Ouf ! Après trois ans d’omerta, l’arnaque d’Eramet par Leonteq intéresse enfin la presse française.
Le rideau de fumée dissimulant les pratiques de Leonteq derrière son inexistence médiatique, s’est dissipé, avec la publication par nos confrères Les Echos, de deux articles révélant ce scandale, mercredi 6 mars 2024.
L’un est titré : « EXCLUSIF Leonteq, le champion suisse des produits structurés, dans le viseur de la justice », tandis que l’autre « Cannabis, cryptos et blanchiment : comment un employé a piégé Eramet », accompagne une enquête sur l’arnaque aux CLN-Rallye de Leonteq, ayant piégé le producteur français de nickel Eramet. On y retrouve tous les ingrédients transpirant déjà à travers le circuit parallèle de vente et de commissionnement off-shore des produits structurés Leonteq vendus en France, en court-circuitant le bureau parisien et les réglementations françaises, notamment au mépris des règles anti-blanchiment.
Depuis 2018, j’étais le seul journaliste en France à évoquer les scandales de Leonteq, vendeur de produits structurés douteux. Leonteq n’avait pas apprécié mes articles, bombardant les journaux qui les publiaient en « droits de réponse » d’une vacuité indignée: incapables de démentir le moindre de mes écrits, par des faits cohérents et précis.
Encore le seul auteur d’articles en français sur Leonteq début 2021, j’étais contacté par une source confidentielle m’alertant de l’affaire Eramet. Cette société cotée en Bourse, ayant l’Etat parmi ses actionnaires, s’était fait refourguer un CLN-Rallye pourri (Casino-Rallye étant déjà en faillite latente), à des conditions honteuses (gains ridicules vu le risque, mais maxi commissions pour les apporteurs), au mépris d’une distribution conforme (pas d’appel d’offre, intermédiaires louches, commissions off-shore).
Bref, une bombe à retardement ! Tic-tac. J’avais un début de preuve, notamment une « capture » du « term sheet », sorte de contrat résumant les caractéristiques d’un produits structuré. Ceux de Leonteq sont particulièrement charabiesques et léonins : tout est fait pour ne rien comprendre et embrouiller les souscripteurs.
Mais il manquait des pièces au puzzle, en particulier la preuve qu’Eramet avait bien souscrit ce fameux CLN-Rallye.
Habitué à subir l’agressivité des pires crapules (c’est aussi à ça qu’on les reconnaît), Deontofi.com avait assez de procès bâillons sur le dos (une dizaine à l’époque, cumulant à 14 en 2024), pour révéler un scandale de plus à ce stade prématuré. J’attendais qu’il mûrisse.
Fin 2021, Eramet ne pouvait plus cacher sa paume. Le champion du Nickel calédonien révélait pudiquement avoir « identifié une fraude financière au sein de sa gestion de trésorerie au siège du Groupe » (…), au préjudice « estimé à ce jour à 45 millions d’euros avant assurances et mise en oeuvre des actions légales », ajoutant « Eramet va porter plainte auprès des autorités pénales », dans son communiqué de presse du 21 décembre 2021.
Mais Eramet ne voulait répondre à aucune question sur son CLN-Rallye de Leonteq, et j’avais frôlé l’incident diplomatique, en évoquant à demi-mot cette affaire sur BFM Business TV en janvier 2022.
La révélation des circuits de blanchiment de Leonteq par le Financial Times, le 10 octobre 2022, avait été un soulagement, mais il n’y figurait aucune mention de l’affaire Eramet. Le rôle de Leonteq dans sa fraude au CLN-Rallye d’Eramet n’a été évoqué par la presse que le 30 avril 2023, par deux consoeurs de l’hebdomadaire économique allemand Wirtschafts Woche (« semaine économique » en allemant, WiWo pour les intimes), sous le titre : Leonteq auf dem Prüfstand, traduit sobrement par « Leonteq au banc d’essai » (traduction Deepl).
On y lisait (toujours selon la traduction automatique) : « Au printemps 2018, la société française de matières premières Eramet a acheté à Leonteq un dérivé de crédit lié au détaillant français Rallye. La valeur du dérivé dépendait de la capacité de paiement de Rallye. Rallye a eu des ennuis dès 2019 et le dérivé a perdu massivement en valeur. Cependant, Eramet n’a déclaré la perte qui en a résulté que deux ans plus tard.
En décembre 2021, l’entreprise a annoncé avoir été escroquée par un employé et avoir ainsi perdu 45 millions d’euros. Eramet a d’abord été trompé sur l’investissement lui-même, puis les pertes subies ont été dissimulées, a déclaré la société. En France, l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière a ouvert une enquête sur la question, comme l’a déclaré un porte-parole interrogé. Que cette autorité s’occupe de l’affaire est significatif. Il se concentre sur les crimes graves, tels que ceux liés au blanchiment d’argent ou au crime organisé ».
Mais personne ne reprenait l’info en France. Aujourd’hui, en 2024, on sait que les produits structurés permettent des combinaisons infinies de placements toxiques, contrairement à ce que plaident certains promoteurs (comme Hedios, marchand de Gammes H, qui a perdu 3 procès contre Deontofi.com à ce sujet, au correctionnel, en appel et en cassation). On sait aussi que Leonteq est un des fournisseurs de produits structurés les plus sulfureux, vu la guirlande de casseroles dans son sillage.
Six mois plus tard, le nouveau média d’investigation économique L’Informé publiait encore une article sur ces produits financiers nauséabonds. Derrière le titre « Casino : un homme d’affaires obtient le remboursement de ses investissements », l’article publié le 24 octobre 2023 ne mentionnait pas directement Leonteq, mais son nom figurait bien dans l’arrêt de Cassation dont cet article rendait compte : « selon le rapport établi par la société Montrachet le 18 janvier 2018, pour l’investissement de la somme de 2 500 000 euros, son conseil a porté sur l’acquisition des produits dénommés Oddo Haut rendement 2025, Keppler Autocall Eurostoxx 50, Leonteq CLN Rallye Janvier 2021, gestion conseillée OPCVM Obligations et gestion conseillée OPCVM Diversifiés, avec la précision suivante quant aux risques de ces propositions : ‘L’ensemble des supports d’investissements présente des risques de pertes partielles ou totales en capital durant la vie de chacun des supports et au terme de certain’. Ce rapport ne contient aucune alerte spécifique sur le risque élevé de perte en capital associé à la souscription de Credit linked notes ».
Après la sortie en France du scandale des CLN-Rallye de Leonteq vendus à Eramet, ce dernier n’a pas davantage répondu à mes questions (par courriel du 22/03/2024, et relances ultérieures ) :
– A quelle assurance Eramet faisait référence dans son CP du 21/12/2021 ?
– Quelle police d’assurance serait susceptible d’indemniser Eramet à hauteur de combien ?
– L’indemnisation serait-elle possible ? Contestée ? En contentieux ? Sur quels motifs ?
– Concernant la mise en oeuvre des actions légales, Eramet a-t-elle engagé une procédure pénale et/ou civile contre Leonteq ?
– Si oui sur quels motifs ? Où en est-elle ? Sinon pourquoi ?
Eramet n’a jamais répondu à ces questions, peut-être parce que notre producteur national de nickel calédonien semble empêtré dans d’autres préoccupations.
En résumé, on en sait un peu plus sur l’affaire des CLN-Rallye de Leonteq fourgués à Eramet, grâce aux articles des Echos dans le sillage du WiWo, et plus encore avec les détails complémentaires de Deontofi.com.
Mais comme vous l’avez lu dans les épisode précédents de cette Saga des structurés : avec Leonteq, vous n’êtes jamais au bout de vos surprises !
Retrouvez ici toute la saga Leonteq sur Deontofi.com :
- Leonteq flashé par le FT, une saga des structurés
- Que lit-on sur Leonteq dans le Financial Times ?
- Ernst & Young et les audits serviables
- Des structurés perdants de Leonteq (EMTN)
- Au cœur de Leonteq, une conformité foutraque
- Fraude Leonteq Eramet, l’omerta française brisée
- Leonteq et le CLN-Rallye pas nickel d’Eramet
- Produits structurés danger : Déontofi alerte la justice !
- Maximum 12,62% ? Décrément à la loupe