Fast money ? Il n’y pas de technologie plus sophistiquée pour faire des profits à la vitesse de l’éclairn en multipliant les fraudes boursières indétectables, que les algorithmes de trading à haute fréquence des banques. (photo © GPouzin)

Épisode 2 sur 4. L’histoire des soupçons de pratiques anticoncurrentielles d’Euronext commence avec un litige commercial pas tout à fait ordinaire, portant sur les tarifs réservés aux boursicoteurs professionnels contribuant à la liquidité des actions cotées sur la Bourse de Paris, gérée par la société Euronext. Pour accroître la liquidité des actions qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire en dehors de l’indice CAC 40 ou de l’indice Euronext 100, la société Euronext accorde des tarifs de courtage très bas à certains de ses adhérents, comme les négociateurs pour compte propre et les teneurs de marché, en contrepartie de certains engagements.

  1. Trading haute fréquence : Bercy bloque la répression des fraudes et pratiques anticoncurrentielles
  2. Trading haute fréquence: un trou noir de fraudes boursières à la vitesse de la lumière
  3. Euronext-Virtu : les vices du trading haute fréquence entre les mailles du gendarme boursier
  4. Comment Bercy protège Euronext des enquêtes sur ses pratiques anticoncurrentielles

 

Depuis des années, les lobbies bancaires se font les défenseurs du trading à haute fréquence, c’est-à-dire le boursicotage à très grande vitesse robotisé, censé améliorer la liquidité des marchés financiers et contribuer ainsi à leur meilleure stabilité. Attention, quand on parle de trading à haute fréquence, ce n’est pas une transaction par seconde, mais des robots capables de placer et d’annuler 10 000 ordres par seconde pour berner le marché ! Aujourd’hui on estime que les robots exécutant des algorithmes de trading à haute fréquence sont responsables de 70% des transactions boursières. Et ce n’est que la partie visible de leur activité, qui vise surtout à aveugler le marché avec des avalanches d’ordres aussitôt annulés, à peine 1% de leurs ordres étant réellement exécutés. En résumé, moins de 1% des ordres passés par les robots correspondent à 70% des échanges boursiers réellement observés [et encore, rappelons qu’il n’y a plus de statistiques fiables des volumes de transactions sur les marchés depuis leur ouverture à la concurrence des Bourses électroniques et autres « dark pools »].

En réalité, on a toutes les raisons de douter du sérieux des arguments en faveur du trading à haute fréquence, car en dépit de l’explosion de ce boursicotage robotisé à grande vitesse, il semble assez hardi d’affirmer que la stabilité des marchés financiers se serait améliorée. C’est plutôt l’inverse, et de nombreuses voix plaident pour l’interdiction pure et simple de cette pratique incontrôlable, notamment Michael Spence, Prix Nobel d’économie en 2001 pour ses analyses du marché en situation d’asymétrie d’information, avec Joseph Stiglitz et George Akerlof.

Mais revenons d’abord aux bases : qu’est-ce que la liquidité ? En Bourse, et dans le jargon financier en général, la liquidité d’un actif correspond à la facilité que ses propriétaires auront à le « liquider », c’est-à-dire le vendre pour en récupérer la valeur en argent « liquide », même s’il ne s’agit pas de billets mais bien évidemment de virements bancaires.

Par extension, la liquidité d’un marché correspond à sa capacité à absorber les offres de ventes ou les demandes d’achat d’un bien (actions, matières premières, etc.), à la fois sans délai et sans impact abusif sur le prix des biens négociés. Selon cette définition, on comprend bien par exemple que le marché immobilier est souvent considéré comme « illiquide », c’est-à-dire sans liquidité suffisante pour permettre aux propriétaires de vendre leurs biens sans délai et sans les brader. On comprend aussi pourquoi le marché immobilier parisien, ou dans les plus grandes métropoles, est plus « liquide » que celui des maisons de campagne : plus il y a de vendeurs et d’acheteurs, plus le marché est liquide, plus les délais de transaction sont raccourcis. A l’inverse, moins il y a d’acheteurs et de vendeurs, plus les délais de transaction sont longs et les risques de déséquilibres importants : les prix flambent là où il y a plus d’acheteurs que de vendeurs (Courchevel, Saint Tropez…) et s’écroulent quand il ya plus de vendeurs que d’acheteurs (comme dans beaucoup de petites communes et à la campagnes après le boom des années 2000).

Sur les marchés financiers, comme la Bourse, on retrouve les mêmes nuances : les actions cotées sur les marchés où il y a le plus d’acheteurs et de vendeurs bénéficient de la meilleure liquidité, comme les grandes valeurs cotées à Wall Street ou les multinationales de l’indice CAC 40, tandis que les actions cotées sur un marché de troisième zone, comme Alternext, souffrent d’un manque de liquidité, rendant parfois leur vente impossible sans entraîner une chute des cours (exemple de Carmat).

Pour améliorer la liquidité des actions cotées en Bourse, les sociétés contrôlant l’organisation des transactions, comme Euronext pour la Bourse de Paris, incitent différents acteurs financiers professionnels à multiplier les ordres et les transactions sur les valeurs les moins liquides, afin que les acheteurs et vendeurs non professionnels aient davantage de chances de conclure leurs transactions rapidement sans déstabiliser le cours des titres en question.

Jusqu’aux années 2000, ces apporteurs de liquidité étaient des professionnels indépendants qui bénéficiaient en gros des mêmes tarifs que les banques pour intervenir directement sur le marché, avec un engagement d’y effectuer un volume de transactions dans le respect d’un cahier des charges bien défini, contribuant ainsi à l’amélioration de la liquidité.

Mais avec l’explosion des Bourses électroniques, les intervenants humains ont été remplacés par des ordinateurs effectuant des dizaines de transactions à la seconde pour tenter de profiter des moindres écarts de cours, entraînant parfois des mouvements de paniques absurdes du simple fait que ces ordinateurs sont tous programmés chacun de leur côté pour faire à peu près la même chose (acheter ce qui monte et vendre ce qui baisse), de façon si moutonnière qu’ils sont capables de déclencher un krach tout seuls, les fameux flash-krachs.

Avec l’accélération et le changement d’échelle de la propagation des fausses nouvelles, via les réseaux sociaux, et de leur exploitation instantanée par les robots de trading à haute fréquence, ces derniers deviennent plus des menaces pour la stabilité financière que des apporteurs de liquidité, comme en témoigne le flash-krach du 23 avril 2013.

Ce jour-là, la fausse nouvelle d’une explosion à la Maison Blanche ayant blessé Obama, diffusée sur le compte twitter de l’agence Associated Press (AP), piraté par une improbable « Armée électronique syrienne » (ou son puissant allié russe ?), déclenche une panique des robots de trading à haute fréquence.

A travers une enquête de l’Autorité des marchés financiers, on comprend que le trading à haute fréquence contribue davantage à l’instabilité, à l’opacité et au dérèglement des marchés financiers qu’à la prétendue amélioration de leur liquidité. « On tente de réguler les échanges automatisés d’actions comme l’a fait l’AMF en décembre 2015 quand elle a sanctionné la société de trading Virtu et Euronext pour manipulation de titres du CAC 40, mais les faits remontaient à 2009, ce qui montre la complexité et la lenteur à établir un diagnostic », écrivait à ce sujet Pierre-Yves Gomez, professeur de management et directeur de l’institut français de gouvernement des entreprises à l’EM Lyon Business School, dans Le Monde (18/3/2016 p.7).

Des enquêtes du même type, plus approfondies et menées à plus grande échelle aux Etats-Unis, ont révélé pourquoi et comment le trading haute fréquence était une méthode de fraude boursière et de manipulation de cours rendue indétectable par les investissements massifs dans des technologies visant à tromper les marchés et les autorités, pour engranger des profits boursiers réalisés à la vitesse de l’éclair au mépris des règles de traitement équitable et transparent des investisseurs. Une grande enquête de notre confrère Andrew Smith du quotidien britannique The Guardian expose des détails croustillants de ces fraudes, et même de leur dénonciation par des génies repentis du trading algorithmique.

Pour en savoir plus sur le trading à haute fréquence, Deontofi.com recommande la lecture d’un excellent article de notre confrère Le Monde.

La grande enquête de notre confrère The Guardian expose tous les détails croustillants de ces fraudes, et même de leur dénonciation par des génies repentis du trading algorithmique: https://www.theguardian.com/business/2014/jun/07/inside-murky-world-high-frequency-trading

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