(Tout le procès Pérol ici) Pérol11. Mercredi 24 juin 2015, second jour du procès du patron des Caisses d’épargne Banques populaires, dernier compte-rendu de l’audience du matin, où l’on découvre les coulisses du marchandage entre les banquiers et les pouvoirs publics pour les sauver.
– Sur les 40 milliards prévus dans le plan de recapitalisation, combien au final ont été accordés ? s’enquiert un des assesseurs du juge.
– De mémoire 21, soit 10,5 en deux tranches au total.
– S’il n’y avait pas eu les difficultés de Natixis, y aurait-il eu une recapitalisation pour chacun des deux groupes Banque Populaire et Caisse d’épargne ? Est-ce que l’aide était spécifique aux difficultés de Natixis ou n’ont-elles fait que l’accentuer ?
– Il y avait le risque sur Natixis, mais sur le Crédit foncier aussi. L’analyse de la Commission bancaire et du ministère pour la solvabilité requise était qu’il fallait 5 milliards. J’étais surpris à l’époque qu’ils viennent nous dire « il faut nationaliser Natixis », et nous demander une garantie sur un portefeuille d’actifs pourris comme pour Dexia. Le sauvetage de Dexia était le seul à comporter une garantie sur les actifs, car il résultait de la loi et d’un accord entre l’État belge luxembourgeois et français, prévoyant que s’il y avait des pertes sur ces actifs ils seraient garantis.
– Cote d120 Lemaire, intervient Maître Karsenti en citant le directeur intérimaire des Caisses d’épargne : « Mettling et moi préférions une holding gardant des filiales, alors que les autorités préféraient un schéma intégré ». Quelle était l’implication de François Pérol ? « Il y avait une forte coordination par un triptyque. Toutes les réunions se tenaient à l’Elysée, de facto avec François Pérol. Il nous a mis la pression en nous disant que nous n’aurions jamais l’accord des pouvoirs publics sans accepter leurs modalités ».
– Pour la clarté des débats, je voulais aborder l’organisation des structures après la recapitalisation, chipote le président. Mais maintenant que vous êtes lancé sur ce point…
– C’est un point extrêmement intéressant car il reflète très bien la situation, répond François Pérol. La doctrine du ministère de finances pour les aides en général et le plan de recapitalisation est que les aides, si elles sont accordées, le sont à la tête des groupes.
Je m’énerve effectivement peut-être, le climat est tendu, poursuit Fançois Pérol. Je fais référence à l’époque, bien sûr, ajoute-t-il avec une touche d’autodérision qui fait sourire la cour. Il ne pouvait en être autrement, les intérêts de l’État n’auraient pas été défendus.
– François Pérol se serait mis en colère contre les deux banquiers, relève le juge en s’appuyant sur l’interrogatoire de Xavier Musca qui répond : « je n’ai pas un souvenir précis de colère mais d’inquiétude sur la lenteur des discussions de rapprochement ». Madame la procureure, vous avez la parole, ponctue le juge en se tournant vers elle.
– Vous contestez votre rôle, celui du président et de l’Elysée sur la décision politique d’accorder cette aide de 5 milliards, entame-t-elle. Sur cet épisode, quatre acteurs sont directement impliqués: Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde, témoin privilégié et actif à vos côtés. Cote d122, « sans l’accord de l’Elysée la fusion et l’aide attachée pouvait-elle se faire ? » Réponse de Mr Richard: « le dispositif global était validé par l’Elysée ». Personne ne conteste le calcul, mais vous validez le déblocage des 5 milliards qui, comme souligné par Monsieur l’assesseur, représente un quart du plan d’aide. Mr Stéphane Richard ment-il ?
– Il ne ment pas… il fait une analyse un peu paresseuse, hésite l’accusé. En temps normal l’aide aurait été validée par l’Elysée, mais en l’occurrence non, il se trompe. Le dispositif global a été validé par l’Elysée, pas cette aide, embrouille à nouveau François Pérol. Les banques sont régulées. Une fois que la Commission bancaire dit « il faut 5 milliards », il faut 5 milliards. Nous ne l’avons pas validée, c’était inutile. Je n’avais rien à dire à ce sujet.
– Xavier Musca, directeur du Trésor, cote d131, enchaîne la procureure, sur le déblocage des 5 milliards. « Nous avions un mode de gestion de crise, à la Banque de France Christian Noyer et Madame Nouy (NDLR secrétaire de la Commission bancaire), à Matignon Monsieur Gosset-Grainville, et à l’Elysée Monsieur Pérol ». Vous contestez ?
– Nous avions une organisation la plus fluide possible, chacun à son poste et à sa place, nargue François Pérol. Nous avions deux soucis, que la Banque populaire et la Caisses d’épargne, qui a une influence politique certaine, ne nous imposeraient pas leur schéma… Les décisions étaient donc confirmées sous la présidence de l’Elysée, mais précédées de réunions communes, y compris avec des instances qui n’étaient pas soumises à l’autorité du président de la République comme la Commission bancaire. Ce n’étaient pas des réunions de négociation, la position des pouvoirs publics était arrêtée par le ministre des finances…
– Quand on se voit avant une réunion, ce n’est pas pour se mettre d’accord ? reprend le juge.
– Non ! Il n’y avait pas besoin de se mettre d’accord, martèle François Pérol.
– Si cela n’avait aucune utilité, si tout le monde était d’accord, pourquoi ces réunions se passent-elles à l’Elysée alors que Xavier Musca dit qu’elles sont précédées de réunions de concertation en précisant « nous essayions de définir une position commune », cela veut dire que rien n’était décidé du tout, déroule la procureure un peu lassée de se faire balader par les méandres sémantiques de l’énarque.
– Si vous en êtes d’accord Madame la procureure, on y reviendra car j’ai des questions assez précises aussi… en profite à nouveau le juge.
– Il n’y avait pas de débat entre pouvoirs publics pour définir une position commune, mais avec les dirigeants des groupes, rebondit François Pérol en corrigeant le témoignage de Xavier Musca. L’objectif des réunions, il faut le comprendre dans ce climat de tensions. Ils demandent une garantie sur 60 milliards d’actifs et la nationalisation de Natixis. La réponse des pouvoirs publics est de 5 milliards, qui seront accordés à la tête du groupe. Les dirigeants expliquent qu’ils doivent se mettre d’accord entre eux. Demandent s’ils ne pourraient avoir que 2,5 milliards mais garantie sur tous les actifs. Le problème est de leur faire comprendre que l’on va faire ce qu’on a dit. On a fait trois réunions pour leur dire et à chaque fois ils sont revenus avec des objections. On a organisé ces réunions pour leur dire « vous avez devant vous tous les pouvoirs publics qui traitent votre dossier, plus l’Elysée et le premier ministre ». En gros on leur a tapé sur la tête pour qu’ils comprennent. Il y avait deux groupes, c’est pour ça que le climat était tendu. Est-ce qu’on aurait pu leur faire une loi à 60 milliards ? Non.
– Audition Dupont d132, et Comolet d121, embraye la procureure. Dupont : « je confirme que les réunions coordonnées pas François Pérol étaient vives… Les 5 milliards étaient actés mais pas débloqués… Cette pression, nous la ressentions tant du régulateur que de Bercy, du premier ministre et de l’Elysée, président de la République inclus. Cette coordination était menée depuis l’Elysée. De facto, François Pérol menait les débats ». Vous contestez ?
– Messieurs Dupont et Comolet expriment leurs points de vue, ce que je dis c’est ce que j’ai fait. Ils s’expriment mais ne sont pas partie aux discussions. Je présidais les réunions, nous les écoutions et leur rappelions les conditions. C’était tendu car nous avions l’impression que ces dirigeants de banques avaient un peu perdu le sens des réalités. On a eu droit au « finalement ce n’est peut-être pas si grave que ça » pour contourner. C’est un peu répétitif et un peu pénible, j’en conviens, mais c’est ce que j’ai fait.
– Cote d133, intervient à son tour Maître Karsenti. Comolet dit « Je présume que François Pérol, par son expérience de la banque et sa connaissance des dossiers Banque Populaire et Caisse d’épargne ». Sureau dit : « on sait qu’en théorie un collaborateur n’a pas de pouvoir propre. En pratique, le conseiller économique du président en période de crise dispose d’une influence réelle ».
– Mon expérience bancaire et de fonctionnaire m’a appris une seule chose, veut faire croire l’accusé: le pouvoir c’est le superviseur. Mon expérience m’a permis d’exprimer un jugement sur ce point: le superviseur dit 5 milliards, c’est 5 milliards. C’est énervant, effectivement, qu’ils viennent solliciter l’État et les pouvoirs publics pour demander autre chose que ce que décide le superviseur. Que des dirigeants de banques prennent trois semaines pour comprendre, effectivement, ça m’a choqué, s’énerve François Pérol comme s’il luttait encore avec ce souvenir.
– Qui décide que la fusion sera la condition de la recapitalisation ? sonde l’avocat des parties civiles.
– C’est le ministère des finances. Le 14 février sur TF1, Madame Lagarde dit à propos du rapprochement entre Banques Populaires et Caisses d’épargne : « cela fait trois semaines que j’ai demandé qu’ils accélèrent ». Il y a urgence avec l’annonce des résultats le 25 février. Elle fait pression, à la télévision. Si on attend, ce sera de plus en plus cher. Elle exprime l’inquiétude des pouvoirs publics.
– Quand on leur dit « nous, on vous aide, mais il faut être responsable », est-ce qu’ils ne se disent pas que c’est l’autorité de l’Elysée et du président de la République ? reprend le juge.
– C’est ce qu’on fait, avec Antoine Gosset-Grainville, pour qu’ils ne s’imaginent pas que Matignon ou l’Elysée va venir à leur secours : il n’y a pas de possibilité de se retourner. Nous sommes le relais des décisions du ministère des finances.
– La présidence de la République est-elle un relais ? s’interroge le magistrat dans un abîme de perplexité. Est-ce qu’en se l’appropriant cette décision ne devient pas la sienne ? Demain nous aurons les témoignages de Monsieur Noyer et Monsieur Guéant, annonce le juge Peimane Ghaleh-Marzban. À 13h15, l’audience est levée.