
Décidément, à travers ce procès, on voit mal ce qui ne va pas de travers avec les placements structurés de Leonteq. Tout part en vrille depuis le début. Des contrats flous, des placements interdits, des traductions fausses, des cours inventés, des mandats déguisés en faux fonds dédiés, eux aussi interdits, sans aucune autorisation de gestion, vendus en unités de compte ne respectant pas le Code des assurances, par des assureurs ne vérifiant pas, et ne comprenant pas vraiment, ce qu’ils référencent. C’est tout ? Non, car avec Leonteq, vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.
Au cœur de la manipulation de ses placements structurés en unités de compte, Leonteq s’est en plus livré à un barattage acharné.
Parenthèse vocabulaire. Le barattage est un terme ancien dérivé du verbe baratter, signifiant « Battre la crème du lait dans un récipient spécial (cf. baratte) pour la transformer en beurre », selon notre fidèle CNRTL.fr.
Ce terme de barattage a été retenu pour désigner un mécanisme d’arnaque financière connu en anglais sous le terme de « churning », désignant précisément le fait de baratter, mais aussi « la pratique illégale et contraire à l’éthique d’un courtier consistant à négocier de manière excessive des actifs sur le compte d’un client afin de générer des commissions » (source: https://www.investopedia.com/terms/c/churning.asp)
Ayant participé à l’époque à la commission de terminologie et néologie économique et financière, présidée à sa retraite par Jean Saint-Geours (ex-président de la Commission des opérations de Bourse ancêtre de l’AMF), je suis fier d’avoir contribué à la réhabilitation de ce terme préférable à son équivalent angliciste, publiée au journal officiel il y a 21 ans.
Car l’affaire du bonneteau des produits structurés de Leonteq au sein de ses prétendus « FID » (fonds internes dédiés) n’est ni plus ni moins qu’un barattage, tout ce qu’il y a de plus classique et malsain, comme on le comprend mieux dans les conclusions des victimes.
« les produits structurés, à savoir les EMTN créés par la Société LEONTEQ, étaient d’une telle complexité, que les concluants, de même que la société CARA, ont été égarés par la Société LEONTEQ quant à la réalité et au caractère définitif de leurs pertes, par la mise en place d’une cavalerie de souscription illicite dont la démonstration a été précédemment faite par les pièces produites aux débats », rappelle l’avocat des épargnants, Maître Nicolas Lecoq-Vallon.
Comme il l’explique plus en détail, « les pièces versées par CARA ne sont en rien la marque d’une quelconque connaissance par les concluants de la réalité du caractère définitif de leurs préjudices : Les pièces 7 et 8 auxquelles fait référence la société LEONTEQ sont simplement la marque d’une interrogation des courtiers et non pas des clients eux-mêmes ((source Page 14 des conclusions LEONTEQ du 15/09/2022).
En outre, on s’aperçoit à la lecture de ces pièces que les représentants de la société CARA n’étaient pas eux-mêmes certain d’avoir compris le caractère définitif des pertes ni même des mécanismes appliqués : « …si un client nous demande pourquoi une telle baisse sur son capital placé chez vous, nous sommes incapables de lui apporter des réponses… » (source pièce n°7 de la société CARA)
De même, elle écrivait le 21 septembre 2017 : « je reviens vers vous concernant les dossiers en cours et les solutions possibles que vous devez nous proposer. Il est impératif de venir nous rencontrer dans nos locaux le vendredi 29 septembre afin de détailler l’ensemble des dispositions à prendre pour tous les produits de chaque client… »(source pièce n°8 de la société CARA)
On comprend mieux l’enfumage de ce barattage, en analysant les échanges entre Leonteq et l’intermédiaire ayant distribué ses placements toxiques à ses clients, comme l’explique le rapport MARTIGNAC, p.37 des conclusions des victimes :
B – Vous nous avez transmis une série d’échanges par mail entre Cara et Léonteq.
Nous assistons à une fuite en avant des propositions de produits de Léonteq à Cara pour à la fois percevoir des revenus réguliers et reconstituer les investissements évaporés.
A titre d’exemple :
– Léonteq écrit le 20/05/2015 à Cara concernant Monsieur Moussa Sissoko, de recapitaliser ses pertes dans les meilleures conditions en proposant le produit CH0259325881 en insistant (mise en gras et soulignement du texte suivant) : « soit 500% de performance ».
– Léonteq écrit le 06/10/2017 à Cara concernant le client SCI Clelo, de vendre un produit pour récupérer 87 000 € et de proposer la souscription au produit CH0259325881 en écrivant « Si cette somme est réinvestie à un prix de 60% environ, le nouveau montant sera de 145 000 € ».
– Cara évoque auprès de Léonteq à travers un mail du 25/09/2017 le profil de risque de Monsieur Maxence Ruiz en indiquant : « Le client a besoin de 6 750 € de coupon par trimestre pour rembourser son crédit maison et diversifier comme vous le proposez »
-Léonteq répond à Cara à travers un mail du 03/10/2017 en proposant le produit CH0259325881 et en écrivant : « Il faut injecter 125 K€ afin de garder le même nominal et de générer des coupons de l’ordre de 6 750 € par trimestre et pouvoir recapitaliser sur une base de 450 K€ »
D’autres mails de Léonteq à Cara sur des clients hors procédure confirment cette tendance :
– Mail Léonteq du 27/02/2017 :
« 10 K€ de cash soit environ 150 K€ de nominal »
« 15 K€ de cash soit environ 250 K€ de nominal »
Il est écrit en gras et souligné sur ces 2 propositions : « Dont les consensus sont excellent »
– Mail Léonteq du 14/03/2017 : « La solution la plus opportune »
« Investir 75 K€ soit 375 K€ de nominal ce qui donnera 33 K€ de coupon garantis sur la durée »
« Investir environ 20 K€ de cash soit un remboursement de 100 K€ »
Ainsi, les probabilités de réalisation positive étaient de plus en plus faibles, car les risques de plus en plus importants, ce qui a contribué à amplifier les pertes qui ont absorbé la totalité du capital des clients.
Telles sont les constatations que je devais porter à votre connaissance. Ci-joint en annexe le détail des préjudices » (Pièce n° 46)
En effet, le préjudice des produits structurés toxiques a été amplifié et dissimulé par une manœuvre de barattage, ou « churning », consistant à « faire tourner » le capital des victimes avec une multiplication de souscriptions et revente de produits perdants, au détriment des épargnants, comme on le comprend dans les explications de leur avocat (p.49 des conclusions à l’audience du 29 janvier 2025) :
« D.2 Sur le conflit d’intérêt et la cavalerie
La société LEONTEQ a exploité une situation de conflit d’intérêts, qu’elle a elle-même créée, consistant à ne vendre que des produits émanant exclusivement de son ingénierie comme seules solutions aux besoins de sécurités des clients, puis de recouvrement des pertes générées par les premières souscriptions.
Une multitude de mails versés aux débats atteste du fait que la société LEONTEQ a mis en œuvre un enchaînement effréné de souscriptions et de rachats d’EMTN dans les contrats d’assurance vie et de capitalisation des requérants. (Pièce n° 28)
Les re-souscriptions conseillées par la société LEONTEQ se sont manifestées dès la première année de sa collaboration.
Il s’agissait, selon la présentation de la société LEONTEQ, de couvrir les pertes des premières souscriptions qui s’étaient, d’ores et déjà, avérées désastreuses.
Par exemple, une somme de 2,7 millions d’euros est souscrite sur un EMTN, 200 000 euros de coupons sont versés au client à ce titre.
L’année suivante, le produit a baissé de 30%, la société LEONTEQ conseille alors d’en arbitrer un autre (ce qu’ils appellent des rachats), donc un nouvel EMTN est souscrit pour 2 millions d’euros de capital investi, mais la valeur nominative est toujours de 2,7 millions d’euros ce qui permet de continuer à payer les 200 000 euros de coupons annuels au client et donne l’impression d’avoir couvert la perte.
Les opérations ont ainsi été réalisées avec, en moyenne, trois re-souscriptions successives par client et pour tous les clients.
Les commissions versées à la société LEONTEQ et la Compagnie se référaient aux valeurs nominatives et non pas au capital réellement investi, ce qui lui permettait de percevoir une rémunération maximale, divergente de la réalité économique de l’opération à l’insu des clients qui percevaient des coupons aux montants identiques.
Il s’agissait d’un véritable « roulage » ou d’une « cavalerie », c’est-à-dire une multitude de rachats avant terme des EMTN, tous déficitaires, et de re-souscriptions d’autres EMTN pour rattraper les pertes, à chaque fois à l’initiative et sur les conseils pressants des représentants de la société LEONTEQ. (Pièces n°26 et 27)
Les requérants se sont ainsi trouvés pris dans une spirale infernale de pertes à chaque souscription d’EMTN face à laquelle la société LEONTEQ leur répondait que la seule solution consistait à souscrire un nouvel EMTN qu’elle avait prétendument conçu pour recouvrer les pertes du produit précédent. (Pièces n°26 et 27)
Il est manifeste que les requérants ne peuvent être considérés comme « investisseurs qualifiés » au sens de la loi fédérale suisse. »
En outre, ces produits étaient interdits à la commercialisation dans l’Espace Economique Européen, et donc en France.
Sur ce point, les défenderesses sont particulièrement peu disertes.
La société LEONTEQ confirme que les EMTN LEONTEQ sont distribués en FRANCE.
- « 75. Ainsi qu’il a été rappelé, les produits Leonteq sont distribués en France par des distributeurs professionnels – les « partenaires de distribution » de LEONTEQ SECURITIES – comprenant des cabinets de conseil en gestion de patrimoine intervenant vis-à-vis des investisseurs en tant que CIF et/ou intermédiaires en assurance selon les investissements proposés (investissements en compte titres et/ou placement en assurance vie ou en contrat de capitalisation). »
« LEONTEQ a délibérément fait distribuer par la société CARA, dont le siège social est en France, des EMTN dont elle est la première à savoir qu’elle n’avait pas le droit de les commercialiser en France, tandis qu’elle indique que son « activité est la conception et la distribution de produits financiers dits « structurés » (source Conclusions LEONTEQ du 23.05.2024 page 4)) », martèle Maître Nicolas Lecoq-Vallon.
Mais qui croît encore que Leonteq respecte ses propres écrits ?
Saga Leonteq, saison 2:
- Leonteq pincé en Suisse
- FINMA Leonteq, sur la voie de la vérité
- La sanction FINMA éclaire les procès français
- A / Leonteq et les bancassureurs accusés
- B / Pertes abyssales Leonteq en pagaille
- C / Leonteq, barattage à tous les étages
- Scandales d’assurances-vie Leonteq outre-manche
- Leonteq la Suisse cache son jeu
- Eramet en embusqué
- Leonteq entre sanctions et naufrage
- Vider la caisse avant la casse ?
Saga Leonteq, saison 1:
- Leonteq flashé par le FT, une saga des structurés
- Que lit-on sur Leonteq dans le Financial Times ?
- Ernst & Young et les audits serviables
- Des structurés perdants de Leonteq (EMTN)
- Au cœur de Leonteq, une conformité foutraque
- Fraude Leonteq Eramet, l’omerta française brisée
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- Produits structurés danger : Déontofi alerte la justice !
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