La cour est passée à l’examen des abus de biens sociaux (ABS) dont est accusé Jean-Marie Messier. Contrairement au chef d’accusation précédent, l’ex-président de Vivendi a été reconnu coupable de ce délit par le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 21 janvier 2011 qui l’a condamné à trois ans de prison avec sursis. Extraits de l’audience du 6 novembre 2013. (Tout le feuilleton ici)
Le premier sujet d’ABS porte sur le parachute doré octroyé dans des conditions troubles à l’ex-président de Vivendi lors de son éviction. Ce beau cadeau de 18 millions d’euros n’était pas prévu lors des prises de fonction de Jean-Marie Messier, même dans le contrat de travail occulte qu’il avait discrètement signé avec des sociétés américaines du groupe Vivendi Universal. La présidente pointe des irrégularités de ce contrat, notamment le fait qu’il aurait dû faire l’objet d’une convention réglementée et nécessitait une double signature d’un dirigeant autre que son bénéficiaire, en plus de son subalterne des ressources humaines, dans la mesure où il engageait la société.
– C’est une procédure classique aux Etats-Unis d’être mandataire social de Vivendi Universal et salarié de Seagram, comme l’étaient d’autres collaborateurs américains, estime l’ex-PDG.
– Le comité des mandataires sociaux fait référence à votre contrat de travail et celui de Mr Bronfman, poursuit la magistrate. Il fait état de votre rémunération de 1,3 million de dollars ainsi qu’une prime de 200% à 300% de votre salaire, proportionnelle à l’Ebitda (earnings before interest taxes, depreciation and amortization), et il prévoit en plus plus au titre des frais de mission que la société prenne en charge des dépenses selon les dispositions de votre contrat de travail. Bernard Arnault (NDLR patron de LVMH administrateur de Vivendi à l’époque) indique qu’il n’a su que Jean-Marie Messier avait un contrat de travail américain qu’après sa démission. Mr Tchuruk (NDLR à l’époque administrateur de Vivendi et patron d’Alcatel) a aussi dit qu’il n’avait jamais vu votre contrat de travail américain, pas plus que celui de Mr Bronfman. Qui était au courant ? Pas les administrateurs, il n’en est pas fait état dans les comptes rendus du conseil d’administration.
– Non seulement il existait comme document préparatoire du comité des mandataires sociaux mais il avait fait l’objet de discussions au moment de la fusion (NDLR, par le rachat fin 2000 du groupe de communication canadien Seagram, qui possédait les studios de cinéma Universal et le label Universal Music).
– Avec qui ? interroge la magistrate. Mr Bronfman ? (NDLR, le président actionnaire familial de Seagram bénéficiaire de la fusion) Mr Lescure ? (NDLR, le président de Canal plus, aussi bénéficiaire de sa fusion au sein du groupe de médias).
– Surtout les ressources humaines et les services généraux, explique Jean-Marie Messier. Vous avez rappelé le souhait que j’avais exprimé de ne pas avoir de parachute doré.
– Oui, car vous étiez contre, comme semble-t-il vous l’aviez exprimé dans un livre que je n’ai pas lu, précise la présidente.
– Il eut été facile de dire à la signature de mon contrat d’appliquer les mêmes termes que dans celui de Mr Bronfman, poursuit Jean-Marie Messier. Mais un termination agreement n’est pas un parachute doré, c’est une transaction, nuance-t-il.
– Vous y faites constamment référence au contrat de travail, tempère la magistrate, vous dites avoir droit à cette indemnité car vous démissionnez pour juste motif, on est quant même dans le contrat de travail, sauf qu’il ne prévoit pas cette indemnité. Dans une déposition, Mr Lachmann (NDLR à l’époque administrateur et patron de Schneider), va dire à propos de vous « on lui avait demandé de convoquer un conseil d’administration mais il ne voulait pas car il avait peur d’une révocation car nous étions convaincus qu’il devait démissionner pour le bien de la société ». Or, qui dit révocation dit « pas de parachute ».
– Les administrateurs ont une faculté de mémoire sélective, s’offusque Jean-Marie Messier. C’est un peu fort de dire qu’ils n’étaient pas au courant alors que l’on a parlé explicitement de ce contrat de travail au comité de rémunération. Un certain nombre d’administrateurs ont l’expérience pour savoir que dans les sociétés américaines c’est une situation usuelle d’être mandataire social avec un contrat de travail. Ce que vous dites de Mr Lachmann, malgré la mémoire sélective, relève qu’il n’a jamais été dans l’intention des administrateurs d’évoquer ma révocation. Ils viennent me voir en disant « on souhaiterait que tu démissionne et tu seras traité honorablement ».
– Mr Friedmann dira « nous ce qu’on voulait c’était sa démission ».
– Je ne vais pas m’expliquer sur tout, mais c’est ce que j’ai entendu de Jacques Friedmann, Henri Lachmann ou Marc Viénot.
– Quand vous envoyez des mails à messieurs Viénot et Bronfman, qui représentaient les administrateurs français et américains, c’est vous ou eux qui demandez à ce que vous soyez traité honorablement ?
– C’est eux. La seule question qui fait débat est que je ne suis pas d’accord avec ce qu’il se passe. Je crois à Vivendi Universal et à ce que je fais. Je veux convoquer une assemblée générale afin d’être jugé par les actionnaires projet contre projet.