Au-delà du chiffrage précis des amendes, Deontofi.com explique les manipulations des taux de change par les banques et s’attarde sur une des causes de ce scandale, inhérente à la culture du secret et à l’organisation pousse-au-crime des activités financières.

Un passage secret réservé aux initiés. (photo © GPouzin)

Un passage d’informations secrètes réservé aux initiés, pour doper leurs bonus, ceux de leurs supérieurs et les profits des banques, au détriment des autres intervenants ignorants ou sur le dos de leurs clients. (photo © GPouzin)

Derrière le scandale de manipulation mondiale des taux de change, il y a aussi le fond et la forme. Sur la forme, les méthodes sont un peu les mêmes que dans d’autres fraudes financières, qu’il s’agisse de de manipulation de marché, délit d’initié ou de fausse information. Il y a toujours d’un côté les victimes ignorantes et de l’autre ceux qui savent : des opérateurs financiers détenteurs d’information qu’ils sont bien placés pour exploiter, au détriment des autres intervenants du marché et souvent de leurs propres clients avec qui ils sont en conflit d’intérêt.

« On ne veut pas que les crétins soient au courant »

L’enquête révèle ainsi que certains traders en devises des grandes banques coordonnaient leurs transactions avec des traders d’autres banques pour manipuler les taux de change, notamment le cours des devises fixé chaque jour à 16h (fixing, ou fixage en français). Pour ce faire, les traders utilisaient des services de messagerie instantanée privés (« chat rooms » en anglais) pour s’échanger toutes sortes de tuyaux, notamment les ordres confidentiels de leurs clients, et modifier leurs positions et stratégies afin de manipuler les taux de change de 16h, pour maximiser leurs bonus et les profits des banques.

Sans entrer dans le détail de leurs échanges, certains dialogues trahissent bien l’état d’esprit de tricherie des traders. « On ne veut pas que d’autres crétins sur le marché soient au courant », réplique ainsi un trader de HSBC dans un échange avec ses complices d’UBS et JP Morgan Chase sur l’admission d’un quatrième larron dans leur cartel. Une fois admis dans le cartel de messagerie privée, les traders s’informaient de leurs transactions en préparation pour des clients et coordonnaient leurs interventions à l’heure du fixing, pour tenter de manipuler les taux de change au profit des banques sur le dos de leurs clients.

Les bonus pousse-au-crime des traders à l’origine des fraudes

Une fois de plus, la culture des bonus et du « pas-vu-pas-pris », c’est-à-dire la capacité des dirigeants de banques à fermer les yeux sur toutes les fraudes qui les arrangent et les enrichissent, se retrouve au cœur de ce scandale. Même l’autorité financière helvétique (Swiss Financial Market Authority, ou FINMA) a osé sanctionner le géant suisse UBS en insistant sur ce point névralgique. Un geste d’indépendance assez audacieux pour être souligné, comparé à la complaisance habituelle des autorités helvétiques avec les dérives bancaires suisses.

« UBS a gravement contrevenu à l’exigence de garantie d’une activité irréprochable », dénonce ainsi la FINMA dans son communiqué, précisant que « la grave violation des dispositions prudentielles a permis à la banque de réaliser des bénéfices (…). La FINMA a donc décidé une confiscation des bénéfices indûment réalisés (couvrant aussi les frais évités) pour un montant de 134 millions de francs » [NDLR francs suisses, évidemment].

Le plus intéressant vient ensuite, car les mesures correctrices requises par la FINMA pointent directement la responsabilité des bonus dans l’incitation à la fraude des professionnels de la finance en général, et des opérateurs de marché en particulier. Le communiqué précise ainsi :

  • Mesures concernant la rémunération variable : Pour le commerce global de devises et de métaux précieux, la FINMA a limité la rémunération variable par an à maximum 200 % du salaire de base, et ce, pour une durée de deux ans. Concernant les autres hauts salaires de la banque d’investissement en Suisse qui perçoivent une rémunération variable représentant plus de 200 % de leur traitement de base, cette rémunération doit passer par un processus particulier de contrôle et d’approbation.
  • Automatisation du négoce en devises : UBS a été obligée de procéder à l’automatisation d’au moins 95 % du négoce global de devises.« 

On ne peut être plus clair : pour éviter les fraudes, il faut éviter d’exposer des humains par nature corruptibles, subordonnés aux incitations de leur hiérarchie à tricher en cachette pour doper leur rémunération et celle de leurs chefs. Ce problème est régulièrement soulevé par Deontofi.com au fil de ses articles (Une émulation interdite aux Caisses d’EpargneLes bonus poussent au crime sans crainte de sanctions…  La hiérarchie irresponsable des lampistes coupables ou encore Comment les Banksters sévissent en toute impunité !).

Sur ce dernier point, le gendarme britannique veut que sa pluie d’amendes serve d’avertissement aux dirigeants de banques, dorénavant « responsables » des malversations organisées de leurs équipes.

“La FCA ne tolère pas les pratiques qui mettent en péril l’intégrité du marché, explique ainsi Martin Wheatley, directeur général de la FCA. Les amendes record d’aujourd’hui marquent la gravité des défaillances que nous avons découvertes et la nécessité que les sociétés soient responsables de les corriger. Elles doivent s’assurer que leurs traders ne jouent pas avec le système pour doper les profits ou laisser au soin des services de conformité de se soucier de leur éthique. L’engagement des hauts dirigeants à changer doit devenir une réalité dans tous leurs domaines d’activité. »

Dans l’esprit du gendarme britannique, ce message ne s’adresse pas qu’aux banques prises en flagrant délit, mais à tout le secteur financier. « Nous lançons un programme correctif visant l’ensemble du secteur pour nous assurer que les sociétés traitent les causes à l’origine de ces défaillances, indique le communiqué de la FCA. Nous exigerons des hauts dirigeants des sociétés qu’ils prennent la responsabilité de réaliser les changements et attestent que ce travail a été accompli ».

Lecteurs attentifs de Deontofi.com, vous êtes donc invités à vérifier, d’ici quelques années, où se nichera la tricherie, au cas où elle aurait miraculeusement disparu du marché des changes et des activités de marché en général, première source de profits… et de faillites bancaires. Il faut sûrement beaucoup d’espoir pour y croire.

Pour en savoir vraiment plus sur la manipulation des taux de change par les banques :
1: Communiqué de la CFTC américaine du 12 novembre 2014
2: Communiqué de la FCA britannique du 12 novembre 2014
3: Communiqué de l’OCC américain du 12 novembre 2014
4: Communiqué de la FINMA suisse du 12 novembre 2014

3 commentaires

    • Gilles Pouzin, le

      Bonjour et merci pour votre commentaire et l’article signalé. Comme vous le rappelez, les entorses à la déontologie financière dans les banques ne datent pas d’hier.
      La menace « que des dirigeants soient passibles d’une peine d’emprisonnement de sept ans et d’une amende au montant illimité s’il était prouvé que la faillite d’un établissement financier a été causée par leurs décisions » a le mérite de marquer les esprits symboliquement.
      Mais dans la pratique, on sait que de telles lois sont rarement votées et souvent inapplicables, car les dirigeants plaident systématiquement « c’est pas ma faute, on a fait comme les autres, c’est la faute de la crise ». On appelle cela de la communication politique.

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