Ouvrir un Plan d’épargne en actions PME-ETI peut être intéressant pour certains investisseurs souhaitant diversifier leur patrimoine en misant sur des valeurs moyennes européennes prometteuses, dans le cadre fiscal avantageux de ce nouveau dispositif créé en 2014. Mais les critères d’éligibilité sont flous et les épargnants se voient interdire l’accès à des centaines de valeurs européennes cotées à l’étranger pourtant éligibles. Entretien avec Nicolas Braun, cofondateur de la société de gestion Constance Associés, qui a sollicité l’avis du fisc pour débloquer cette situation.
Le PEA PME-ETI, officiellement lancé début 2014, est censé favoriser l’investissement des épargnants dans un sous-ensemble des entreprises éligibles au PEA classique, dès lors qu’elles respectent certains critères de taille, en bénéficiant d’un cadre fiscal comparable dans la limite d’un plafond de versements de 75 000 euros, cumulable avec celui d’un PEA classique.
Seul problème, l’appréciation des critères d’éligibilité est un vrai casse-tête ! Comment compter les salariés et examiner les seuils financiers si une société fait partie d’un groupe ? Dans quelles proportions apprécier sa contribution ou celle de ses participations aux critères d’éligibilité ? Qui décide si les titres d’une société sont éligibles ou non au PEA PME ? La société elle-même ? Le détenteur du PEA PME ? Son intermédiaire, courtier ou gérant ? Le prestataire dépositaire ou teneur de compte de cet intermédiaire ? Ou encore le marché sur lequel sont cotés les titres, comme Euronext, voire l’administration elle-même ?
En cherchant les réponses à ces questions, Nicolas Braun, directeur général et cofondateur de la société de gestion de portefeuille Constance Associés, a mis le doigt sur des imprécisions et incohérences de la réglementation et de son interprétation. Deontofi.com l’a rencontré alors qu’il préparait une demande de rescrit à l’administration fiscale, procédure visant à obtenir l’avis du fisc sur la méthode mise en œuvre par un contribuable pour respecter la réglementation fiscale.
Deontofi.com : Quels problèmes avez-vous rencontré en tant que gérant pour sélectionner des actions éligibles au PEA PME ?
Nicolas Braun : Pour certains de nos clients, le PEA PME présente une opportunité de diversification permettant d’investir dans des valeurs européennes prometteuses, en particulier des entreprises de taille moyennes (ETI), avec un cadre fiscal allégé et un horizon géographique européen, puisque les critères d’éligibilité au PEA PME, comme pour le PEA classique, couvrent 31 pays de l’Espace économique européen : les 28 pays de l’Union européenne plus la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein. Nous avons donc commencé, il y a quelques mois, à sélectionner un univers de titres en principe éligibles au PEA PME. Nous avons vite découvert que tous les professionnels n’avaient pas la même interprétation des critères d’éligibilité, eux-mêmes assez complexes.
Deontofi.com : Comment connaître la liste des titres éligibles au PEA PME-ETI ?
Nicolas Braun : Il n’y a pas de liste officielle garantissant que des titres soient éligibles au PEA PME. Les critères d’éligibilité ont été définis de façon assez floue au départ, dans l’article 70 du projet de loi de finance (PLF) pour 2014, publié au Journal officiel du 30 décembre 2013. Ces critères ont donné lieu à des premières interprétations, notamment de la part de la société Euronext, qui a anticipé le lancement effectif du PEA PME en annonçant la création, le 27 février, d’un indice boursier baptisé Euronext CAC PME, regroupant une sélection de titres considérés comme éligibles au PEA PME. Mais cette liste n’a rien d’officiel, comme Euronext le précise dans un avertissement pour se dégager de toute responsabilité. D’ailleurs, certaines valeurs ont été retirées de l’indice, comme Eutelsat, M6, Rémy Cointreau ou Recyclex qui figuraient dans sa composition initiale, ou Sartorius Stedim, Transgène et Carmat dont l’éligibilité au PEA PME a aussi fait débat par la suite.
Deontofi.com : Quelle est la difficulté pour déterminer si une valeur est éligible ou non au PEA PME ?
Nicolas Braun : Au départ, les critères semblaient simples, ils désignaient les sociétés ayant leur siège dans un pays de l’Espace économique européen, payant l’impôt sur les sociétés, et employant moins de 5000 salariés, avec un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan inférieur à 2 milliards d’euros, selon le texte de loi initial repris aux articles L221-32-1 à L221-32-3 du Code monétaire et financier. Mais l’appréciation de ces critères est plus complexe quand une société fait partie d’un groupe, soit en tant que filiale, soit avec ses propres participations dans des sociétés liées ou partenaires. La mesure des critères d’éligibilité a donc été précisée par un décret n°2014-283 du 4 mars 2014 créant les articles D221-113-1 à D221-113-7 du Code monétaire et financier en se référant à la définition d’une PME qui est portée en annexe I du Règlement CE n°800/2008 de la Commission européenne du 6 août 2008.
Deontofi.com : Un vrai jeu de piste ! Les précisions réglementaires ne permettent-elles pas de mieux déterminer les actions éligibles au PEA PME ?
Nicolas Braun : En théorie, bien sûr. Ces textes assez techniques ont aidé les professionnels à mieux appréhender les critères d’éligibilité et à modifier leurs sélections, même s’ils auraient été plus lisibles avec des exemples. Tout à commencé avec un rapport de l’Obsevatoire des entrepreneurs PME Finance intitulé « PEA-PME : le coup d’envoi », publié le 18 mars 2014 après la sortie du décret, qui a pointé des incohérences dans la composition de l’indice Euronext CAC PME. En résumé, si l’on reprend l’exemple de la société de spiritueux Rémy Cointreau, elle respecterait les critères du PEA PME en tant que société seule, mais pas avec ses 42 filiales « liées » (contrôlées à plus de 50%) et ses six filiales « partenaires » (participations entre 25 et 50% du capital). Le rapport de PME Finance a permis de sensibiliser les professionnels et les pouvoirs publics à la complexité de ces critères, mais il contient aussi des erreurs.
Deontofi.com : Vous voulez dire que des valeurs initialement considérées comme éligibles au PEA PME, puis déclarées inéligibles, seraient finalement éligibles ?
Nicolas Braun : C’est bien ce que nous essayons de préciser avec l’avis du fisc. Prenez le cas de Rémy Cointreau, par exemple, d’abord considérée comme éligible au PEA PME dans l’indice Euronext CAC PME, puis inéligible par PME Finance. L’analyse de PME Finance nous semble erronée car elle intègre les filiales au prorata des actions détenues au lieu du prorata des droits de vote, plus élevé dans ce cas, qui aurait dû être appliqué. D’autre part, les chiffres d’affaires des filiales utilisés pour leurs calculs ne sont pas les bons. Nous avons appelé le service actionnaires de Rémy Cointreau pour vérifier certains points qui confirmeraient son éligibilité, mais la société n’a pas souhaité s’auto-déclarer « éligible au PEA PME ». Cette procédure simplifierait le travail des gérants et des teneurs de comptes, mais la loi prévoit que c’est au titulaire du plan de justifier l’éligibilité des titres qu’il achète. En pratique, c’est impossible pour un particulier et parfois même pour un professionnel, car on n’a pas toujours accès aux comptes des entreprises liées et partenaires non cotées, parfois non publiés. Le titulaire du plan n’a donc pas son mot à dire, ni même son gérant ! Ce sont les courtiers et les teneurs de compte qui décident quels titres ils considèrent éligibles ou non au PEA PME, en s’appuyant sur l’auto-déclaration d’éligibilité revendiquée par les sociétés intéressées.
Deontofi.com : Est-ce que cela ne réduit pas drastiquement l’attrait du PEA PME pour les épargnants souhaitant diversifier leur portefeuille en PME et entreprises de taille intermédiaire ?
Nicolas Braun : C’est le vrai problème sur lequel nous voulons sensibiliser les pouvoirs publics avec notre étude et notre demande de rescrit fiscal. Le PEA PME ne peut pas décoller avec les règles actuelles, car les professionnels et les épargnants sont confrontés à trop d’incertitudes et l’univers de sociétés accessibles est trop restreint. Nous aimerions pouvoir sélectionner pour nos clients des titres parmi ceux respectant les critères du PEA PME dans tous les pays d’Europe, en Espagne, Italie, Grande Bretagne ou Finlande. Or les centaines de PME et ETI étrangères théoriquement éligibles sont exclues de facto du PEA PME, car elles ont d’autres préoccupations que de remplir des formulaires d’auto-déclaration d’éligibilité à ce plan d’épargne français dont la plupart ignorent l’existence.
De même, compte tenu de la difficulté d’interprétation et de calcul de l’éligibilité, il faudrait prévoir un droit à l’erreur plus souple que la clôture du PEA PME prévue actuellement en cas d’achat de titres inéligibles. Enfin, l’éligibilité d’une société peut évoluer, soit en cas de fusion avec une autre comme cela arrive pour des valeurs éligibles au PEA classique. Dans le cadre du PEA PME une société peut plus simplement devenir inéligible si sa croissance entraîne un dépassement des seuils qu’elle respectait initialement en nombre de salariés, chiffre d’affaires ou total de bilan. Dans le cas du PEA classique, des procédures ont été prévues pour sortir du plan un titre inéligible acheté par erreur, ou devenu inéligible, notamment par compensation avec un autre compte titres ordinaire. Il faut prévoir des mesures comparables pour les détenteurs de PEA PME-ETI.