Depuis bientôt dix ans, le ministère des finances veut étouffer une enquête de la direction de la répression des fraudes sur les pratiques anticoncurrentielles d’Euronext favorisant les manipulations boursières du trading à haute fréquence. (photo © GPouzin)

EXCLUSIF! Cette enquête de Deontofi.com en accès libre révèle comment Bercy bloque les enquêtes et la répression des fraudes sur les pratiques anti-concurrentielles d’Euronext. Il n’y a pas en France de justice économique plus puissante et crainte que celle de l’Autorité de la concurrence, et de son bras armé, la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes, la DGCCRF, placée sous l’autorité du ministère de l’économie et des finances, à Bercy. Sur la base de ses enquêtes, étayées et minutieuses, la répression des fraudes et son ministère de tutelle traquent les fraudeurs et leur infligent des centaines de millions d’euros d’amendes, ou des transactions pénales sous contrôle du procureur de la République, ou des poursuites devant l’Autorité de la concurrence pour obtenir leur condamnation.

  1. Trading haute fréquence : Bercy bloque la répression des fraudes et pratiques anticoncurrentielles
  2. Trading haute fréquence: un trou noir de fraudes boursières à la vitesse de la lumière
  3. Euronext-Virtu : les vices du trading haute fréquence entre les mailles du gendarme boursier
  4. Comment Bercy protège Euronext des enquêtes sur ses pratiques anticoncurrentielles

Parmi leurs sanctions emblématiques des dernières années, près de 200 millions d’euros d’amende (192,7 millions) ont puni les neuf industriels accusés d’entente dans le « cartel du yaourt » en 2015, dont Lactalis, Senagral (Senoble) ou Novandis (Andros). Yoplait les avait dénoncé pour échapper aux sanctions. Citons aussi Orange, qui écopait de 350 millions d’euros d’amende la même année à la suite de plaintes de Bouygues et SFR dénonçant sa capture abusive de la clientèle d’entreprise.

Rappelons l’amende de près d’un milliard d’euros (951,1 millions) infligée en 2014 à douze industriels des cosmétiques et produits hygiéniques dont L’Oréal, Unilever, Henkel ou Reckitt Benckiser.

Ou celle proche de 400 millions d’euros (384,9 millions) sanctionnant onze banques, quatre ans plus tôt en 2010, pour des commission d’échange image chèque (CEIC) abusives, stoppées en 2007 sous la pression de l’enquête. La liste des coupables incluait Banques Populaires et Caisses d’Epargne (BPCE), la Banque postale, BNP-Paribas, les Crédit Mutuel, Crédit Agricole, Crédit du Nord, Crédit Industriel et Commercial (CIC), LCL, HSBC et Société Générale, et même la Banque de France.

Encore dernièrement, le 22 mars 2017, Engie (ex-GdF-Suez) écopait de 100 millions d’euros d’amende pour abus de position dominante, ayant profité de son ex-monopole gazier pour démarcher ses 11 millions de clients hérités de Gaz de France.

Enfin, l’enquête pour fraude aux tests de pollution contre Renault et son patron Carlos Ghosn, s’étalant sur trois pages dans Le Monde du 16 mars 2017, achève de consacrer la suprématie des commissaires et des juges de la concurrence et de la répression des fraudes.

A côté, l’innocuité des amendes et sanctions du gendarme boursier (Autorité des marchés financiers, AMF) et du contrôleur des banques et des assurances (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ACPR), prêterait presque à sourire tant elles semblent modestes au regard des enjeux (4 millions d’euros d’amende à la Société générale le 3 juillet 2008, pour les défaillances ayant entraîné 4,9 milliards d’euros de pertes sur les spéculations de Jérôme Kerviel, 20 millions d’amende à la Caisse d’Epargne le 15 juillet 2009, pour les failles ayant causé 750 millions d’euros de pertes spéculatives à l’Ecureuil).

En matière de répression économique, les pratiques anticoncurrentielles semblent incontestablement les plus strictement et sérieusement sanctionnées en France, au regard de ses sanctions emblématiques et dissuasives, qui n’épargnent aucun secteur, ni aucun acteur. Ou presque.

Car pendant toutes ces années, il est un domaine où le pouvoir d’enquête et de sanction de la DGCCRF a été et continue d’être totalement bafoué et étouffé par Bercy, en bénéficiant d’une omerta inouïe : la Bourse, et plus précisément l’entreprise de marché détentrice de l’ancien monopole de négociation des actions, Euronext SA.

Qu’on en juge. Alors que les pratiques anticoncurrentielles d’Euronext ont déjà été pointées du doigt par la justice, le 4 décembre 2015, à l’occasion d’une sanction de l’Autorité des marchés financiers dans une sombre magouille de manipulation de marché par un opérateur de trading à haute fréquence, Virtu Financial Ltd, une enquête parallèle de la DGCCRF sur les pratiques anticoncurrentielles d’Euronext, en cours depuis 2008, est étouffée par Bercy avec un acharnement confinant à l’obsession.

De quoi s’agit-il ? Pour mieux comprendre, distinguons différents volets de cette affaire.

  1. Trading haute fréquence : Bercy bloque la répression des fraudes et pratiques anticoncurrentielles
  2. Trading haute fréquence: un trou noir de fraudes boursières à la vitesse de la lumière
  3. Euronext-Virtu : les vices du trading haute fréquence entre les mailles du gendarme boursier
  4. Comment Bercy protège Euronext des enquêtes sur ses pratiques anticoncurrentielles

3 commentaires

  1. SALMONT, le

    Merci à ZORRO pour ce joli coup d’ épée dans le cœur du trading hautes fréquences

    Effectivement , nous n ‘avons aucune chance de gagner en trading avec cette magouille qui profitent qu’ aux riches initiés

  2. Zorro, le

    [NDLR, Deontofi.com accueille et publie ce commentaire à tonalité professionnelle malgré son niveau de technicité complexe, les informations exposées présentant un grand intérêt pour les lecteurs désireux d’approfondir leurs connaissances sur les nuisances du trading à haute fréquence. L’anonymat nous semblait par ailleurs superflu pour partager ces sources académiques].

    Rôle potentiel joué par les teneurs de marché haute fréquence

    Les teneurs de marché historiques, traditionnellement des institutions financières fortement capitalisées, ont petit à petit été remplacés par des teneurs de marché haute fréquence, généralement beaucoup moins capitalisés que leurs prédécesseurs. Grâce à une plus grande rapidité (achat-vente possible à la milliseconde), les teneurs de marché haute fréquence sont capables de réduire leur exposition au risque d’inventaire[4]. En échange de cette réduction de leur exposition au risque d’inventaire, ceux-ci sont capables d’offrir un spread compétitif, réduisant par là-même les coûts de transaction des investisseurs finaux. Dans des conditions de marché normales, leur rôle est donc tout à fait bénéfique. Cependant, cette capacité qu’ont les teneurs de marché haute fréquence à réduire leur exposition au risque d’inventaire implique également que ceux-ci sont capables de couper très rapidement leur exposition en cas de forte hausse de la volatilité, ce qui entraîne potentiellement une augmentation du risque (de manière occasionnelle) pour les investisseurs finaux, la sortie des teneurs de marché haute fréquence ayant la capacité d’assécher la liquidité dans les carnets d’ordres très rapidement.

    Le 7 octobre 2016, des milliers de transactions ont eu lieu lors de la chute vertigineuse de la livre, dont 40% d’ordres d’achat agressifs[5] d’après les données recueillies par Nanex LLC, caractérisés par des remontées de prix sur plusieurs périodes de temps infimes, ce qui laisse penser que les teneurs de marché haute fréquence ont joué un rôle non négligeable lors de ce flash crash, en « se passant la patate chaude » jusqu’à ce que celle-ci soit suffisamment refroidie, autrement dit après une grosse décote, pour pouvoir revenir dessus avec plus de conviction (et moins de risque), à l’image du flash crash du 6 mai 2010. Dans le même temps, la liquidité s’est asséchée très rapidement, comme en atteste les volumes de transaction dans les deux minutes qui ont suivi le début du krach, laissant penser que les teneurs de marché haute fréquence se sont effectivement retirés du marché. L’enquête en cours de la BRI nous en apprendra probablement plus à ce sujet dans les mois qui viennent.

    · Rôle potentiel joué par les arbitragistes haute fréquence

    Les arbitragistes haute fréquence cherchent à profiter des écarts de prix minimes qui existent entre deux ou plusieurs actifs, comme c’est le cas par exemple avec l’arbitrage triangulaire sur le marché des changes, en prenant simultanément des positions longues (à l’achat) et courtes (à la vente) sur ces actifs, via des ordres au marché. Il est donc tout à fait probable que certains arbitragistes haute fréquence aient profité de l’extrême faiblesse de la livre pour entrer en action, exploitant ainsi les déséquilibres entre la livre, le dollar et le yen par exemple, voire entre la livre et d’autres devises plus exotiques, ce qui pourrait en partie expliquer que 40% des ordres aient été des ordres au marché, à l’achat (dans un processus d’achat-revente très rapide entre la livre et d’autres devises).

    · Rôle potentiel joué par les traders directionnels haute fréquence

    Les traders directionnels haute fréquence se focalisent sur un seul côté du carnet d’ordres en analysant les changements d’équilibre entre offre et demande à court terme, et en utilisant des signaux basés sur une analyse des flux et des mises à jour du carnet d’ordres, l’arrivée d’une information (vraie ou non) nouvelle comme un communiqué de presse par exemple, ou une analyse des empreintes laissées par d’autres traders engagés dans un processus d’acquisition ou de liquidation volumineux (trading algorithmique). Au moment de la chute de la livre, tous les voyants étaient au rouge (changement d’équilibre massif entre offre et demande, asséchement de la liquidité dans les carnets d’ordres, arrivée d’une information nouvelle 10 secondes après le début du krach (l’article du Financial Times), et potentiellement liquidation massive ayant déclenchée le premier mouvement de baisse). L’actif concerné, la livre, ne pouvait donc qu’être vendu par les traders directionnels haute fréquence. Si cela est bien le cas, alors l’enquête menée par le BRI devrait faire apparaître une utilisation conséquente d’ordres de vente au marché lors de la phase baissière du krach.

    · Rôle potentiel joué par les traders structurels haute fréquence

    Les traders structurels haute fréquence se concentrent sur l’inefficience structurelle du marché en profitant des cotations croisées ou en exploitant, grâce à leur vitesse d’exécution, la lenteur d’ajustement de certains ordres à cours limité. Il est évident que le trading structurel joue un rôle dans tout krach éclair, les ordres à court limité positionnés dans le carnet d’ordres étant les premières victimes des opérateurs les plus rapides et capables de traiter sur plusieurs plateformes à la fois.

    · Rôle potentiel joué par les manipulateurs haute fréquence

    Enfin, les manipulateurs haute fréquence utilisent des stratégies de manipulation dites « de rupture », dont voici une liste non exhaustive :

    1) Déclenchement de tendance (momentum ignition)
    2) Ordres fictifs et faux signaux (spoofing)
    3) Inondation du carnet d’ordres (quote stuffing)
    4) Chasse à l’ordre (quote dangling)
    5) Chasse à l’ordre en meute (pack hunting)
    6) Chasse aux ordres stop (stop loss hunting).

    Le spoofing est, semble-t-il, la stratégie de manipulation la plus utilisée ces dernières années, bien qu’officiellement interdite aux Etats-Unis depuis 2010 par la loi Dodd-Frank.

    Cette stratégie consiste à placer un très grand nombre d’ordres fictifs à cours limité (non exécutables du fait de la capacité des THFs à annuler leurs ordres dans un temps infiniment petit) dans un côté seulement du carnet d’ordres afin de faire croire à un déséquilibre entre offre et demande, et inciter ainsi les autres traders (et notamment les traders directionnels haute fréquence) à favoriser le côté du carnet où les ordres s’accumulent et faire ainsi décaler le marché dans la direction souhaitée, puis à prendre position dans la direction inverse afin de prendre le marché à contrepied avant de liquider sa position à profit.
    L’arrestation, en 2015, du trader britannique, Navinder Sarao, spécialisé, semble-t-il, dans cette stratégie, et accusé par les autorités américaines d’être en partie responsable du flash crash du 6 mai 2010 (Sarao devrait être extradé aux Etats-Unis dans les semaines qui viennent, avec un procès qui devrait se tenir en 2017), nous invite à ne pas exclure cette possibilité, bien que loin d’être la plus probable. Enfin, une stratégie de chasse aux ordres stop n’est pas à exclure non plus en raison du très grand nombre d’ordres stop positionnés à hauteur de 1.25$.
    https://www.youtube.com/watch?v=BJI-GyML-sw&spfreload=5

    Le spoofing se traduit par la présence de gros paquets d’ordres placés dans le carnet d’ordre sous les prix à l’achat ou au-dessus à la vente.
    Ces quantités sont de l’ordre de 10x ce que l’on voit habituellement. Les prix vont être aidés par la présence de ces ordres massifs.

    si l’on visualise ces ordres limit sous le ‘current bid’, les prix montent pour exécuter les liquidités vendeuses situées plus haut.
    Imaginons que les prix ont grignotés toute la liquidité vendeuse pour monter tout en haut afin de chercher le plus gros ordre limite pour en exécuter une partie (il s’agirait d’un très grand nombre de contrats situés tout en haut).
    Les ordres limites situés en-dessous auront disparu très rapidement. L’action de prix se renverse puisque le prix n’est plus soutenu par des positions à l’achat en dessous.

    Même chose inversement.
    ——————————-

    En effet des ordres d’achats au marché viennent frapper l’ask et on peut raisonnablement déduire que c’est le ou les mêmes acteurs (pack hunting) qui bloquent les prix en spoofant de la fausse liquidité sous le current bid et qui en même temps exécute la liquidité au dessus du current ask dans le but d’attraper le meilleur prix de vente possible, une fois cette liquidité exécutée, le spoofing disparait complètement et on a même l’effet inverse avec une pression plutôt au dessus des prix ensuite.

    La dynamique des ordres limites influence directement les prix si et seulement si il y a également une volonté d’exécuter le marché ou de provoquer une liquidation en chaine (stop run) effectivement le simple fait de spoofer de grosse taille ne suffira pas a décaler les prix, cela aura pour effet de les bloquer, d’effrayer ou de tromper tout au plus.

    Il faut cette seconde composante qui est l’exécution. L’exécution peut-être initiée par le spoofer en grande partie mais il y a également d’autres traders qui se font tromper / piéger par cette fausse impression de volonté acheteuse au current bid et aux quelques 2 ou 3 niveaux en dessous. Ces acteurs trompés alimentent encore un peu plus ce soulèvement de l’ask (dans l’exemple qui nous intéresse) en achetant trop agressivement et trop haut et ne voyant pas qu’ils sont pris dans une stratégie bien connue.

    Mais le gros de l’exécution est du fait du spoofer bien entendu; sachant que le spoofer sait très bien qu’il y a environ 10% de ses faux ordres qui seront exécutés avant d’être annulés, cette perte est prise en compte dans leurs stratégies. C’est un peu le principe du quote dangling, je conseille cette lecture, c’est rapide : http://www.slideshare.net/WilhelmFritsche/hft-nice-toread

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    Les ordres limites d’achats (en attente d’exécution ) sont en bas des prix au bid , les ordres limites de vente sont au dessus des prix soit à l’ask et en attente d’execution . Ce sont Les ordres market vendeurs ou acheteurs qui viennent exécuter les ordres limites placés au bid ou a l’ask dans le carnet. Les ordres limites au bid sont des ordres d’achats ,ils sont sous les prix ds le carnet et les ordres limites a l’ask sont des ordres de vente et se trouvent au dessus des prix ds le carnet . Les ordres limites sont en  » attente » d’être exécuté la ou ils sont placés . Ils ne font que ça , attendre…la plupart sont faux (spoofing,flash orders, cancelling par exemple) ; Et les ordres market (traders entrant au marché en payant le spread car pressé d’être servi et très agressifs) viennent exécuter ces ordres limites . C’est cette relation ordres limites / ordres marchés qui font les enchères et qui fait l’action des prix. Les prix montent car il y a des vendeurs d’accord pour vendre de plus en plus haut aux acheteurs market . Les prix descendent car il y a des acheteurs prêt a acheter de plus en plus bas aux vendeurs markets.
    
    Conclusion

    Comme d’autres actifs très liquides avant elle, la livre sterling a connu son premier krach éclair. Un tel écart de cotation sur un marché aussi liquide que le Forex soulève bien entendu de nombreuses questions, notamment sur l’état de la liquidité sur les marchés en général, mais aussi sur le rôle joué par les THFs lors de tels mouvements de cours. Comme le souligne une note de Bank of America Merrill Lynch, relayée par le Financial Times, la vitesse et la magnitude de la baisse lors du krach éclair survenu sur la livre sterling met l’accent sur les dangers que représente une liquidité potentiellement fantôme, caractérisée par un assèchement quasi immédiat de celle-ci lorsque la volatilité augmente de manière brutale et extrême.

    L’enquête diligentée par Mark Carney, le gouverneur de la BoE, auprès de la Banque des règlements internationaux (BRI), devrait nous fournir un début de réponse aux questions soulevées dans cette analyse.

    Références

    Biais Bruno et Foucault Thierry, HFT and Market Quality, Bankers, Markets & Investors, N°128 January-February 2014

    Martin Katie, Sterling flash crash highlights warnings on FX liquidity, Financial Times, 11 octobre 2016

    Blitz Robert et Stafford Philip, Pound plummet blamed on ‘liquidity holes’, Financial Times, 10 octobre 2016

    Hughes Jennifer et Lewis Leo, How ‘all hell broke loose’ on flash crash Friday, Financial Times, 7 octobre 2016

    • Marine, le

      Merci pour le cours magistral. Il y aurait donc le bon THF et le mauvais THF comme avec les chasseurs des inconnus… le bon chasseur il tire…. et le mauvais chasseur ben…. il tire mais c’est pas pareil…

      Ce qui en ressort c’est que même le positif supposément apporté par le THF n’est qu’une illusion de liquidité. Pour preuve Euronext demande aux apporteurs de faire des fourchettes sur les dérivés là ou avant elle leur demandait de faire des transactions… C’est très différent.

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