
Derrière les communiqués officiels et les décisions du conseil d’administration, la crise de Leonteq se joue aussi dans l’ombre, là où les alliances se font et se défont, et où les fortunes personnelles se dessinent. Avec une question clé pour son avenir : s’agit-il d’une tentative de sauvetage ou d’une course effrénée pour « vider la caisse avant la casse » ? En effet, les développements récents suggèrent une âpre lutte pour le contrôle et la maximisation des retours profitant à certains actionnaires, quitte à fragiliser davantage l’entreprise sur le long terme.
Dans les coulisses du pouvoir, les discussions internes et négociations entre actionnaires de Leonteq ont créé un climat tendu, dans le sillage de la sanction FINMA du 12 décembre 2024. Lukas Ruflin, figure historique et artisan des « profits magiques » de Leonteq, a vu son étoile pâlir sous la pression du scandale. Alors qu’il avait annoncé, dès juillet 2024, son souhait de transmettre le flambeau de la direction générale, pour mieux préparer sa désignation au conseil d’administration et à sa présidence, son éviction du poste de CEO, le 28 février 202,5 et son retrait de la candidature au Conseil d’Administration, à la Saint Valentin, ne sont pas de banales décisions collectives, mais l’illustration d’une volonté de l’éloigner.
Ces investisseurs, qui avaient dans le passé protégé les dérives stimulant la rentabilité, en fermant les yeux sur des pratiques qu’ils pouvaient difficilement ignorer, ont ensuite changé leur fusil d’épaule. Une fois les scandales révélés et la sanction tombée, leur priorité a glissé vers une protection des intérêts de la société Leonteq, en éloignant un maximum de responsables impliqués ou témoins de ce passé. Mais leur ligne de conduite ne s’est pas arrêtée à cette étape. L’objectif ultime, pour certains, pourrait bien être d’extraire un maximum d’argent de la société, en dividendes ou rachats d’actions, avant qu’elle n’en ait plus les moyens, soit en raison d’une chute de ses profits liée à une meilleure conformité, soit en raison du coût d’autres sanctions et revers judiciaires éventuels, dans le sillage du naufrage en cours.
Le point culminant de cette stratégie a été l’Assemblée Générale du 27 mars 2025 à Zurich. D’un côté le conseil d’administration, soucieux de préserver les réserves pour les investissements futurs et les éventuelles pénalités (notamment les 9,3 millions CHF de restitution à la FINMA), proposait un dividende symbolique de 0,25 CHF par action. De l’autre côté, les actionnaires, menés par Raiffeisen (principal actionnaire avec 29,71 % des parts), ont forcé la main et imposé un dividende bien plus généreux de 3,00 CHF par action.
Rappelons qu’avec un capital divisé en 18.494.242 actions, ce dividende fait sortir d’un claquement de doigts 55,5 millions du tiroir-caisse de Leonteq, soit presque dix fois les 5,8 millions CHF de profits 2024 que les actionnaires pouvaient se partager sans taper dans le pactole de réserve.
Cette décision, d’une rare audace pour une entreprise en pleine tempête réglementaire, pourrait donner le sentiment d’une volonté de « vider la caisse », une forme de pari risqué sur l’avenir, ou pire, une stratégie de sauve-qui-peut pour certains acteurs avant que l’entreprise ne s’écroule davantage. Le représentant de Raiffeisen, Dominik Schärer, s’était judicieusement déporté du conseil d’administration dès mars 2024, pour assurer une « indépendance complète ».
La crise de gouvernance de Leonteq reflète aussi un entrelacement complexe d’intérêts personnels, de dynamiques de pouvoir et de conflits potentiels au sein de sa direction et de ses principaux actionnaires. En voici quelques protagonistes, principaux ou secondaires, aux rôles loin d’être insignifiants.
Lukas Ruflin, co-fondateur et ancien CEO, a été une figure centrale de l’entreprise. Sa décision de ne pas se présenter au Conseil d’Administration, bien que motivée par la nécessité d’une « période de décantation » demandée par les actionnaires institutionnels, illustre la pression exercée sur les dirigeants dont le mandat est associé à des scandales. Malgré son retrait du conseil, il reste le deuxième actionnaire de Leonteq avec 8,82 % des parts, ce qui lui confère une influence continue sur l’entreprise. Son parcours, de co-fondateur à CEO et actionnaire majeur, incarne la trajectoire de Leonteq, de la start-up ambitieuse à l’institution financière sous surveillance.
Rainer-Marc Frey, gestionnaire de fonds spéculatifs et actionnaire détenant 6,20 % de Leonteq, a joué un rôle actif en proposant un programme de rachat d’actions lors de l’Assemblée Générale.Son intervention, bien que rejetée par les actionnaires au profit d’un dividende plus élevé, montre la volonté de certains investisseurs d’influencer directement la politique de retour de capital de l’entreprise, potentiellement pour sortir l’argent restant.
Christian Spieler, le nouveau CEO nommé le 1er mars 2025, représente la nouvelle ère de Leonteq. Avec plus de 25 ans d’expérience dans des institutions financières internationales, sa nomination vise à « renforcer la conformité et la gestion des risques ». Sa promesse est de « développer durablement l’entreprise » en s’adaptant à un « cadre réglementaire plus large » et en se rapprochant des clients. Son rôle est crucial pour nettoyer la réputation de l’entreprise.
Raiffeisen Switzerland, actionnaire de référence avec 29,71 % des actions, a exercé une influence déterminante lors de l’AGA en imposant un dividende de 3,00 CHF par action, bien supérieur aux 0,25 CHF initialement proposés par le Conseil d’Administration.22 Cette action démontre la puissance des actionnaires majeurs à orienter les décisions stratégiques, en particulier en matière de distribution de capital. Le représentant de Raiffeisen, Dominik Schärer, membre du conseil d’administration depuis 2019, ne s’est pas représenté à la réélection en mars 2024, invoquant la volonté d’assurer une « indépendance complète » du conseil.
D’autres figures clés ont également été mentionnées dans le contexte de Leonteq et de ses scandales, bien que les détails de leurs rapports spécifiques aux discussions internes ou aux dérives passées soient moins documentés, dans les informations publiées jusqu’ici.
- Ingrid Silveri, ancienne General Counsel de Leonteq, a rejoint l’entreprise en 2011 et a été responsable du département juridique à partir de 2014. Son parcours inclut des passages dans des cabinets d’avocats renommés comme Clifford Chance et Simmons & Simmons à Francfort. Elle a quitté son rôle au sein du Comité Exécutif fin septembre 2024, étant remplacée par Jasmin Koelbl-Vogt.
- Alessandro Ricci, ancien Head of Investment Solutions, a quitté Leonteq en mai 2025 et a été remplacé par Lorenzo Leccesi. Il était une figure clé dans le développement des plateformes numériques de Leonteq, comme LynQs.
- Marco Occhetti, Managing Director et Head of Southern Europe, a dirigé l’ouverture du bureau de Milan en octobre 2020 et a contribué à l’expansion de Leonteq en Italie.
- Julia Langedijk est mentionnée comme Managing Director, Head Legal Europe / Switzerland chez Leonteq.
- Reto Quadroni est le Chief Risk Officer (CRO) de Leonteq et membre du Comité Exécutif. Son départ à la retraite est imminent, et la recherche de son successeur est « bien avancée ». Il a une expérience significative en gestion des risques, ayant travaillé chez UBS et Swiss Re.
- Manfred Schwientek a été directeur chez Leonteq Securities (Europe) GmbH à Londres, d’où il co-dirigeait aussi les opérations portugaises, un poste qu’il a quitté en juin 2023.
- Mohamed El-Buhali, Managing Director and Head Middle East, avait rejoint Leonteq depuis 2012 et longtemps travaillé depuis Londres, avant d’ouvrir le bureau de Leonteq à Dubaï en 2021.
- Alejandro Poucuturi est le CEO de Leonteq Monaco, ayant établi et dirigé ce bureau pendant plus de 10 ans.
- Christophe Spagnier a été Managing Director chez Leonteq Securities AG avant de devenir General Partner chez Horus Energy.
- Thomas Glauss est Head Central Compliance chez Leonteq Securities AG.
- Sebastien Noujaim est Branch Manager et Head of Sales Paris chez Leonteq.
- Jules Creutz est associé chez Simmons & Simmons, un cabinet d’avocats qui a des liens avec Leonteq via des anciens employés.
- Nathanael Gabay est Co-Head of Sales France, BeLux & Israel chez Leonteq.
Les liens de connivence et conflits d’intérêt entre les dirigeants de Leonteq et leurs prestataires, notamment Ernst & Young (EY) ou le cabinet d’avocats Simmons & Simmons, ajoutent une couche de complexité et de suspicion à cette affaire. Marco Amato, ancien CFO de Leonteq, était partenaire chez EY avant de rejoindre Leonteq. Bien que Leonteq ait affirmé que l’enquête spéciale menée par une équipe indépendante d’EY en 2022 n’avait trouvé « aucune indication qui justifierait les allégations de blanchiment d’argent ou d’évasion fiscale », des médias comme le Financial Times ont rapporté que des lanceurs d’alerte avaient accusé EY de « blanchir des transactions suspectes ». De même, Ingrid Silveri, ancienne General Counsel de Leonteq, a travaillé chez Simmons & Simmons, un cabinet où Etienne Kowalski est également partenaire. Réciproquement, Leonteq confie ses intérêts judiciaires au cabinet Simmons & Simmon, mandaté pour le représenter en justice, notamment en France. Ces interconnexions soulèvent des questions sur la robustesse des prétendues « murailles de Chine » et la gestion des conflits d’intérêts, face à leur déni.
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