Savez-vous que le Bitcoin s’est déjà séparé en deux Bitcoins ayant des cours différents ?

Les cryptos reposent sur la blockchain, « technologie de gouvernance immature, sans la flexibilité ou la capacité de corriger des erreurs ou des situations imprévues », explique l’ex-conseiller d’Obama professeur à l’Université de Wharton Pennsylvanie, dans son rapport « After the Digital Tornado », publié par Cambridge University Press.

Kevin Werbach, auteur du rapport, en a donné deux illustrations.

  1. D’abord, la « correction » de la blockchain Ethereum pour effacer un piratage de 50 millions, qui a dû briser la blockchain originale et créer une nouvelle blockchain au détriment de l’ancienne reléguée au second rang, détruisant le mythe d’une blockchain inviolable et immuable.
  2. Ensuite, la correction d’un bug de sécurité dans l’une des applis de porte-monnaies les plus réputées, Parity Wallet, créée par un des créateurs des « smart contracts » sur Ethereum, qui a gelé à jamais 280 millions dans des wallets inaccessibles.

La troisième concerne le Bitcoin lui-même, et les dilemmes de ses blockchains (extraits choisis et traduits par Deontofi.com).

The SegWit 2x Battle (2017)

(p.229) Depuis plusieurs années, les principaux développeurs de Bitcoin se livrent à un débat technique controversé sur la manière de faire évoluer le réseau. Bitcoin peut traiter un maximum théorique de sept transactions par seconde, ce qui est des milliers de fois moins que les systèmes centralisés de traitement des paiements. À mesure que le prix du bitcoin augmentait et que l’activité des transactions s’intensifiait, le réseau a commencé à ralentir encore plus. Certains développeurs pensaient que la solution consistait à modifier le protocole pour augmenter la quantité de données traitées dans chaque bloc. Cependant, cela nécessiterait un hard fork (scission forcée).

Il s’agirait de la première étape importante par rapport à l’architecture de base décrite par Satoshi Nakamoto en 2008, à l’origine de la remarquable série d’opérations sécurisées et ininterrompues du réseau Bitcoin. D’autres développeurs ont estimé que différents mécanismes pouvaient relever le défi de l’évolutivité sans modifier le protocole de base, ou qu’une sécurité à toute épreuve était tout simplement plus importante que le traitement d’un plus grand nombre de transactions.

Au printemps 2017, un compromis a été négocié entre les principales sociétés liées à Bitcoin

La première, SegWit (ndlr Segregated Witness), pouvait entrer en vigueur avant un hard fork. Elle permettait de mettre à l’échelle le bitcoin, sans perturber le protocole de base.

Le second composant était un doublement de la taille des blocs, appelé 2x, qui devait être mis en œuvre lors d’un hard fork plus tard dans l’année. La mise en œuvre de SegWit s’est déroulée sans heurts. Cependant, à l’approche de la date du hard fork 2x, la controverse est réapparue.

Les critiques ont qualifié le compromis, connu sous le nom d’accord de New York, d’accord illégitime conclu en coulisse et de prise de contrôle du bitcoin par les entreprises. Et il a commencé à sembler probable que, comme avec Ethereum Classic, certains nœuds du réseau continueraient à miner la chaîne originale, de petite taille, même après la bifurcation. Cela a donné lieu à des spéculations sur la chaîne qui méritait de porter le nom  » Bitcoin  » et son symbole BTC sur les marchés boursiers. Ce hard fork a finalement été abandonné.

La bataille Segwit 2x, contrairement aux deux exemples précédents, n’a privé personne de sa crypto-monnaie. Elle n’a impliqué ni vol ni codage erroné. Pourtant, elle a provoqué un sentiment similaire de crise existentielle sur l’essence du Bitcoin.

L’immuabilité signifie-t-elle qu’il doit être pratiquement impossible de modifier les propriétés de base d’un réseau de blockchain, en plus des enregistrements de transactions qu’il stocke ?

Supprimer l’intervention humaine de chaque engagement au moyen d’un dispositif d’engagement mis en œuvre par un logiciel semble être une bonne chose, mais les logiciels sont également créés par des humains. Ils ne peuvent jamais anticiper totalement les besoins de l’avenir. À un moment donné, il sera nécessaire de faire évoluer le système si l’on veut qu’il reste digne de confiance. Pourtant, le processus d’évolution lui-même ouvre la boîte de Pandore que l’immuabilité était censée refermer.

Les smart contracts ne peuvent pas forcément distinguer les scénarios pour lesquels l’immuabilité a été conçue, de ceux où elle cause des dommages. Il y a deux raisons fondamentales à cela. Les contrats, quelle qu’en soit la conséquence, sont généralement incomplets, c’est-à-dire qu’ils ne spécifient pas précisément les résultats de tous les scénarios possibles. Les smart contracts amplifient cette incomplétude. Ils ne peuvent exprimer leurs termes qu’en codes logiciels pointus, éliminant le pouvoir d’interprétation des juges et des jurys humains. (…)

La forte immuabilité des systèmes de blockchain crée donc des opportunités significatives d’échecs dramatiques qui sapent la confiance au lieu de la cimenter. Comme le conclut Shepsle : « Pour éviter de causer des dommages importants, les solutions basées sur les blockchains doivent faire plus qu’appliquer l’immuabilité ; elles doivent intégrer des régimes de gouvernance pour tempérer ses excès ». (…)

Dans le sillage des controverses de 2016-17, de nouveaux réseaux blockchain de premier plan tels que Tezos, Decred et Dfinity ont vanté leurs mécanismes de gouvernance « on-chain ». Avec ces systèmes, les propositions, telles que l’augmentation de la taille d’un bloc, peuvent être décidées par le vote des détenteurs de jetons, chaque pièce de la crypto-monnaie concernée correspondant à une voix. La volonté de la majorité est automatiquement mise en œuvre sur le réseau blockchain. La gouvernance « en chaîne » est un domaine d’expérimentation prometteur, bien qu’elle soulève une foule de questions.

Par exemple, les détenteurs d’une majorité d’une crypto-monnaies sont-ils toujours ceux qui doivent décider du sort du réseau ? Que se passe-t-il si, comme dans les élections du monde réel, un pourcentage important d’électeurs ne participent pas ou ne comprennent pas bien les enjeux ? Comment ceux qui ont un intérêt direct peuvent-ils manipuler le vote ? Même s’ils sont efficaces, les systèmes de gouvernance « en chaîne » ne sont au mieux qu’un élément de la solution.

Comme tous les scénarios possibles ne peuvent être codés dans des contrats intelligents, toutes les actions de gouvernance souhaitables ne peuvent être codées dans une élection auto-exécutoire. Les mécanismes on-chain ne peuvent pas résoudre complètement le problème de la gouvernance blockchain, parce qu’ils reposent sur la même immuabilité qui la génère.

Pour combler le déficit de gouvernance, les systèmes de blockchain ont besoin d’engagements crédibles qui ne sont pas absolus. Il s’agit d’un concept bien établi. Les structures qui marient la sécurité des engagements crédibles, avec la flexibilité de la gouvernance humaine, sont connues sous le nom d’institutions. (…)

La plupart des institutions, cependant, sont centralisées. Un système judiciaire ou un marché boursier peuvent faciliter des transactions dignes de confiance entre étrangers, mais ces derniers doivent accepter leur autorité. Ce niveau de confiance peut-il être atteint dans un réseau décentralisé ?

Les communautés autour des réseaux blockchain peuvent gouverner efficacement, comme lorsque la Fondation Ethereum a soutenu le hard fork pour annuler le vol de fonds de la DAO. Le processus a été quelque peu chaotique, mais de nombreux intérêts différents au sein de la communauté ont eu l’occasion d’être entendus, plusieurs alternatives ont été soigneusement examinées et, au final, les nœuds du réseau ont voté avec leur logiciel pour adopter ou non le hard fork proposé.

Cependant, cela conduit à une énigme identifiée par Vili Lehdonvirta, sociologue de l’économie à Oxford.

Le problème théorique de la réussite pratique de la blockchain, est qu’il s’agit d’un triomphe de la gouvernance conventionnelle. Des leaders respectés de la communauté débattent des solutions, prennent des avis et convergent vers une solution. Comme le souligne Lehdonvirta, ce processus centré sur l’humain contraste avec la vision d’une blockchain décentralisée et centrée sur la machine.

Si des tiers de confiance établissent les règles de toute façon, alors qui a besoin d’une blockchain ? Lehdonvirta réfute efficacement les affirmations exubérantes selon lesquelles la blockchain représente un « changement de paradigme dans l’idée même d’organisation économique ». Comme l’illustrent des incidents tels que le piratage de la DAO, le bug du portefeuille Parity et la bataille Segwit 2x, un consensus efficace sur des registres distribués immuables, ne résout pas les problèmes difficiles de la gouvernance. D’une certaine manière, il les accentue.

Les adeptes de la décentralisation par la blockchain ressemblent singulièrement aux cyberlibertaires des années 1990. Leur poète officiel, John Perry Barlow, cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, déclarait : « Nous créons un monde où n’importe qui, n’importe où, peut exprimer ses croyances, aussi singulières soient-elles, sans craindre d’être contraint au silence ou à la conformité » John Perry Barlow, A Declaration of the Independence of Cyberspace, Electronic Frontier Foundation (Feb. 8, 1996), https://www.eff.org/cyberspace-independence. Dans ce nouveau monde du cyberespace, ajoutait-il, les gouvernements « n’ont pas le droit moral de nous gouverner et n’ont pas non plus de moyens de coercition que nous ayons de vraies raisons de craindre ».

Nous savons comment cette histoire a tourné. L’Internet a effectivement été une force d’autonomisation radicale. Pourtant, nombreux sont ceux qui sont encore « contraints au silence ou à la conformité » par des gouvernements qui ont trouvé des moyens de surmonter la décentralisation d’Internet (comme la muraille numérique de Chine) et, étonnamment, par les plateformes privées telles que Facebook et Google qui dominent désormais le cyberespace et ses communautés.

Sommaire: Bitcoin, saga d’une grande illusion (intro)
1- Le Bitcoin contre l’argent-dette
2- Bitcoin : l’actif sans passif
3- Cryptomonnaies, potentiel d’utilité réel
4- Bitcoin-dette et crypto-banks
5- Vols, pertes : 3 millions de Bitcoins disparus + 7,8 milliards volés en 2021
6- Faille méconnue de la blockchain: crypto risque surprise
7- Quand les cryptos déraillent : le piratage DAO brise la blockchain Ethereum
8- Les cryptos déraillent: 280 millions piégés par erreur de codage
9- Hardfork : le Bitcoin cherche à quelle blockchain croire
10- Hardfork : 7 bébés Bitcoin et des copies dérivées de l’original
11- Milliards de pertes et désolation au cimetière de Cryptoland

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