Hasard du calendrier, les dispositifs pour la transparence de la vie publique, annoncés début 2015, détonnent après les cadeaux de Noël d’un sénateur aux banquiers-assureurs. Deontofi.com revient sur le contraste entre les efforts promis pour améliorer la transparence de la vie publique, et deux lois particulièrement scélérates pour les souscripteurs de prêts toxiques et de contrats d’assurance vie trompeurs.
A l’occasion de ses vœux aux «corps constitués», c’est-à-dire les différentes entités publiques représentant l’Etat et les électeurs, le 20 janvier 2015 à l’Elysée, François Hollande est revenu sur le rôle des lobbies, ou groupes de pression, plus sobrement baptisés «représentants d’intérêts» en français officiel. «Pour rendre encore plus claire la confection des lois et des règlements, il faudra un meilleur encadrement des groupes de pression», a déclaré le président dans son discours.
Grâce aux réformes envisagées «Les citoyens sauront qui est intervenu, à quel niveau, auprès des décideurs publics, pour améliorer, corriger, modifier une réforme, et quels ont été les arguments utilisés» a promis le président de la République. Mieux. «Pour aller aussi loin que possible dans cette exemplarité et dans cette transparence, le Premier ministre a demandé à Michel Sapin de préparer un projet de loi pour évoquer aussi la transparence dans la vie économique», a-t-il ajouté. Deontofi.com suivra avec intérêt ce vaste chantier, qui se heurtera aux partisans du secret des affaires et de la dépénalisation de la délinquance en col blanc.
En attendant, cette promesse de mi-mandat fait écho à un retard français pointé par Jean-Louis Nadal, ancien procureur général de la Cour de Cassation et président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dans son «Rapport au Président de la République sur l’exemplarité des responsables publics», destiné à «Renouer la confiance publique». Au sujet des lobbies, il observe que «Bien qu’elles soient aujourd’hui courantes, les relations entre responsables publics et représentants d’intérêts restent marquées par le secret, susceptible d’alimenter l’inquiétude des citoyens quant à la probité de leurs dirigeants. L’idée d’une forme de collusion entre les groupes d’intérêts, qui tenteraient par tous les moyens d’imposer leur intérêt particulier, et les hommes politiques, qui le feraient primer sur l’intérêt général, est largement répandue et contribue à l’érosion de la confiance des citoyens dans leurs institutions.» (p.65). Dans cet ordre d’idées, on a vu la puissance du lobby des banques, dans le sabordage réussi de la fausse loi de séparation des activités bancaires spéculatives.
Si certains responsables politiques, pas toujours dénués d’arrière-pensées, craignent qu’une trop grande transparence n’accroisse encore le discrédit de la classe politique vis-à-vis des citoyens, le président de la HATVP estime au contraire que «la première vertu de la transparence, c’est de dissiper les rumeurs et les fantasmes», selon ses propos cités par le Huffington Post, «Pour en finir un jour avec les brebis galeuses qui alimentent quotidiennement ce sentiment du tous pourris», conclut l’article.
L’amélioration de la transparence de la vie publique pourrait-elle éclairer les citoyens sur la motivation des élus de la République à faire modifier les lois au bénéfice de quelques institutions financières peu scrupuleuses, et aux dépens des consommateurs, emprunteurs ou épargnants ?
Ce serait un progrès. En attendant, revenons sur les cadeaux d’un sénateur zélé dont on comprend bien l’avantage pour les banques et assureurs en infraction avec les réglementations protectrices des emprunteurs et des épargnants en assurance vie. Ces deux lois leur accordent en effet une immunité aussi choquante qu’inespérée.
Coup sur coup, en 2014, le sénateur Jean Germain (PS) a en effet concocté, ou au moins porté deux beaux cadeaux, insérés discrètement dans des lois en préparation et votées depuis, qui rendent un sacré service aux banquiers et assureurs, au détriment des clients, épargnants et contribuables.
De quoi s’agit-il ? Premièrement, de l’amnistie des prêts toxiques qui asphyxient de nombreuses collectivités locales. Le sénateur Jean Germain a été le rapporteur d’une soi-disant «loi de sécurisation des prêts structurés», adoptée le 29 juillet 2014 qui interdit rétroactivement les recours en justice de collectivités piégées par ces prêts trompeurs. Deuxièmement, de l’amnistie des assureurs méprisant leurs obligations d’information vis-à-vis des souscripteurs d’assurance vie opaques. Le sénateur Jean Germain a glissé glissé un amendement, adopté au Sénat le 16 octobre 2014, insérant un article 3bis, devenu l’article 5 de la loi du 30 décembre 2014 portant « diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne», limitant le droit de rétractation des souscripteurs d’assurance vie, jusqu’alors de plein droit tant que les assureurs ne respectaient pas leurs obligations d’information sur les caractéristiques et les risques souvent cachés de ces placements.
On peut se demander à qui profitent vraiment ces deux cadeaux du sénateur Jean Germain, un élu par ailleurs réputé serviable. Peut-être même trop, si l’on en croit les articles sur sa mise en examen pour « complicité passive, prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics« dans une obscure affaire de mariages arrangés quand il était maire de Tours : « Mariages chinois : Jean Germain reste mis en examen ».
Dans le premier cas, on comprend bien que la loi d’amnistie des prêts toxiques, dont il a été le rapporteur, profite surtout à l’Etat-banquier, héritier des bévues de Dexia, aux dépens des contribuables locaux, qui payeront cette absolution par une nouvelle flambée de leur taxe d’habitation. Très impliqué dans cette besogne, le sénateur Jean Germain préside même le Comité national de suivi du fonds de soutien (Cnos) créé par l’Etat pour distribuer quelques subsides aux communes les plus surendettées par les prêts toxiques dont elles devront renoncer à contester la légalité en justice.
Dans le second cas, on voit mal en quoi l’amendement d’amnistie des assureurs méprisant leurs obligations d’information en assurance vie servirait les intérêts de l’Etat. Contrairement à un argument fallacieux de ses défenseurs, cette mesure n’est pas non plus dans l’intérêt des épargnants. Au contraire, en aidant les banquiers-assureurs à esquiver leur responsabilité juridique quand ils ne remplissent pas leurs obligations d’information, l’amendement du sénateur Jean Germain fait peser un risque accru sur l’ensemble des souscripteurs d’assurance vie victimes d’informations trompeuses. Alors à qui profite l’amendement ? Aux banquiers-assureurs, assurément.
Cherchez le mobile, vous trouverez le coupable. Eh oui, ce sont bien les assureurs qui ont concocté ce rabotage de la protection des épargnants, selon l’aveu même de Nicolas Moreau, PDG d’AXA France.
«Les assureurs ont travaillé à une proposition de modification du Code des assurances qui (…) est tenue à la disposition du législateur», écrivait le patron du premier assureur français dans la revue Risques, organe de propagande de la puissante Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), en décembre 2012. Deux ans plus tard, la loi des assureurs est passée comme une lettre à la poste, validée le 31 décembre 2014, avec la complicité du gouvernement qui nous promet aujourd’hui plus de transparence sur la fabrication des lois.
C’est beau la communication politique ! Mais sans doute pas suffisant pour dissiper le soupçon de collusion entre les lobbies et les élus au service d’intérêts particuliers, si l’on continue en coulisse à prendre les électeurs pour des imbéciles, en offrant aux banquiers-assureurs ces cadeaux législatifs pour échapper à la condamnation de leurs infractions.
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