients qui en ignoraient l’existence (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 18); la création de fausses pièces censées corroborer les FAE fictives, les noms des commerciaux en inter-contrats étaient utilisés pour justifier «des propositions commerciales faites par les commerciaux d’Altran mais n’ayant jamais abouti». (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 39); l’émission et la comptabilisation de « factures non-causées » de la société Altran à destination de sa filiale Ilyad Value, censées attester de l’achat par cette dernière d’études réalisées par Altran qui ne revêtaient pourtant aucune réalité économique puisque «la consistance des études fournies étaient nulle» (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 19). »

« L’intention frauduleuse ne fait, en l’espèce, aucun doute », martèle encore Maître Muriel Pariente dans ses conclusions, en rappelant « l’existence de directives expresses de l’ancienne direction de la société Altran aux salariés du groupe de manipuler le résultat comptable (…) il ressort ainsi des déclarations de Monsieur Fontana, directeur de la société Altior, que « Altran, par l’intermédiaire de M. Herbert MASSENET, avait demandé à une collaboratrice de gonfler le résultat de quelques millions d’euros» (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 32). De même, qu’à l’occasion de son audition, une responsable administrative de la société Altran, explique également qu’«il [lui] a été demandé à fin décembre [2001] une amélioration d’environ 4M€ et, au 30 juin 2002, une amélioration d’environ 6 M€» (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 39). De façon plus générale, une autre collaboratrice administrative explique très clairement que «si on nous disait il faut un million complémentaire sur telle société, nous passions cette écriture complémentaire (…)» (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 18). »

Coup de grâce concernant la conscience que les fraudeurs avaient de leurs délits, l’avocate rappelle que « l’élément moral des délits de faux et d’usage de faux est d’autant plus caractérisé, qu’au-delà des fausses factures permettant de gonfler fictivement le chiffre d’affaire des sociétés du groupe Altran (…), les faux documents censés les justifier permettaient à leur tour de tromper les commissaires aux comptes ».

Grisée par sa spirale de folie, « La société Altran a ensuite annoncé d’excellents résultats en dissimulant d’importantes cessions de créances, dans un communiqué du 9 avril 2002 faisant état de chiffres lui permettant «non seulement de dépasser toutes les prévisions de résultat malgré les aléas de la conjoncture économique, mais en plus de réaliser son meilleur taux de marge nette des six dernières années» (Pièce n° 13 – Réquisitoire définitif page 53 et Pièce n°16). Or, d’importantes cessions de créances, de l’ordre de 53 M€, n’apparaissaient pas dans les comptes de la société Altran, de telle sorte que son cash-flow était très largement augmenté et diminuait artificiellement ses besoins de fonds de roulement (Pièce n°13 – Réquisitoire définitif page 54 et Pièce n°17). Le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur un marché règlementé est prévu et réprimé aux articles L. 465-1 et suivants du Code Monétaire et Financier, conclut Maître Pariente. Au cas d’espèce, cette infraction est parfaitement caractérisée .»

« Alors on vient prendre des grands airs, reprend Maître Valérie Dahan à l’audience, faisant peut-être allusion aux éclats de voix des avocats de la défense, et aux moues indignées des accusés, lorsque la Cour se lasse de leurs réponses dilatoires. Cela fait sourire, car ils faisaient des choses bien plus graves que celles dont ils se vexent aujourd’hui, pendant qu’ils s’attachaient à faire perdurer leur comportement frauduleux, pour avoir pendant plus de dix ans poursuivi toutes ces procédures (NDLR, d’obstruction à la justice de leurs victimes). Après son départ, mon client n’a plus jamais été capable de retourner dans un de ces grands groupes où il aurait dû gérer le risque de retrouver ce genre de situation, conclut l’avocate avec une gravité sincère. Il a décidé de se mettre à son compte, tant cet épisode a été choquant.

Nous échangeons quelques mots après cette plaidoirie édifiante, car elle témoigne, comme les deux précédentes, d’une tendance extrêmement nuisible à la déontologie financière, que Deontofi.com avait déjà identifiée.

Appel à témoins : Deontofi.com recherche d’autres témoins victimes de représailles pour avoir contesté des irrégularités financières de leur entreprise.

Dans des établissements financiers, banques ou sociétés de gestion, des responsables de conformité sont ainsi pris en otage, entre les pressions pour couvrir les irrégularités à dissimuler, au risque de s’en rendre complices et de se retrouver sur le banc des accusés; et la forte probabilité d’être harcelés, licenciés et calomniés s’ils contestent les irrégularités, avec d’autres procès à la clé. Nous reviendrons sur ces cas précis en temps voulu, de même que nous publierons d’autres témoignages de salariés « lanceurs d’alerte » injustement calomniés par leurs employeurs, dans leurs tentatives de diversion et de dissimulation de leurs fraudes. Vous en connaissez ? Contactez-nous pour en parler !

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