Il ne suffit pas de mettre les coupables en prison pour que les épargnants récupèrent l’argent volé par l’arnaque DTD. Les procès en responsabilité civile contre Hedios, son principal distributeur, ouvrent d’autres espoirs d’indemnisation. (photo © GPouzin)

Où en est l’indemnisation des victimes de l’arnaque DomTomDéfisc (DTD) ? En présence d’une escroquerie, il ne suffit pas d’arrêter et de faire condamner les coupables pour que les épargnants récupèrent l’argent qu’on leur a volé. Même quand les voleurs sont en prison, les épargnants qu’ils ont escroqués ont encore un long parcours d’obstacle. Pour espérer être indemnisés de leur préjudice, les épargnants doivent d’abord faire reconnaître leur préjudice, et son lien direct avec le délit commis par les coupables, ou avec les fautes des responsables. Si la justice reconnaît aux épargnants lésés leur statut de victimes, et qu’elle condamne les coupables ou les responsables à les indemniser, il faut encore que ces derniers soient solvables, pour que leurs victimes aient une chance de récupérer quelque chose. Dans ce long parcours d’embûches, il n’est pas rare que les procédures s’enlisent pendant des années. Le temps s’écoule et bien des victimes ne vivent pas assez longtemps pour en connaître l’issue.

Dans le cas de DTD, des espoirs d’indemnisation sont en vue pour un certain nombre de victimes, notamment parmi celles ayant confié leur défense au cabinet d’avocats Lecoq-Vallon Feron-Poloni.

Un grand progrès de cette décision de justice, par rapport à beaucoup de condamnations plus ou moins bénignes d’arnaques diverses et variées par des prestidigitateurs de la finance (de Vivendi au Cref en passant par Altran), est que la Cour d’appel se préoccupe enfin du sort des victimes, parties civiles dont le préjudice est trop souvent ignoré ou minimisé par les juges.

Alors que le jugement de première instance n’avait pas prévu d’indemniser le préjudice moral des victimes de DomTomDéfisc, l’arrêt de la Cour d’appel du 7 mai 2018 reconnaît ce préjudice moral et ouvre la voie à son dédommagement.

Avec la défiscalisation, on peut en effet perdre plus que sa mise dans ce type d’arnaque. D’un côté l’escroc vend un projet d’investissement jamais réalisé : c’est une première perte totale pour ses victimes. De l’autre, il leur fournit de faux justificatifs permettant de bénéficier d’avantages fiscaux. Le fisc étant lui-même victime de la supercherie, aucun investissement n’ayant été effectué en contrepartie des avantages accordés, il effectue ensuite des redressements fiscaux salés avec pénalités, qui s’ajoutent au préjudice des épargnants floués.

Les victimes d’arnaques sont les prospects des escrocs

Les noms de centaines d’épargnants arnaqués s’alignent ainsi à raison d’une dizaine par page, de la page 3 à la page 80 de l’arrêt, soit pas loin de 800 victimes doublement plumées par cette escroquerie à la défiscalisation. Sans compter ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu se porter parties civiles à ce procès. Par respect pour leur vie privée, et surtout pour les protéger d’autres arnaques, tant on sait que les victimes d’arnaques sont les prospects des escrocs, Deontofi.com a veillé à protéger leur anonymat, en retirant les pages de la décision de justice ne comportant que des noms de victimes de l’arnaque DTD, et en occultant un à un leurs noms dans les tableaux récapitulatifs de leurs préjudices (pages 97 à 144, puis pages 225 à 291 de l’arrêt). Nous avons ainsi passé de longues heures à effectuer ce travail de fourmi, dans l’unique objectif de pouvoir rendre cette décision de justice accessible au plus grand nombre, notamment pour mieux informer les épargnants des dessous de cette arnaque, tout en protégeant l’anonymat des victimes. Les lecteurs souhaitant soutenir Deontofi.com sont invités à souscrire notre abonnement Déontofi Advisor ici (48€/an), pour bénéficier en plus d’avis indépendants sur leurs propositions de placements.

Un préjudice moral reconnu au pénal

Pour le compte de ses clients, Maître Hélène Feron-Poloni demandait la confirmation du jugement de première instance, mais également la condamnation des coupables à verser à chaque épargnants floué 3000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, et 2500 euros en dédommagement de ses frais de justice (article 475-1 du Code de procédure pénal, équivalent à l’article 700 dans les procès civils). (p.188)

Sur ce point il est important de distinguer les préjudices. La Cour d’appel a ainsi confirmé la reconnaissance du double préjudice financier subit par les épargnants volés : la perte de l’argent que leur ont volé les escrocs, en partie partagé avec leurs collecteurs de fonds, et la perte de l’argent lié au redressement fiscal qu’ils ont dû payer.

Les escrocs solidairement responsables

La Cour d’appel précise à ce stade que les coupables sont solidairement redevables du dédommagement de leurs victimes : « En application de l’article 480-1 alinéa 1 du code de procédure pénale, les personnes condamnées pour un même délit sont tenues solidairement des restitutions et des dommages et intérêts » p.215.

« C’est par des motifs pertinents que le tribunal a jugé que les malversations commises par Jacques Sordes, Eric Esnault, Stéphane Jacob, Benoît Vilain et Michelle Scholastique ont causé un préjudice certain et direct pour les investisseurs ayant confié leur argent à la société DTD aux fins d’obtenir le bénéfice des réductions fiscales (…) de la loi Girardin et a évalué le préjudice financier subi par les parties civiles au vu des rappels fiscaux, en tenant compte des apports initiaux et du montant du redressement fiscal (en déduisant le montant des apports perdus afin de ne pas réparer doublement ce montant), ainsi que les majorations et les intérêts fiscaux appliqués, et des frais d’avocat fiscaliste lorsque ces demandes sont justifiées ». (p.215-216)

Premièrement, Maître Hélène Feron-Poloni a obtenu pour ses clients que la Cour d’appel de Paris reconnaisse leur statut de victime. Alors que le jugement du tribunal correctionnel s’était focalisé sur la condamnation des coupables en faisant peu de cas du sort des parties civiles, l’arrêt de la Cour d’appel reconnaît non seulement leur préjudice financier, mais surtout leur préjudice moral.

C’est une victoire judiciaire dont l’importance mérite d’être soulignée, car elle marque un réel progrès dans la reconnaissance par la justice des dégâts causés aux épargnants, trop souvent négligés dans les procès financiers.

Il est important de distinguer le préjudice moral du préjudice financier, car ce dernier est bien réel, et mérite une indemnisation à part, comme le reconnaît la Cour d’appel :

« Considérant que la cour constate que les parties civiles représentées par Maître Feron-Poloni, déboutées en première instance de leur demande en réparation justifiant de leur préjudice moral directement lié à l’absence d’investissement en Outre-Mer pour y créer des emplois par une diversification des activités économiques locales alors que ces parties civiles avaient choisi de placer des économies précisément dans ce type d’opération de défiscalisation ; que ces économies ont été détournées au seul profit des prévenus qui ont exposé les parties civiles à des procédures fiscales ; que la cour dispose des éléments pour apprécier ce préjudice moral pour chacune des parties civiles, que la cour infirmera en conséquence le jugement entrepris et condamnera solidairement Jacques Sordes, Benoît Vilain, Eric Esnault, Michelle Scholastique et Stéphane Jacob à payer les dommages intérêts en réparation du préjudice moral comme mentionné dans le tableau visé au dispositif » (p.215).

Si les coupables de l’escroquerie sont indéniablement responsables du préjudice moral causé à leurs victimes, la recherche des responsables du préjudice financier subit par les épargnants peut être plus nuancée. Certes, leur argent a été volé par les escrocs. Mais auraient-ils confié si facilement leur argent à Jack le flambeur, s’ils n’avaient été rassurés par le professionnalisme revendiqué de conseillers en placements ayant pignon sur rue, comme la société Hedios Patrimoine ? Rien n’est moins sûr.

Au contraire, protéger leurs clients des aigrefins en écartant leurs propositions douteuses est une des principales responsabilité des intermédiaires financiers, marchands de placements, banques ou conseillers en gestion de patrimoine. Contrairement à ce que croient beaucoup d’épargnants, voire certains professionnels naïfs, la valeur ajoutée d’un bon conseiller en gestion de patrimoine n’est pas tant de dénicher des bons coups et astuces financières, souvent illusoires, mais plutôt de les aider à faire fructifier leur argent en cohérence avec leur situation et leurs projets, en les guidant surtout pour éviter les innombrables pièges et arnaques convoitant leurs économies, qu’il s’agisse des lettres et manuscrits d’Aristophil, des fables du trading Forex et autres livrets diamants, des fonds immobiliers allemands et autres promesses de gains fantaisistes liées aux énergies renouvelables et investissements d’infrastructures, comme des montages fumeux de DomTomDéfisc.

La responsabilité des conseillers en gestion de patrimoine vendant l’arnaque

L’arrêt de la Cour d’appel est d’autant plus remarquable qu’il fait preuve de discernement entre le statut des vraies et des fausses victimes.

Alors que Julien Vautel, le patron de la société Hedios Patrimoine, s’était porté partie civile au procès pénal contre les escrocs de DTD, se présentant comme une victime de l’arnaque dont il avait été le plus gros distributeur, la Cour d’appel a remis les choses à leur place.

Elle a rappelé que M. Vautel s’était plus enrichi avec les commissions sur l’argent volé à ses clients, qu’appauvri avec sa propre souscription personnelle à DTD.

La Cour d’appel a donc rejeté la prétention de M. Vautel au statut de victime, insistant même sur sa responsabilité en tant que professionnel, d’avoir ignoré l’arnaque qui se déroulait sous ses yeux, avec l’argent de ses clients, alors qu’il avait les moyens, et aurait dû avoir les compétences, pour s’en rendre compte.

Cette première étape judiciaire laisse entrevoir une lueur d’espoir aux victimes de DTD. D’abord, les épargnants lésés ont obtenu la reconnaissance de leur préjudice moral, dont elles vont pouvoir demander réparation aux coupables, en plus de leur préjudice financier.

Malheureusement, on sait qu’une grande partie de l’argent détourné s’est envolé, soigneusement planqué au fin fond des paradis fiscaux à coups de montages exotiques aux scénarios improbables. Tellement bien planqué qu’il n’est même pas sûr que Jacques Sordes lui-même ait une chance de remettre la main dessus et d’en profiter. Car l’avidité est impitoyable entre escrocs, sans compter tous ceux qui aimeraient suivre sa trace jusqu’au magot.

Quant à la partie des produits de l’escroquerie identifiés par la justice, par exemple blanchis dans des biens immobiliers ou des produits financiers à l’étranger, il faudra des années pour espérer en distribuer une partie aux victimes.

Les procédures sont déjà longues en France, c’est encore plus inextricables quand elles reposent sur la coopération judiciaire avec des administrations étrangères, parfois peu pressées ou carrément récalcitrantes. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) est déjà chargée de liquider les biens achetés en blanchissant les produits de l’escroquerie en France, mais à l’étranger c’est une autre affaire.

Les diffuseurs de l’arnaque plus solvables que les escrocs

S’il y a peu d’espoir de récupérer l’argent volé auprès des escrocs, il est en revanche possible d’obtenir une indemnisation du préjudice causé à leurs victimes par les intermédiaires qui ont collecté leur argent, comme Hedios Patrimoine.

La responsabilité d’Hedios dans la diffusion de l’arnaque DTD fait depuis des années l’objet de procès à rebondissement.

Le premier de ces procès a eu lieu dès 2014, quand Hedios a contesté son exclusion temporaire de la Chambre des indépendants du patrimoine (CIP), principale association de conseillers en gestion de patrimoine agréée par l’Autorité des marchés financiers (AMF). La CIP, rebaptisée depuis CNCGP, avait exclu Hedios pour non respect de l’alerte lancée à ses membres contre l’arnaque DTD.

A l’époque, Hedios était parvenu a faire condamner la CIP pour sanction abusive, en plaidant son innocence dans la diffusion de l’arnaque. Mais depuis, l’instruction de l’affaire pénale a révélé davantage de preuves des négligences d’Hedios et de sa poursuite de la collecte pour DTD malgré tous les signaux qui auraient dû l’appeler à plus de prudence. Le litige entre Hedios et la CNCGP doit encore être examiné par la Cour de cassation, qui pourrait donner une nouvelle lecture à cette affaire en légitimant l’exclusion d’Hedios.

Entre temps, la justice civile a déjà reconnu la responsabilité d’Hedios dans le préjudice causé à ses clients dans la diffusion de DTD.

Dès le 9 janvier 2018, un arrêt de la Cour d’appel de Paris reconnaît qu’Hedios était en mesure de réaliser que DTD était une arnaque. En visite aux Antilles pour vérifier la réalité des investissements de DTD, il n’a vu « aucune réalisation ».

Alors que des doutes sérieux planaient déjà sur la réputation de DTD dès février 2009.

L’arrêt de la Court d’appel du 9 janvier 2018 pointe également le manque de professionnalisme d’Hedios dans le respect de ses obligations vis-à-vis des clients à qui il fourguait son placement de défiscalisation vedette.

L’arrêt de la Cour d’appel du 9 janvier 2018 condamne plus sévèrement Hedios, qui doit rembourser 21 632€, soit plus du double de sa condamnation en première instance.

La Cour d’appel précise également l’obligation de l’assureur. Dans la limite du contrat d’assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) souscrit par Hedios auprès de MMA IARD, ce dernier doit prendre en charge l’indemnisation du préjudice qu’Hedios est condamné à rembourser à ses clients.

Plus récemment, Maître Hélène Feron-Poloni a obtenu l’indemnisation de ses clients dans deux jugements de la 9ème chambre du TGI de Paris, du 18 juin 2018, confirmant aussi la responsabilité d’Hedios, en la condamnant à indemniser les victimes.

Une fois la responsabilité d’Hedios établie, la question de l’indemnisation du préjudice causé à ses clients demeure complexe. Car Hedios dispose d’une assurance en responsabilité civile professionnelle, ou RCP, dans le cadre de son adhésion à la CNCGP. Mais l’assurance ne veut pas payer, comme on peut s’y attendre.

L’assureur ne veut pas rembourser les pots cassés d’Hedios

Dès 2012, Covea Risks retirait son assurance à Hedios, comme on l’apprend dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 mars 2014 (p.11).

Intervenant volontaire au procès, l’assureur Covéa risk, devenu depuis MMA, a d’abord tenté de neutraliser les demandes d’indemnisation, puis de les temporiser et de les limiter.

L’assureur fait valoir que les fautes d’Hedios ne sont couvertes qu’à hauteur d’un plafond collectif de 4 millions d’euros par litige, et sous déduction d’une franchise de 15 000 euros (restant à la charge d’Hedios dans l’indemnisation des préjudice à laquelle il est condamné), soit bien moins que les 14 millions d’euros perdus dans DTD par les clients d’Hedios, sans compter les redressements fiscaux.

Le tribunal juge cependant que ce plafond doit s’apprécier par millésime de collecte pour DTD, chaque produit correspondant à un litige de masse différent.

L’assureur d’Hedios condamné à indemniser les pertes de ses clients dans Dom Tom Défisc

L’assureur voudrait aussi repousser les indemnisations sous prétexte qu’il faudrait attendre que toutes les victimes se soient déclarées pour procéder à un partage équitable de son plafond d’indemnisation. Le tribunal conteste cette interprétation et condamne l’assureur à indemniser le préjudice des épargnants.

Certes, la question de l’indemnisation des victimes d’Hedios, en tant que distributeur fautif de DTD, risque de se poser avec plus d’acuité avec le plafond d’indemnisation par son assureur.

Qui payera les pots cassés d’Hedios une fois qu’ils auront dépassé le plafond de prise en charge par son assureur ? Tant qu’Hedios demeure solvable, il n’est pas interdit d’espérer qu’il puisse aussi participer à l’indemnisation des clients qu’il a entraînés dans le piège DTD. Mais rien ne garantit qu’Hedios aura les moyens de payer. En 2014, dans le cadre du procès contestant son exclusion de son association professionnelle, Hedios n’hésitait pas à se présenter comme « quasiment en état de cessation de paiement ».

Pour l’instant, le plafond d’indemnisation du préjudice causé par Hedios est loin d’être atteint. Compte tenu de la « sélection naturelle » qui s’opère au fil du temps parmi les victimes de l’arnaque DTD (entre ceux qui n’ont pas fait de procès, ceux qui sont parties civiles au pénal mais n’ont pas assigné Hedios au civil, et ceux qui ne vivront pas jusqu’à la fin des procédures…), il n’est même pas certain que le plafond de 4 millions d’euros d’indemnisation des clients d’Hedios assurés par MMA (ex-Covéa Risks), soit un jour atteint pour chaque millésime de l’arnaque DTD.

Il existe donc aujourd’hui de sérieux espoirs d’indemnisation pour les épargnants victimes de DTD, même si leur remboursement demeure un parcours semé d’embûches.

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