En faisant miroiter la possibilité d’un gain connu d’avance, les placements à promesse et autres fonds à formule font oublier leurs risques de pertes. Surtout, leur montage opaque est un atout pour dissimuler des pratiques malhonnêtes, comme le détournement organisé de dizaines de millions d’euros par Natixis, filiale du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne, au détriment de ses clients. (photo © GPouzin)

La fausse bonne affaire des placements à promesse. Dans un contexte de rendements faibles et d’incertitudes boursières récurrentes, les banques et assureurs ont su séduire les épargnants frileux en quête de gains avec une formule simple : les placements à formule, aussi appelés placements à promesses, vendus à des millions de clients. Selon leur montage, certains promettent un rendement potentiel élevé, d’autres de profiter de la hausse de la Bourse avec une protection en cas de baisse, sous condition, ou au contraire « sauf si » les conditions du gain ne sont pas réunies. Résultat, les déceptions sont fréquentes, et certains fonds ont généré des milliers de réclamations et des litiges de masse, notamment Bénéfic de La Banque Postale, Ecureuil Europe et DoublÔ des Caisses d’Epargne, BNP Garanti Jet 3, parmi tant d’autres exemples.

Au final, ce sont des produits financiers très aléatoires, présentés dans un emballage rassurant. Plutôt que d’avouer aux épargnants que l’avenir est incertain, on leur dit « vous savez ce que vous aurez si les conditions sont réunies ». C’est mathématiquement équivalent mais plus efficace psychologiquement. La certitude fait plus vendre que l’inconnu !

Mise à jour du 15/4/2024 : Placement à formule frauduleux de BPCE, zéro indem aux victimes !

Notre confrère L’AGEFI nous apprend ce jour que la justice a déclaré irrecevables les actions en indemnisation des victimes, contre le fabricant de placements à promesse sanctionné pour ses fraudes, orchestrées par l’UFC Que Choisir soutenue par Maître Hélène Feron-Poloni du cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni. Dans sa décision confirmant l’irrecevabilité des victimes, la Cour de cassation rappelle que  » les investisseurs ont souscrit aux fonds à formule, soit dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie, ce qui vise en l’espèce 61% des cas, soit directement auprès de la société NIMI »(Natixis IM intl) et que « La société NIMI fait valoir que l’association UFC-QUE CHOISIR se fonde sur des manquements multiples » (…) « Or, l’article L. 623-1 susvisé impose à l’association de fonder son action sur un manquement résultant de la violation par le professionnel, soit de ses obligations légales, soit de ses obligations contractuelles, ce qu’elle ne caractérise pas en l’espèce puisqu’alléguant divers manquements légaux et/ou contractuels, sans indiquer clairement sur quelle obligation elle entend fonder son action de groupe ».

En résumé : plus un prestataire financier multiplie les « manquements » (appelés « fraudes », en français vernaculaire), plus il échappe facilement à l’indemnisation de ses victimes, surtout indirectes.*

Cet arrêt confirme qu’un fabricant de produits financiers moisis sanctionné pour ses infractions, ne risque aucun dédommagement des victime clientes de ses détaillants. C’est pire que la condamnation des fondateurs de l’Afer qui n’a jamais été exécutée grâce à la complicité des assureurs et du patron de l’association. Cette fois, c’est zéro condamnation et même zéro procès contre le gérant des placements sanctionné par l’AMF, un blanc seing pour les fripouilles !

Mise à jour du 8/3/2018: Ostrum AM ex-Natixis AM.
Natixis AM, la filiale de gestion du groupe Banque Populaires Caisses d’Epargne doit être rebaptisée Ostrum AM le 8 avril 2018.
Dans la finance, on change souvent de nom pour effacer son passé, éponger les traces de ses forfaits. On pourrait consacrer un article entier à ce sujet, et il serait d’ailleurs instructif d’étudier la fréquence des changements de noms dans ce secteur par rapport à d’autres ayant une clientèle grand public comparable. Quand une marque souffre trop de sa réputation, on change de nom. Alors forcément, quand on change de nom…

En coulisse, ces placements à formule sont en réalité des fonds d’investissements ou des produits financiers complexes, dont les caractéristiques optionnelles sont bien souvent incompréhensibles pour le commun des mortels, et même pour les experts. Ces placements à promesses sont de savants cocktails d’options sur les marchés à termes, structurées en un produit d’épargne, par des petits génies travaillant dans les salles de marché des grandes banques. A tel point que l’opacité de ces placements, encore appelés « produits structurés » ou « produits de salles de marché », rend leur contrôle difficile pour les autorités. Pendant des années, seuls les fabricants de ces placements en connaissaient réellement les recettes. L’enquête menée par le gendarme boursier sur 133 fonds à formule du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne a fini par percer le secret de ces boîtes noires, comme on l’apprend dans les détails de la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui vient d’infliger une amende record de 35 millions d’euros à la société de gestion du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne (Natixis).

Deontofi.com revient sur quelques détails croustillants de cette affaire mis en lumière par l’enquête de l’AMF. Lecture commentée d’une sanction instructive.

Qu’est-ce qu’un fonds garanti ?

L’AMF explique que les 133 fonds contrôlés « garantissent au porteur de récupérer, à l’échéance, l’intégralité du capital initialement investi (hors commissions de souscription) ainsi que la performance finale du Fonds telle que définie par une formule » (p.2).

Comment ça marche ?

Un fonds d’investissement classique est généralement constitué d’un portefeuille de titres, par exemple des actions cotées en Bourse. Dans le cas d’un fonds à formule, c’est plus complexe. L’actif du fonds est bien composé de titres financiers. Mais comment garantir le capital si ces titres baissent ? Contrairement à ce que croient certains épargnants, ce n’est pas la banque qui paye la différence pour assurer la garantie du capital en cas de baisse, mais les clients, à travers un mécanisme d’assurance financière intégré au fonctionnement du fonds, mais en dehors de son bilan comptable.

Prenons un fonds à formule promettant par exemple de profiter des gains de l’indice CAC 40 (hors dividendes) avec garantie du capital à l’échéance. En pratique, les fonds n’investit pas directement dans les actions du CAC 40. L’essentiel de son actif est composé de titres sûrs pour garantir le remboursement, les gains promis par la formule étant assurés par un mécanisme d’échange de performance (« swap » en anglais) avec une banque, comme l’explique l’AMF à propos des fonds de Natixis asset management (NAM) :

Ils sont constitués de deux parties : d’une part, un panier d’actifs figurant au bilan du Fonds qui va permettre de garantir ou protéger à l’échéance le capital investi, d’autre part, hors bilan, un swap de performance, conclu entre le Fonds et une contrepartie bancaire, qui permet de délivrer au Fonds la formule promise aux porteurs à l’échéance. En échange, le Fonds verse périodiquement à la contrepartie bancaire un flux variable. (p.2).

Pour chacun des Fonds, NAM a conclu une convention de garantie par laquelle le garant s’engage à combler l’éventuel écart entre la valeur liquidative du Fonds à l’échéance et la valeur liquidative garantie, sous réserve des évolutions fiscales et réglementaires susceptibles d’affecter la performance des Fonds. Le coût de cette garantie est intégré aux frais de gestion et donc supporté par les porteurs. Outre la garantie contractuelle, NAM a constitué une marge de sécurité exigée par le garant des Fonds, un « coussin » dont l’objet était, selon elle, de couvrir le risque de marché et le risque de taille pendant la phase de lancement, puis, pendant la vie des Fonds, de couvrir les risques règlementaires, opérationnels ou fiscaux.

En clair, l’assurance garantissant le capital est payée par les clients, ce qui n’est ni surprenant ni anormal. En revanche, on comprend que ces frais sont intégrés dans un « coussin de sécurité », où ils sont mélangés avec la « marge de structuration », c’est-à-dire « la différence entre les flux reçus par le Fonds provenant du swap de performance et les flux versés par le Fonds à la contrepartie bancaire et aux différents intervenants », principale composante du coussin de sécurité qui « alimente l’actif net du Fonds (compte de classe 1) durant la vie de celui-ci ».

Une fois ces ingrédients mélangés, il n’y a plus qu’à secouer pour déguster le cocktail. Par un tour de bonneteau comptable, dès lors que la marge réalisée pour garantir le remboursement en cas de problème dépasse la promesse de remboursement, ce qui est sa vocation par nature, elle bascule d’un tour de passe-passe au passif du fonds : ce qui était un actif devient une dette ! Versée à la société de gestion du groupe Banques Populaires Caisses d’Epargne. « A l’échéance, le reliquat de la marge de structuration, correspondant à la différence entre la valeur liquidative à

l’échéance et la valeur liquidative garantie (ci-après la « Différence issue de la marge de structuration »), est

débité de l’actif net et crédité dans un compte de dette du Fonds (compte de classe 4, dettes vis-à-vis de la SGP). »

Une partie des frais de sortie (ces placements à formule prélevant 4% de pénalités en cas de retrait anticipé avant l’échéance) sont également des ressources du fonds transformées en dettes, puisqu’elles doivent être reversées aux structures du groupe Banques Populaires Caisses d’Epargne. Il arrive cependant que ces commissions soient utilisées pour assurer la garantie du fonds si la marge de structuration n’y suffit pas, ce qui s’est produit « 7 fois sur 39 Fonds arrivés à échéance entre début 2012 et le 1er juin 2015 ». En clair, dans 18% des cas, les frais de sortie ont bien profité aux souscripteurs restant dans le fonds, et dans 82% des cas, l’Ecureuil Banques Populaires se les ai mit dans la poche.

Sans un coup de chance, le gendarme n’aurait probablement jamais découvert le pot aux roses, et les clients des fonds garantis de l’Ecureuil et des Banques Populaires continueraient à se faire dérober une partie de leur épargne dans ces placements en toute clandestinité. C’est le directeur de la conformité, du contrôle interne et des risques, qui a alerté l’Autorité des marchés financiers, comme dans bien des irrégularités protégées par la complicité des dirigeants (lien Lanceurs menacés).

Les patrons d’établissements financiers comme l’Ecureuil Banques Populaires s’estiment toujours innocents des infractions qu’on leur reproche (lien procès pérol), mais sont les premiers à s’indigner d’indélicatesses dans la façon dont on les a pris la main dans le sac.

En l’occurrence, le fait que l’enquête de l’AMF ait fuité dans la presse, la révélation de son contenu « est sans effet (…) sur les droits de la défense ».

Après que l’Ecureuil Banque Populaire ait viré le dénonciateur des détournements de frais clandestins par Natixis, la banque voudrait saborder l’enquête au motif que le collaborateur de l’AMF qui l’avait rencontré « ne serait pas impartial ». Quel humour cet Ecureuil ! Il est vrai que beaucoup de financiers considèrent uniquement leurs témoins subordonnés comme impartiaux, ça rappelle une anecdote sur la réaction d’Henri Moulard, ex-président de Truffle Capital qui s’indignait qu’un lanceur d’alerte puisse se faire accompagner lors d’une audition à l’AMF par un citoyen de son choix, comme le prévoit la loi, en l’occurrence un journaliste, mais on la racontera plus tard.

En vrai, les Banques Populaires Caisses d’Epargne ont tout simplement enfreint leur obligation d’honnêteté vis-à-vis des souscripteurs de leurs placements, en leur cachant des frais prélevés clandestinement. Comme le rappelle le gendarme boursier, L’article L. 533-12 I du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur depuis le 1er novembre 2007, énonce : « I.- Toutes les informations, y compris les communications à caractère promotionnel, adressées par un prestataire de services d’investissement à des clients, notamment des clients potentiels, présentent un contenu exact, clair et non trompeur. Les communications à caractère promotionnel sont clairement identifiables en tant que telles ».

La sanction détaille ensuite la façon dont Natixis opérait son larcin en mentant sur les frais.

Comme la part des frais de retrait anticipé attribuée au fonds était quatre fois supérieure aux coûts qu’elle devait couvrir, le gérant s’octroyait le surplus, d’un tour de passe-passe comptable.

Les règle inventées par Natixis pour détourner une partie des frais de sortie sont bien sûr illégales, au regard de la présentation trompeuse que la banque en fait, rappelle la sanction.

Sur la période examinée, sans compter ce qui a pu être volé avant 2012 aux épargnants, le groupe Ecureuil Banques Populaires a abusivement prélevé 15,6 millions d’euros à son profit dans les fonds de ses clients.

Gonflée, Natixis « prétend que cette écriture comptable ne correspond pas à une rémunération mais à une provision pour risque »… qu’elle se met néanmoins dans la poche, prétextant que « si les commissions de rachat avaient été maintenues dans l’actif net, elles auraient artificiellement augmenté la valeur », au bénéfice des épargnants restant qui « auraient obtenu un bénéfice indu puisque supérieur au montant fixé par le prospectus ».

Mais alors pourquoi indiquer que les frais sont acquis au fond, si cette pratique est « artificiellement » avantageuse pour les clients ? Simplement pour leur mentir en ne respectant pas cette règle ? Ce ne serait pas très honnête, loyal et professionnel, et donc en infraction avec l’article L.533-1 du Code monétaire et financier.

Evidemment l’argument du « gain artificiel » évoqué pour appauvrir ses clients ne tient pas.

Avoir détourné des actifs acquis aux fonds, en l’occurrence les frais de sortie, n’est déjà pas joli, mais comme c’est une rémunération déguisée de la société de gestion, cela augmente les frais de gestion qui dépassent le maximum autorisé dans le prospectus.

Natixis conteste la qualification de frais de gestion, en gros ce sont des frais qu’ils prennent clandestinement sans justification, il est vrai qu’ils ne sont peut-être pas dignes d’être appelés « frais de gestion », c’est plutôt des « frais tout court ».

En clair, Ecureuil Banque Pop a fait supporter à ses clients des frais cachés dont il était bénéficiaire, et donc au mépris du « seul intérêt » des clients.

Même les rapports annuels des fonds étaient faux, puisqu’ils occultaient les commissions de rachat qui auraient dû figurer dans les frais de gestion pour 14,9 millions d’euros.

Mais ce n’est pas tout, car le groupe Ecureuil Banques Populaires avait aussi trouvé une autre astuce pour détourner à son profit l’argent de ses clients, en puisant clandestinement 12,5 millions d’euros dans leurs fonds, rien que sur les années 2012 à 2015, ses larcins antérieurs demeurant à jamais impunis pour cause de prescription (p.13).

Cet argent censé provenir des opérations financières réalisées pour les clients est d’abord inscrit à l’actif du fonds, puis transformé en dette… Ce prélèvement constitue bien des frais de gestion déguisés. Pour contester avoir dépassé son plafond de frais de gestion, Natixis conteste qu’ils soient calculés sur l’année, argument fantaisiste contredit par un message du directeur financier qui sait bien qu’on les compte annuellement ( p.14)

Là encore, la banque se prend les pieds dans le tapis en tentant de justifier son opacité comme un jeu de piste facile à deviner pour les bons limiers.

S’emparer frauduleusement de ce qui appartient à autrui, c’est du vol. Même si par pudeur l’autorité administrative ne qualifie jamais ainsi les voleurs qu’elle sanctionne, elle souligne la « grande ampleur » du détournement et la « particulière gravité » des fraudes de Natixis à l’encontre des clients du groupe Ecureuil Banques Populaires (p.16).

Les méthodes de délestage des clients sont très rentables, si l’on en juge par les bénéfices de Natixis Asset Management : 90 millions d’euros en 2014 et 111 millions en 2015 (p.17). Combien détournés clandestinement avant la période de prescription ? Même le gendarme boursier n’en sait rien, et pour cause, il lui est interdit de sanctionner les détournements antérieurs au 3 février 2012, qui bénéficient d’une impunité totale protégeant les coupables en raison de leur prescription.

Et pourtant, comme toutes les banques le groupe Ecureuil Banque Pop revendique un haut degré de contrôle interne et de conformité, en embauchant des contrôleurs aussitôt débarqués s’ils contestent des magouilles qu’ils refusent de couvrir, comme ce pauvre directeur de la conformité grâce à qui les épargnants-consommateurs savent aujourd’hui comment ils se font plumer par les banques, en particulier avec leurs placements à promesses et produits structurés opaques quasi-impossibles à contrôler.

Les fonds à formule et autres placements à promesse recèlent décidément bien des secrets permettant à leurs fabricants de s’enrichir plus ou moins malhonnêtement sur le dos de leurs clients.

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