Faut-il une taxe sur les transactions financières ? Posée par la Fondation Croissance Responsable, cette question était un vrai test pour évaluer l’orientation « politique » de son Rapport sur la Finance Responsable. Deontofi.com en commente la lecture.

Sous l'égide de l'Institut de France, la Fondation Croissance Responsable a présenté dans cet écrin son Rapport sur La Finance Responsable. (photo © GPouzin)

Sous l’égide de l’Institut de France, la Fondation Croissance Responsable a présenté dans cet écrin son Rapport sur La Finance Responsable. (photo © GPouzin)

On était curieux de savoir comment la commission « Finance responsable » traiterait cette épineuse question : Faut-il une taxe sur les transactions financières ? Comme aux autres questions abordées, elle y consacre trois pages dans son rapport (disons plutôt deux pages un quart pour cette question). Le préambule rappelle que « la France a instauré une taxe sur les transactions financières (TTF) sur les actions françaises cotées, le 1er août 2012 ». C’est vrai, cette taxe de 0,2% est prélevée sur tous les achats et ventes d’actions françaises cotées en Bourse.

Pour être précis, on peut ajouter que cette taxe avait finalement remplacé l’impôt de Bourse supprimé quatre ans auparavant après cent-quinze ans d’existence (créé en 1893 et supprimé en 2008, l’impôt de Bourse était de 0,3% sur les transactions inférieures à 153 000 euros et 0,15% au-delà, il rapportait 240 millions d’euros par an au fisc). Le rapport ne le mentionne pas, il n’y avait sans doute pas la place de tout dire.

En revanche, la Fondation Croissance Responsable a trouvé de la place pour écrire que le rétablissement de cette taxe sur les transactions « aurait eu pour effet de faire baisser de près de 9% le montant des échanges sur les actions à la Bourse de Paris sur les sept premiers mois 2013 », mais sans citer sa source ni aucun travaux académiques étayant cette rumeur. Dommage, le débat aurait gagné en pertinence.

Jusqu’ici, les seuls travaux académiques sérieux sur l’impact de la taxe sur les transactions financières ont plutôt démontré sa neutralité, comme Deontofi.com l’avait souligné dans deux articles à relire d’urgence.

Pour son état des lieux, la Commission Finance Responsable s’est concentrée sur l’actualité du projet de taxe sur les transactions financières porté par onze pays de l’Union européenne, dont la France et l’Allemagne. Les objectifs sont présentés en trois points : harmoniser l’imposition directe des transactions financières, faire contribuer les établissements financiers à la couverture du coût de la crise avec une équité fiscale par rapport aux autres secteurs, décourager les transactions qui n’améliorent pas l’efficience des marchés.

Après une mention du « grain de sable » dans les rouages du marché, évoqué par James Tobin en 1972, le rapport souligne que « les ONG aimeraient que les sommes collectées viennent financer l’aide au développement et la lutte contre la pauvreté ». C’est une information intéressante mais pour le coup un peu éloignée du débat précédent. Pourquoi ne pas avoir été au bout de la présentation du projet de TTF européen, en expliquant aux lecteurs qu’elle pourrait rapporter 30 à 35 milliards d’euros aux Etats pour réduire leurs déficits et alléger le fardeau fiscal des contribuables ?

Vient ensuite le plaidoyer des banques. On s’en doutait. Même si sa Commission Finance Responsable a su mener ses auditions en donnant la parole à tous les points de vue dans un souci de diversité et de crédibilité, la Fondation Croissance Responsable n’a pas une pensée totalement émancipée de ses promoteurs et sponsors (Medef, banques, sociétés du CAC 40…).

La partie « débat » prend donc une autre tonalité sous le titre « Peut-on appliquer une taxe sur les transactions financières sans en mesurer l’impact sur toutes les activités financières ? ». Un peu comme si on disait « peut-on appliquer une hausse de la TVA sans en mesurer l’impact sur toutes les activités économiques ? ». Justement, « ça n’a rien à voir», nous expliquent ces chers banquiers. « Même si les taux de cette taxe [NDLR 0,1% sur les achats de titres et 0,01% sur les options et autres bombes], paraissent minimes au regard d’une TVA à 20%, ils auraient un impact réel sur les activités de court terme… ». En clair, si on ne mesure pas bien toutes les conséquences de la TVA à 20% pour l’économie, la consommation et l’emploi, c’est quand même moins grave que de taxer les transactions financières entre 0,01 et 0,1% !

En dehors d’une réserve concernant les transactions à haute fréquence (plusieurs achats-ventes par seconde), l’essentiel du débat consiste donc à discréditer avec force mauvaise foi l’intérêt qu’auraient les citoyens à soutenir le projet de taxe sur les transactions financières que l’industrie financière veut empêcher par tous les moyens. En vrac, on lit d’abord que cela va être très coûteux pour ces « pauv’tites banques aux marges si faibles » (concernant l’arbitrage), voire exorbitant pour leur refinancement (25% par an sur une opération de « repurchase agreement » ou repo renouvelée quotidiennement !), et que la TTF réduira le rendement des Sicav monétaires « qui ne dégagent actuellement un rendement que d’environ 1% » (en réalité déjà près de zéro grâce à la baisse des taux de la BCE, lire à ce sujet l’appel du gouverneur de la Banque de France à réduire le taux du Livret A).

Les trois meilleures pour la fin. On lit ensuite que la TTF pourrait inciter les clients à faire moins d’opérations, ce qui réduirait l’activité des marchés (comme dirait Lapalisse, moins d’activité réduit l’activité). Mieux : « les utilisateurs de produits dérivés, dont les entreprises, pourraient limiter leurs activités de couverture des risques de leurs activités ». Et se faire dévorer par le grand méchant loup tant qu’on y est !

Soyons sérieux. Y a-t-il une once de preuve que les entreprises renonceraient à souscrire une assurance les préservant de risques identifiés, à cause d’une taxe de 0,01% sur leur prime d’assurance ? Enfin « la taxe réduirait les marges des intermédiaires financiers qui pourraient en répercuter le coût à leurs clients », ce qu’ils font déjà très aisément puisqu’il faut rappeler que les banques ont le privilège de prélever leur rémunération directement sur les comptes de leurs clients sans avoir à leur demander aucun paiement ni leur envoyer de facture.

En résumé, la Fondation Croissance Responsable n’est pas crédible dans son plaidoyer contre la taxe sur les transactions financières. Même si ses arguments sont présentés avec douceur, elle ne fait que joindre sa voix à celles du lobby bancaire qui semblent prêtes à tout pour faire échec au projet de TTF européen, y compris par l’intermédiaire d’un prestigieux porte-parole, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer.

Concernant l’étrange militantisme de la Banque de France contre la taxation des transactions financières, lisez absolument l’excellente analyse (c’est-à-dire documentée, plutôt qu’étalant des opinions éditorialisées) de Gunther Capelle-Blancard, professeur d’économie à la Sorbonne et directeur du Master Monnaie-Banque-Finance, directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii.fr), et président de la commission « Système financier et financement de l’économie » du Conseil national de l’information statistique (Cnis.fr) :

Un économiste dénonce les faux arguments contre la taxation des transactions financières : « Christian Noyer sombre dans la caricature s’agissant de la taxation des transactions financières »

Lire les articles de Deontofi.com sur ce sujet :

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