Depuis que l’investissement en « private equity », ou actions de start-ups et autres sociétés non cotées en Bourse, s’est popularisé en France grâce à de généreuses incitations fiscales, Deontofi.com a vu défiler un festival incroyable d’arnaques basées sur ce modèle. Entre les vraies sociétés cotées sur alternext (rebaptisé euronext growth) enfumant leurs actionnaires avec une gonflette outrancière, les vraies sociétés non cotées détournant leurs capitaux par des tours de passe-passe, et les sociétés bidons miroirs aux allouettes, on pensait avoir à peu près tout vu.
L’exemple de l’arnaque Airnext, présentée lors de la conférence commune des autorités contre les arnaques, à laquelle participait Deontofi.com le 13/12/2021 au Tribunal Judiciaire de Paris, illustre une nouvelle fois l’imagination sans limite des escrocs pour escamoter les économies des épargnants, comme l’explique Nicolas Barret, 1er vice-procureur chef de section criminalité organisée financière.
Cette procédure visant la société Airnext a l’intérêt d’être assez récente, puisque les faits ont été découverts au cours du second semestre 2021 et qui est à lui seul un excellent résumé de ce que peuvent être les escroqueries telles que présentées à cette conférence.
C’est une escroquerie sans aucun support, quelque chose de très classique, mais qui pour le coup s’inscrit complètement dans la modernité, ce qu’on peut appeler le 2.0 de l’escroquerie.
Tout est dématérialisé. Il n’y a aucun contact. Cela passe par un appel au financement participatif, en tout cas un appel à financement, en vue de la création d’une application qui permet l’achat de billets d’avion, ou de train, en tout cas c’est vendu comme tel. Avec la possibilité, d’une part de payer en crypto-monnaie, et avec l’avantage d’une indemnisation automatique en cas de retard, c’est l’attrait mis en avant de l’application.
Pour que cette application puisse se financer, la société Airnext a lancé une ICO (initial coin offering, ou vente de jetons), qui est en fait une opération de levée de fonds, qui permet l’émission de « tokens » (jetons) moyennant le paiement via une plateforme.
On peut constater que cela renvoie aux usurpations, car on a une usurpation à la fois de l’AMF mais aussi d’organismes privés connus pour leur sérieux, et justement usurpés pour créer un climat de confiance favorable à la levée de fonds.
Cette société procède donc à une ICO, avec une opération de levée de fonds, qui s’est traduite, dès le départ, par un certain nombre de financements qui arrivaient directement sur le site d’Airnext. Face à cela, une coordination très efficace entre l’AMF, l’ACPR et nous, puisqu’il y a eu une mise en garde de l’AMF le 30 septembre, et une saisine du parquet dans les jours suivants, le 4 octobre, déclenchant l’enquête.
Grâce à cette réactivité, la perte a été limitée à 170 000 euros détournés par cette ICO, à hauteur d’autant de victimes concernées par ces 170 000 euros. Mais il était prévu par Airnext sur sa page d’accueil un financement à hauteur de 700 000 euros, donc on a limité le préjudice, avec des investigations en cours. Et puis surtout on a une limitation dans le temps de l’emploi d’un nombre de salariés assez important, et c’est une découverte pour nous, car on a près de 36 salariés débauchés d’autres sociétés, à des postes assez importants, et qu’Airnext avait séduit pour venir travailler chez eux, avec une rémunération soit partielle soit pas encore effective.
Ces personnes se sont retrouvées à travailler plusieurs mois pour Airnext, au final pour monter quelque chose à leur détriment, l’AMF ne s’en était pas rendue compte, et avec un préjudice social atteignant 1 million d’euros, en comptant les salaires et cotisations sociales non versées.
On a une escroquerie classique, à la fois par l’absence de support et l’usurpation, mais totalement moderne par son aspect dématérialisé sur Internet, il n’y a pas d’échanges, et avec le côté séduisant des smart-contracts et crypto-monnaies.
Des escrocs extradés d’Israël et Dubaï
On souhaitait aussi vous faire part d’avancées très notables à deux niveaux, poursuit Nicolas Barret.
Au niveau international, on a des modes opératoires essentiellement à l’étranger. Jusqu’à présent on travaillait beaucoup sur la France et sur l’Europe, où on a un niveau de coopération judiciaire excellent avec nos partenaires européens.
Mais dès qu’on sort d’Europe cela devient beaucoup plus compliqué, et cela nécessitait d’avoir un investissement beaucoup plus présent, notamment avec Israël et Dubaï, où on a un certain nombre d’auteurs d’infractions qui choisissent, sinon d’y trouver refuge, au moins d’y passer un temps.
On a maintenant des retours intéressant avec ces pays qu’on avait nettement moins auparavant. On a depuis 2021 un vrai changement de position, notamment à force de leur montrer les enjeux financiers et humains qu’on avait sur le territoire national. Ces pays offrent maintenant une véritable coopération. Pour Israël notamment, on a plusieurs personnes qui ont été interpellées pour des faits qui sont en cours. Donc au moment même où les faits étaient commis, l’Etat, l’autorité judiciaire et les policiers israéliens sont intervenus, ont interpellé et nous ont remis les personnes pour les faits en cours. Ou des personnes nous ont été remises dans le cadre d’enquêtes avec des commissions rogatoires internationales et des mandats d’arrêt.
On a une nouvelle évolution avec Israël, et aussi une vraie évolution avec Dubaï par exemple, puisque dans le cadre d’une escroquerie en bande organisée, on a quelqu’un qui a été interpellé. Parallèlement on a aussi des saisies importantes de fonds qui ont été faites, notamment en Israël, avec une saisie notamment de 800 000 euros.
Et puis on a surtout comme l’évoquait Madame la Procureure, ce système de fiches, qui sont des fichiers de victimes démarchées dans un premier temps par un premier auteur d’escroquerie, qui parfois entre auteurs se revendent, ou se volent, et qu’on trouve dans le cadre de perquisitions. C’est pour nous très intéressant, car dans ces affaires on ne va pas de la victime avec des investigations jusqu’à l’escroc, mais avec ces fiches cela permet de redescendre de l’auteur aux victimes, ce qui permet de rattacher des victimes à des agissements criminels.
Ce rattachement est important car il permet d’améliorer l’efficacité de la réponse pénale, notamment par le biais du « plaider coupable », la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Dans ces procédures, des mandats d’arrêts sont délivrés, et on a pu constater que ces mandats d’arrêt étaient dans un premier temps peu efficaces vis-à-vis de personnes dans des pays hors de l’UE. Mais dans un second temps on a vu que ces personnes avaient souvent des attaches en France, notamment familiales, et voulaient revenir. Ils étaient gênés par le mandat d’arrêt, et donc pour certains dans des dossiers récents, cela s’est traduit par la volonté de négocier leur retour.
En contrepartie cela se traduit nécessairement par une condamnation, mais pour nous ce qui est encore plus intéressant c’est d’arriver à indemniser les victimes. Dans le dossier évoqué on a une indemnisation préalable de 50 individus qui a pu se faire, pour un montant global d’environ 300 000 euros, et on a eu une condamnation des auteurs, avec pour la personne physique dirigeant de la société 18 mois de sursis et 300 000 euros d’amende, et 400 000 euros d’amende pour la personne morale.
Donc on arrive à des résultats intéressants, avec des remises de personnes, avec extradition, pour des pays où jusqu’à maintenant ce n’était pas le cas. Dans plusieurs dossiers que l’on a ces personnes remises sont en ce moment en détention provisoire, c’est une nouveauté.
Et on arrive en même temps à avoir des réponses sur le fond, avec des condamnations assez significatives, et surtout avec une prise en charge des victimes, qui ne seront pas remboursées à hauteur de ce qu’elles ont perdu, mais pour lesquelles on arrivé déjà à avoir un début d’indemnisation.
Deontofi.com reproduit ci-dessous l’alerte AMF du 30/9/2021 sur cette arnaque :
L’AMF met en garde contre l’offre au public de jetons de la société Air Next
L’Autorité des marchés financiers (AMF) alerte le public sur les risques de fraude associés à l’offre au public de jetons (Initial Coin Offering ou ICO) préparée par la société Air Next.
L’AMF a été sollicitée par la société Air Next dans le but d’obtenir un visa pour son projet d’ICO. Les porteurs de ce projet ont transmis aux services de l’AMF des documents, dont certains soupçonnés d’être des faux.
L’Autorité des marchés financiers précise qu’aucun visa n’a été délivré à l’offre au public de jetons préparée par la société Air Next, ni sur aucune autre offre de jetons réalisée par cette société. Cette offre au public de jetons ne bénéficie donc pas des garanties légales associées au visa de l’AMF. Des actes de démarchage auraient été entrepris auprès du public en France dans le cadre de cette offre en contravention avec l’article L. 341-10, 6° du code monétaire et financier, faits passibles de sanctions pénales.
En application de l’article 40 du code de procédure pénale et de l’article 621-20-1 du code monétaire et financier, l’Autorité transmet au Parquet de Paris les éléments dont elle dispose concernant Air Next et son site internet airnext.io/.
L’AMF appelle à la vigilance les épargnants susceptibles d’être démarchés (téléphone, mailing, réseaux sociaux, messageries instantanées…) pour investir dans ce projet et leur demande de ne pas relayer ces messages auprès de tiers.