Nouvel article de Marie-Jeanne Pasquette. Dans leur livre «Parlons Banque en 30 questions», l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran et l’analyste Christophe Nijdam, expert des banques du cabinet Alpha Value, reviennent aux sources du métier de la banque, et nous aident à comprendre son évolution probable après le tour de vis réglementaire. Une lecture très instructive.
Le tandem Couppey-Nijdam déshabille la banque sans pudeur en répondant aux questions que tout le monde se pose. A quoi servent les banques ? Font-elles payer leurs services et leurs crédits trop cher ? Qui les surveille ? Qu’est-ce que le risque systémique, la titrisation, l’Union bancaire, les ratios prudentiels, le shadow banking ? Faut-il couper les banques en deux ? Moins payer les traders ? Les questions ne sont pas nouvelles mais, dans cet ouvrage didactique, les auteurs y répondent sans détour.
Les limites du tour de vis des régulateurs
D’emblée, l’ouvrage annonce la couleur. « L’activité bancaire est indispensable mais en surpoids économique …un secteur hypertrophié soutenu par les pouvoirs publics, tournant en boucle sur lui même, qui privatise ses profits et socialise ses pertes ». Les auteurs font une description précise, étayée, et critique du fonctionnement bancaire. On est loin des discussions de café du commerce et certaines explications restent même encore un peu techniques pour les néophytes. Toutefois, les chiffres font froid dans le dos : « entre 2008 et 2012, la commission européenne a approuvé environ 5050 milliards d’aides et de garanties au profit des banques, soit environ 40 % du PIB annuel de l’Union Européenne ». Et malgré le renforcement de la réglementation bancaire, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle crise. Les efforts pour remettre le secteur financier sous contrôle ne sont pas achevés, c’est le principal enseignement du livre.
Les auteurs s’attardent quelques instants sur le cas de la France, vice-championne du monde avec ses quatre « banques systémiques » (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE). La déroute d’une seule d’entre elles aurait un effet de dominos, entraînant les autres dans sa chute au niveau mondial. Or, les banques universelles françaises détiennent déjà trois records mondiaux : record de fraude en activités de marché pour Société Générale en 2008 avec l’affaire Kerviel (4,9 milliards d’euros), record de défaillance d’une même banque avec Dexia (qui a enchaîné deux faillites en moins de trois ans en 2008 et 2011) et record d’amende pénale pour contournement d’embargo par BNP Paribas (8,9 milliards de dollars en 2014).
Les superviseurs nationaux, des nains face aux géants bancaires sans frontières
Alors que les Etats continuent privilégier l’intérêt de leurs champions bancaires sur celui de la collectivité, toujours à la merci des banques trop grosses pour être mises en faillite ( « Too big to fail »), «il faut aller jusqu’au bout des réformes et surtout pénaliser le non respect de la réglementation » insiste le tandem. Pas facile pour des superviseurs bancaires nationaux, qui se retrouvent assez démunis face aux géants sans frontières que sont devenues les principales banques internationales.
La réglementation, même renforcée, reste un filet de sécurité insuffisant. La fameuse Union Bancaire, en gestation depuis 2010 au niveau européen, ne sera pas achevée avant 2024. Elle transférera certes la supervision bancaire à l’échelle de l’Europe et à la Banque centrale Européenne, mais «Il faudra attendre 2023 pour que le transfert de la surveillance soit total», rappellent les auteurs.
Quant au fonds de garantie européen des dépôts (couverts jusqu’à 100 000 euros en cas de faillite d’un établissement), il sera peut-être en place en juillet 2015, mais la totalité des fonds qui lui sont dédiés ne sera disponible qu’en 2024 ! D’ici là, en cas de faillite d’un « too big to fail », les fonds nationaux seront appelés à la rescousse. Sueurs froides garanties pour nos gouvernants. Les auteurs donnent encore l’exemple de Dexia : une faillite immédiate de la banque coûterait 27 milliards d’euros soit environ la moitié de ce fonds, dit de résolution européen, qui va être mis en place à la fin du processus ! Et, en France, si jamais la mise en œuvre de la garantie des dépôts est nécessaire dans un cadre systémique, le fonds de garantie français ne dispose que de 2 milliards d’euros pour assurer les 1 500 milliards de dépôts des clients.
Pourtant, les deux experts ne sont pas dans le registre spectaculaire. En principe, les nouvelles réglementations doivent nous éviter ce genre de catastrophes. Mais le renforcement des fonds propres des banques – c’est-à-dire des ressources venant d’investisseurs ou d’actionnaires – imposé par les régulateurs, pour éponger les risques de pertes bancaires reste imparfait. Le comité de Bâle exige des banques qu’elles conservent en fonds propres 8 % du montant de leurs actifs (puis 10,5 % en 2019), mais en « pondérant » leur montant par le risque pesant sur ces actifs. Or, toute l’astuce est dans cette pondération, autrement dit l’évaluation de la probabilité de perte affectée à chaque classe d’actifs (crédits à l’économie, aux hedge funds, titres obligataires, participations en capital ou encore de produits dérivés… ). On apprend ainsi que les établissements bancaires peuvent pondérer ces risques, selon des critères qui leurs sont propres c’est-à-dire plus ou moins à leur guise, et cela pour plus de la moitié de leurs bilan !
Autrement dit, les bolides bancaires roulent sur un circuit avec des moteurs bridés mais chaque pilote peut tout de même choisir sa vitesse ! Le sport favori des banques, surtout de celles qui ont du mal à réunir des fonds propres (donc les plus fragiles), serait de sous-évaluer les risques de marché, pour dissimuler l’insuffisance de leurs fonds propres.
Un travail de titan pour le superviseur européen
A cela, les banquiers interrogés répondent qu’il est normal de ne pas attribuer le même niveau de risque à tous les crédits par exemple. Des crédits immobiliers à taux variables accordés selon des règles américaines seraient, en effet, beaucoup plus risqués que des prêts à l’habitat français à taux fixe garantis par hypothèque. Il reviendrait donc, au final, au gendarme des banques – la BCE – d’éplucher les bilans et de se faire une opinion. Cet exercice est en cours. Baptisé AQR (pour Asset quality Revew, ou revue de qualité des actifs) est un travail de titan ! Les données collectées sont très partielles et assez peu fiables.
Le comité de Bâle qui a voulu éviter ces dérives de « pondération », a bien trouvé une solution qui a fait monter les banques françaises au créneau : imposer un autre ratio de fonds propres. Les deux auteurs expliquent ainsi le « ratio de levier », cauchemar des lobbyistes qui ont essayé par tous les moyens de l’éviter. Ce ratio de levier se calculera tout de même, comme le précédent (comparant les fonds propres aux actifs) mais cette fois-ci les actifs ne seront pas pondérés. En contrepartie, ce ratio ne sera pas fixé à 10,5 % mais à 3 %. Est-ce que ce petit airbag monté à côté des autres, plus ou moins opérationnels, suffira à éviter une nouvelle crise systémique ? Rien n’est moins sûr.
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- Le complot des banques contre la séparation de leurs activités spéculatives
- La charge des lobbies bancaires contre l’Europe réglementaire