Deontofi.com retranscrit le réquisitoire du procureur de la république au procès en appel pénal d’Altran et de ses ex-dirigeants, déjà reconnus coupables de divers délits financiers (faux, usage de faux, information trompeuse…). Le représentant du ministère public y dresse un récapitulatif sans concession des turpitudes de dirigeants malhonnêtes exposées par les débats de ce procès crucial. Il y relève avec finesse les incohérences et les contre-vérités que les coupables tentent de faire avaler aux juges pour échapper à la justice en plaidant l’incompétence et l’irresponsabilité.
Réquisitoire de monsieur l’avocat général Nicolas Baietto à l’audience du 29 janvier 2014, quatrième partie (4 sur 4).
Sur les peines, je voudrais dire d’abord que votre jugement est très attendu, rappelle l’avocat général à l’intention de la Cour, pas seulement depuis longtemps, nais parce qu’il est assez rare qu’on juge un groupe et des dirigeants importants pour ce genre de délits. Votre jugement donnera la mesure du risque encouru pour ceux qui manipulent l’information financière en ce moment. Il faudra une condamnation exemplaire, car un groupe de cette taille ne peut pas fonctionner sans contrôle interne, sans organigramme. C’est quand même incroyable qu’il n’y ait pas d’écrits.
Derrière ce jugement, il y a la question de l’image et de la confiance dans la justice pénale aujourd’hui. Il peut être dit que même si la justice vient tard, la répression peut être sévère. Vous adresserez un signal utile pour le marché et pourrez contribuer à inciter les uns et les autres à traiter ces dossiers d’une autre manière. Il n’y aura pas de consensus si les dirigeants pensent qu’ils ne risquent pas très gros à aller devant un tribunal. Vous avez demandé si les amendes ont bien été payées. On peut parier que oui. L’AMF ne s’est pas trop attardée sur la responsabilité intentionnelle des dirigeants, et a laissé payer les assureurs [NDLR, s’ils sont condamnés pour des infractions sans fraude intentionnelle, les dirigeants bénéficient d’assurances payées par leur entreprise qui règlent les amendes à leur place, ridiculisant le caractère dissuasif de ces sanctions] . S’il était jugé que les dirigeants étaient responsables des faits de façon consciente, ils devraient payer de leur poche. C’est une distinction importante entre la sanction administrative et pénale. A l’heure de la réforme de la directive abus de marchés, il serait sage sur le plan symbolique, de défendre cette possibilité du système.
On voit bien avec les assurances, que pour des raisons artificielles pour être efficace, l’AMF essaye de singer la justice alors qu’elle n’a pas les moyens d’attribuer une responsabilité intentionnelle aux coupables.
Je reviens au quantum des amendes. L’AMF s’est déjà prononcée, il faudra le déduire du maximum d’un million prévu pour délit de fausse information. Or, ils ont déjà été condamnés à 500 000 euros d’amende pour chacun et 1 million pour monsieur Friedlander, qui atteint le maximum légal avec ce qui est déjà payé à l’AMF. Vu la gravité des faits, il faudrait requérir l’amende maximum pour les quatre prévenus. Mais on est quand obligé de personnaliser les peines pour tenir compte de la responsabilité supérieure des fondateurs par rapport à messieurs Bonan et Friedlander, je requiers donc 500 000 euros pour les fondateurs, 250 000 pour messieurs Bonan et Friedlander, 200 000 pour monsieur Rougagnou, 100 000 pour monsieur Massenet et 30 000 pour monsieur Dauprat, dont on a peu parlé.
Pour la personne morale, cela relève d’une question de logiciel. Une responsable comptable a expliqué que l’amélioration du chiffre d’affaires [NDLR, euphémisme désignant les fausses factures] figurait dans une rubrique réservée du logiciel de comptabilité crée par le groupe. L’amende maximum étant de 7,5 millions d’euros, une fois déduite l’amende de l’AMF cela implique un maximum de 6 millions. Compte tenu de l’impact sur les marchés et la confiance, je demande 4 millions d’euros d’amende, ce qui fait moins de 0,3% du chiffre d’affaires, je suis assez convaincu qu’elle s’en remettra,
Sur les peines d’emprisonnement, cela paraît nécessaire et proportionné. Évidemment elles sont toutes assorties de sursis, car nous sommes longtemps après les faits et il n’y a pas d’antécédents judiciaires. Je réclame des peines exemplaires dont le quantum tienne compte de la dynamique entre les prévenus, avec une décote compte tenu du temps écoulé, je demanderai au tribunal 12 à 18 mois pour monsieur Massenet, 2 à 3 ans pour monsieur Rougagnou, 3 à 4 ans pour le quatuor [NDLR messieurs Kniazeff, Martigny, Friedlander et Bonan].
Le verdict de la Cour d’appel de Paris condamnant les fraudes d’Altran et de ses dirigeants sera prononcé à l’audience publique du mercredi 4 juin 2014.