Après la demande de sursis à statuer des avocats des parties civiles, la présidente Mireille Filippini entame un nouveau sujet : la manipulation de cours alléguée de Vivendi par le biais de son programme de rachat d’actions mis en œuvre dans des conditions rocambolesques. Extraits de la seconde partie de l’audience du mardi 5 novembre 2013 à la 5ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris. (Tout le feuilleton ici)
La présidente vérifie l’identité des prévenus. Au total, cinq personnes sont concernées : Jean-Marie Messier ex-PDG de Vivendi, Guillaume Hannezo ex-directeur financier, François Blondet ex-trésorier adjoint, Hubert Dupont-Lhotelain ex-trésorier de Vivendi, et Philippe Guez président de Deutsche Equities, à qui on reproche d’avoir exercé une manœuvre sur un marché financier, en procédant du 17 septembre au 2 octobre 2001 à l’achat de 23,7 millions de titres pour 1,16 milliard d’euros, alors que ces achats ont été réalisés avant et pendant l’annonce le 25 septembre 2011 des résultats de Vivendi pendant laquelle la société devait s’abstenir d’intervenir sur ses propres titres, dans le respect de l’article 8 du règlement 90-04 de la Commission des opérations de Bourse et du communiqué de la COB du 12 septembre 2001 assouplissant ses règles dans le contexte des attentats du 11 septembre à New York. Selon l’acte que relit la présidente, les dirigeants de Vivendi ont fait acheter 3,254 millions d’actions lors de la seule journée du 25 septembre 2001, représentant 34% des achats de la séance, avec une concentration sur la dernière demi-heure de cotation dans le seul but de faire monter le cours de l’action à 50 euros en marge de la conférence de presse que donnait Jean-Marie Messier, ce qui aurait induit les investisseurs en erreur quant à la santé et la valeur réelle de la société.
La présidente précise que monsieur Hannezo est poursuivi pour complicité dans cette manipulation dans la mesure où « il s’est abstenu volontairement de donner instruction de cesser ces achats alors qu’il avait obtenu de la COB la confirmation de l’interdiction d’intervenir sur les titres de la société ». Il a par ailleurs adressé un courrier mensonger dans lequel il certifie que les achats d’actions du 17 au 25 septembre 2001 par l’intermédiaire de Deutsche Equities ont été réalisés dans le stricte respect de la réglementation applicable, incitant Deutsche Equities à poursuivre ses achats jusqu’au 2 octobre.
La présidente rappelle le contexte réglementaire de l’époque. Alors que les rachats d’actions par les sociétés cotées sont soumis à un encadrement et des restrictions très strictes aux Etats-Unis, la SEC a totalement suspendu leur application après le 11 septembre pour endiguer la panique. La position de la COB publiée le 12 septembre 2001 est plus nuancée puisqu’elle suspend provisoirement la présomption de manipulation de cours sur les rachats de titres effectués par des sociétés dans les quinze jours précédent la publication de leurs résultats, à condition que les sociétés anticipent la publication de leurs comptes en présentant les chiffres dont ils disposent, quitte à préciser leur caractère provisoire s’ils n’ont pas encore été approuvés par le conseil d’administration.
Vivendi n’a pas respecté cette obligation. La société n’a bien publié le 23 juillet 2001 que les résultats de la branche médias, alors que les résultats de Videndi Environnement (Véolia) et les résultats consolidés du groupe Vivendi ne sont publiés que le 25 septembre 2001.
Entre le 13 et le 15 septembre, Jean-Marie Messier décide avec Guillaume Hannezo d’acheter des actions Vivendi dès la réouverture de Wall Street le 17 septembre 2001. Un programme de rachat d’actions par la société avait été validé préalablement et permettait aux dirigeants d’acheter 54 millions d’actions pour une valeur maximale de 10 milliards d’euros. La présidente observe que ce programme d’intervention ne stipule pas de cours maximum d’achat ni de cours minimum de vente, ce qui est assez inhabituel.
Reste à trouver l’argent pour financer ces achats, car Vivendi traverse à l’époque une grave crise de trésorerie que les dirigeants tentent de dissimuler, comme l’histoire le confirmera. Le 16 septembre 2001, les dirigeants trouvent un accord avec la Deutsche Bank dont Vivendi est cliente. La banque fera exécuter les rachats d’actions par sa filiale Deutsche Equities pour une valeur de 1,7 milliard d’euros à financer sur la vente future de la participation de Vivendi dans la chaîne de télé payante BSkyB, Deustsche Bank accordant un prêt relais d’un montant équivalent dans l’intervalle. Même si le prêt relais n’est effectivement accordé que le 26 septembre, Deutsche Equities commence dès le 17 septembre à acheter des actions Vivendi par ordre et pour compte de Vivendi. La vente de BSkyB sera signée le 3 octobre, pour un montant de 2,6 milliards d’euros, dont 1 milliard servira à payer les rachats par Vivendi de ses propres actions.
Le 17 septembre, Jean-Marie Messier charge Guillaume Hannezo, directeurr financier de Vivendi, de vérifier auprès du gendarme de la Bourse que les éléments d’information financière déjà publiés, sans constituer une publication des comptes, respectent suffisamment la réglementation, estimant que le fait d’avoir seulement publié les comptes de Vivendi Média suffisait à remplir les exigences de la COB. Guillaume Hannezo appelle la COB, il veut parler à Gérard Rameix, son directeur général de l’époque, mais il est absent. On lui passe Hubert Reynier avec qui il s’entretient. Mr Hannezo considère que Vivendi Universal est sous-valorisé et dit qu’il veut vérifier s’il peut mettre en œuvre le programme de rachat d’actions. Mr Reynier lui répond en relisant simplement les règles rappelées dans le communiqué de la COB du 12 septembre, qui constitue déjà un assouplissement des règles. Mr Hannezo répond que Vivendi a déjà publié des comptes provisoires le 23 juillet 2001. Mr Reynier se souvient que seuls les résultats de la branche médias ont été publiés, il demande quand les comptes de la branche environnement seront publiés. « D’ici une à deux semaines, lui répond Mr Hannezo, mais le cours de Vivendi Universal dépend plus de sa branche médias et Vivendi a déjà effectués des rachats de ses titres ». Etonné par cette information, Mr Reynier se déclare incompétent pour accorder des dérogations au règlement de la COB et qu’il n’y en avait pas au-delà de ce qui était dit dans le communiqué du 12 septembre. Enfin, qu’il en informera le directeur général de la COB.
Dans une note interne du 19 septembre, Guillaume Hannezo relate cet appel en indiquant que son interlocuteur s’est limité à rappeler la position de la COB du 12 septembre et a précisé que le communiqué de Vivendi de juillet n’indiquant pas les résultats de Vivendi Environnement, il ne satisfaisait pas ces règles.
Après cette longue présentation du contexte et de la mise en œuvre du programme de rachats de titre, la présidente souhaite se pencher sur la réalité des transactions elles-mêmes.
Merci cher lecteur pour ces encouragements et commentaires.
Les associations d’épargnants ne sont pas oubliées sur Déontofi et leur rôle essentiel est souvent mentionné dans nos articles, notamment celui de l’Arcaf bien sur :
http://92.222.21.155/deontofi/larcaf-sinquiete-des-comptes-obscures-de-la-retraite-prefon/
Après le procès pénal en appel de Jean-Marie Messier, Déontofi suivra celui de l’ex-président du Cref, René Teulade, accusé d’avoir puisé à son profit dans la caisse de ce régime de retraite battant de l’aile, lésant un peu plus ses bénéficiaires.
http://92.222.21.155/deontofi/cref-des-dirigeants-du-regime-de-retraite-sur-le-banc-des-accuses/
Bravo pour ces infos précieuses qu’on ne trouve pas dans les autres médias. Mais n’oubliez pas les associations d’épargnants dans la liste de vos interlocuteurs mentionnée dans l’onglet « qui sommes-nous ».
Bon courage !