Des promesses de rendements de 8 à 21% avec des risques et des commissions cachées (photo © GPouzin)

L’investissement Outre-Mer fait souvent rêver les contribuables en mal de défiscalisation. Une sanction récente de l’Autorité des marchés financiers (AMF) dévoile les dessous de leur commercialisation, entre promesses de rendements trompeuses et commissions de ventes cachées.

Deontofi.com a lu pour vous la décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 26 juin 2020, à l’égard de la société CERES FINANCE, à Bourg-en-Bresse, et de son gérant M. Patrick Thierry.

Extraits :

Dans le cadre de son activité, Cérès Finance a notamment commercialisé trois produits d’investissement en Outre-Mer. Il s’agit des offres dites (i) L’Escale Fort de France, qui consiste en la souscription à une augmentation du capital de la SAS L’Escale Fort de France, société de construction vente d’un ensemble de logements situés à Fort-de-France (Martinique), impliquant la signature d’un pacte d’actionnaires comprenant une promesse unilatérale de rachat d’actions au bénéfice de la SAS L’Escale Fort-de-France et de deux promoteurs associés au projet de construction ; (ii) Acacia Location, qui consiste en la souscription des actions de la société Acacia Location, société par actions simplifiée constituée dans le cadre du dispositif d’incitation fiscale à l’investissement en Outre-Mer dit « Girardin industriel » (article 199 undeciès B du code général des impôts) et spécialisée dans la location d’engins d’extraction minière en Nouvelle Calédonie, et (iii) Nov’Acces, qui désigne une gamme de placements correspondant à des investissements dans la rénovation de logements dans les départements et territoires d’Outre-Mer en application du dispositif dit « Girardin industriel ».

Il est reproché à Cérès Finance d’avoir, dans le cadre de la commercialisation des trois offres susmentionnées, manqué à l’obligation de diffuser une information claire, exacte et non trompeuse, à l’obligation d’exercer son activité dans les limites autorisées par le statut de CIF, à l’interdiction d’encaisser des fonds de ses clients autres que ceux destinés à rémunérer son activité et à l’obligation de se comporter avec loyauté et d’exercer son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux des intérêts de ses clients. (p.2)

L’Escale Fort de France « 8 à 10% » illusoire

Il est reproché à Cérès Finance d’avoir, entre le 10 novembre et le 27 décembre 2016, contrevenu aux dispositions de l’article 325-5 du règlement général de l’AMF, dans sa version alors en vigueur, en ne communiquant pas à ses clients une information claire, exacte et non trompeuse sur la souscription de titres de la SAS L’Escale Fort de France. A ce titre, la notification de griefs fait référence à une brochure commerciale, remise à deux clients de Cérès Finance, présentant le taux de rendement annuel de l’offre L’Escale Fort de France sans aucune information sur les risques ni sur les promoteurs qui s’engagent au rachat d’actions. (p.3)

Dans le cadre de cette commercialisation, Cérès Finance a communiqué à plusieurs de ses clients un document, long de deux pages, intitulé « Investissez dans l’immobilier durable Immogreen et recevez un taux d’intérêt annuel de 8 à 10% ». La mention de ce taux d’intérêt dans le titre figure dans un encadré, fait l’objet d’une mise en gras, d’une police d’une taille supérieure, d’une couleur différente de celle utilisée pour le reste des textes compris dans ce document.

 Dans le corps de ce document, il est également mentionné que cet investissement permet d’obtenir « un taux d’intérêt annuel de 8 à 10% », « un taux de rendement annuel de 8 à 10% » et présente un « objectif de rendement de 8 à 10% ». Ce document indique en outre « NOTRE METIER : Sélectionner des projets sécurisés permettant de garantir la performance des investissements ».

Un rachat garanti hypothétique

Par ailleurs, le rendement annuel présenté est assuré par une promesse unilatérale d’achat, par laquelle les deux promoteurs associés au projet de construction se sont engagés à racheter les actions des souscripteurs, sans qu’aucune information financière ou comptable sur la santé et la solvabilité de ces promoteurs ne soit mentionnée dans ce document.

Ce document ne présentait pas un contenu exact, clair et non trompeur. Il s’ensuit que Cérès Finance a contrevenu aux dispositions de l’article 325-5 du règlement général de l’AMF de sorte que ce manquement est caractérisé.

7% de commission pour vendre L’Escale Fort de France

« En contrepartie de la bonne réalisation de sa mission, l’Apporteur [Cérès Finance] percevra une rémunération […] égale à un pourcentage du montant de l’investissement de chaque souscripteur réalisé selon le barème défini en Annexe 1 aux présentes », ladite annexe stipulant que « le barème de commissionnement pour la présentation de la SAS l’Escale Fort de France à tout demandeur d’informations est de 7% HT des souscriptions effectives ».

 En application de cette convention, Cérès Finance a fait souscrire des actions de la SAS L’Escale Fort de France à plusieurs de ses clients puis, le 29 décembre 2016, a émis une facture adressée à la SAS L’Escale Fort de France pour des « honoraires de mise en relation » pour un montant total de 21 306 euros. Soit une commission correspondant à 304 371 euros de ventes d’actions L’Escale Fort de France. (p.5)

Le deal calédonien d’Acacia Location

 Cérès Finance et la société Calédonienne d’Ingénierie, présidente d’Acacia Location, ont conclu une convention intitulée « mandat de commercialisation ». Son article 5 prévoit également la rémunération de Cérès Finance en ces termes : « Dans le cadre des souscriptions reçues par l’intermédiaire du Mandataire [Cérès Finance], c’està- dire effectuées par les clients de ce dernier, le Mandant [Calédonienne d’Ingénierie] s’engage à verser, à celui-ci une commission toutes taxes comprises égale à 1,80% du montant de la base éligible agréée (1.917.032 €) ». (soit 34 506 euros de commissions).

 En application de cette convention, Cérès Finance a fait souscrire des actions Acacia Location à ses clients puis, le 10 janvier 2016, a adressé à la société Calédonienne d’Ingénierie une facture pour le règlement des « commissions dues au titre des ventes des parts : SAS Acacia Location » d’un montant de 34 506 euros.

Une activité de vente de titres interdite aux CGP

Les CGP sont censés travailler pour leurs clients, même quand ils sont rémunérés par les fournisseurs de placements, comme c’est le cas dans le cadre de leurs activités de prescription de contrats d’assurance-vie ou de fonds d’investissements. Cependant, les CGP n’ont pas le droit d’être payés pour une mission de vente de titres à leurs clients.

La nuance est importante. Dans le cas des rétrocessions de commissions, le CGP est rémunéré indirectement par ses clients, puisque les commissions qu’il touche sont prélevées sur celles payées par les clients. Il doit d’ailleurs indiquer lesdites rétrocessions à ses clients. Dans le cas d’une mission de « placement non garanti », le CGP est missionné par une entreprise pour collecter de l’argent auprès de ses clients, ce n’est pas tout à fait la même chose.

L’article L. 541-1 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 24 octobre 2010 au 7 avril 2017, dispose : « I.- Les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle les activités suivantes : / 1° Le conseil en investissement mentionné au 5 de l’article L. 321-1 ; / 2° (Abrogé) / 3° Le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement mentionnés à l’article L. 321-1; / 4° Le conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers définis à l’article L. 550-1. / II.- Les conseillers en investissements financiers peuvent également fournir le service de réception et de transmission d’ordres pour le compte de tiers, dans les conditions et limites fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers et exercer d’autres activités de conseil en gestion de patrimoine […] ». (p.6)

L’article L. 541-8-1 du même code, dans sa version en vigueur depuis le 24 octobre 2010 non modifiée sur ces points depuis, dispose : « Les conseillers en investissements financiers doivent : / […] 2° Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent au mieux des intérêts de leurs clients, afin de leur proposer une offre de services adaptée et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs ».

Le service de placement non garanti ne figure pas parmi les activités susceptibles d’être exercées par un CIF énumérées à l’article L. 541-1 du code monétaire et financier. (p.7)

Interdiction d’encaisser des fonds de leurs clients

Les CGP n’ont pas le droit d’encaisser d’argent de leurs clients, en dehors des honoraires pour leurs conseils. Cérès se fait épingler aussi sur ce point, comme CGFI, pour avoir encaissé directement l’argent destiné aux investissements dans les DOM-TOM.

En l’espèce, il est établi que, dans le cadre de la commercialisation de l’offre Acacia Location, Cérès Finance a encaissé des fonds représentant un montant total de 723 680 euros, puis a viré cette somme, en deux fois, de son compte bancaire à celui de la société Acacia Location, le premier virement, pour un montant de 698 078 euros étant intervenu le 23 décembre 2015 et le second virement, de 25 602 euros, le 24 décembre 2015. (p.7)

21% de rentabilité vantés pour Nov’Access !

Avec l’Outre-Mer, rien n’est trop beau pour attirer les épargnants dans les méandres de la défiscalisation.

Cérès Finance a remis à l’un de ses clients une plaquette commerciale de 15 pages intitulée « Nov’Acces – La défiscalisation Citoyenne ». La page de couverture de cette brochure indique, dans un encadré, « 21% de rentabilité jusqu’au 15 novembre 2016 » et rappelle ce taux de rentabilité aux pages 4, 12 et 14 du document. 

Cette plaquette commerciale ne contient aucun avertissement sur les risques associés à la souscription de l’offre Nov’Acces. Elle indique, au contraire : « pas de risque financier : aucun financement complémentaire bancaire n’est nécessaire […] l’investisseur qui bénéficie sans risque d’un avantage fiscal sur mesure à forte rentabilité », alors même que M. Thierry a déclaré, lors de son audition par les contrôleurs, que « les promoteurs Girardin ne présentent pas les risques » et que le compte rendu de mission remis par Cérès Finance à son client, ayant souscrit à cette offre après s’être vu remettre la plaquette commerciale litigieuse, faisait état de risques de requalification fiscale et de défaillance de certaines sociétés civiles immobilières dans lesquelles pouvaient être investis les fonds collectés. (p.9)

Verdict :

Au regard de ces éléments, il convient de prononcer à l’encontre de Cérès Finance une sanction pécuniaire de 20 000 euros et une interdiction d’exercer la profession de CIF d’une durée de cinq ans et à l’encontre de M. Thierry une sanction pécuniaire de 80 000 euros et une interdiction d’exercer la fonction de CIF d’une durée de cinq ans.

Pour en savoir plus, retrouvez ici la décision de la Commission des sanctions de l’AMF.

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