La principale qualité d’un bon conseiller en gestion de patrimoine (CGP) n’est pas de dénicher des placements exotiques promettant des gains faramineux, car il s’agit souvent de pièges. Non, un bon CGP doit simplement aider ses clients à s’y retrouver dans l’univers des placements, en leur prescrivant une répartition d’investissements adaptés à leur situation et leurs objectifs. Le tout, en respectant un certain formalisme pour la traçabilité des opérations et la transparence de ses commissions.
Dans une décision du 3 juillet 2020, la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) nous renseigne sur les pratiques encore pas très claires de certains CGP. En l’occurrence, la société Groupe CGFI, à Aubusson (23200), et son dirigeant M. Jacques Defemme.
Entre le 1er janvier 2015 et le 31 mars 2018, CGFI a conseillé à la Congrégation des Soeurs de la Charité de Nevers (ci-après, la «Congrégation») et à la Société Coopérative Agricole d’Élevage du Sud-Ouest (ci-après, la «Coopelso ») des investissements dans des organismes de placements collectifs (ci-après, « OPC ») et des Euros Medium Term Notes (ci-après, « EMTN »).
Entre le 10 juillet 2014 et le 14 juin 2017, CGFI a également proposé à des investisseurs potentiels de mettre des fonds à disposition de la société de droit anglais « The Cosmopolitan Fund n°3 LP » (ci-après, « CF3 »).
Dans le contexte de ces opérations, l’AMF a constaté plusieurs infractions à la réglementation.
Il leur est reproché d’avoir manqué aux obligations de CIF :
« en n’établissant pas de document complet de connaissance client, en proposant des recommandations d’investissement non adaptées à la situation d’un client et en omettant de remettre un document d’entrée en relation, une lettre de mission et un rapport écrit, en méconnaissance des dispositions des articles L. 541-8-1 4° du code monétaire et financier et 325-3, 325-4 et 325-7 du règlement général de l’AMF ;
Ainsi qu’un manquement :
− à l’obligation de communiquer aux clients les modalités de leur rémunération, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 541-8-1 5° du code monétaire et financier ;
− à l’obligation de diffuser des informations exactes, claires et non trompeuses dans le cadre de leur activité de conseil en gestion de patrimoine, en méconnaissance des dispositions de l’article 325-5 du règlement général de l’AMF ;
Limited partnerships, des sociétés opaques
On voit régulièrement dans la gestion de patrimoine se développer des offres d’investissements dans des sociétés aux statuts les plus divers. C’est le cas des Limited Liability Partnership, ou LP, en anglais, qui sont en fait des sociétés à responsabilité limitées (SARL), ayant des activités de sociétés d’investissement en marge de la réglementation appliquée aux fonds de placements.
Pour sa défense, le CGP plaide que son activité d’intermédiaire dans le limited partnership britannique Cosmopolitan Fund, ne relèverait pas de l’activité de CIF, et donc pas de la compétence de l’AMF.
« Si CGFI ne conteste pas avoir fourni des conseils en investissement à la Congrégation et à la Coopelso, elle soulève l’incompétence de l’AMF pour connaître de son activité de « General Partner » de CF3, fonds anglais relevant de la catégorie des Limited Liability Partnership et régi par la législation anglaise. Selon GCFI, cette activité ne relève pas du conseil en gestion de patrimoine au sens de la règlementation française et, partant, les dispositions de l’article 325-5 du règlement général de l’AMF ne sont pas applicables. (p.4)
Or, il ressort des pièces du dossier, et notamment de réponses d’investisseurs dans CF3 à la mission de contrôle, qu’elle n’était pas un simple intermédiaire, mais a prodigué des conseils à des investisseurs potentiels, à partir d’informations personnelles de ces derniers pouvant porter sur leur patrimoine et leurs attentes, pour les inciter à confier des fonds à CF3.
En conséquence, les diligences réalisées par CGFI participaient des « autres activités de conseil en gestion de patrimoine » qu’un CIF peut exercer en application des dispositions du II de l’article L. 541-1 du code monétaire et financier, de sorte que l’obligation de l’article 325-5 du règlement général de l’AMF lui est applicable.
Par ailleurs, au moins trois clients ayant investi dans CF3, interrogés par les contrôleurs sur les avantages et les risques liés à cet investissement présentés par CGFI, ont déclaré que leur investissement ne présentait aucun risque, de sorte qu’il est établi qu’ils n’ont pas été informés sur les risques de perte en capital et en rendement liés à leur investissement. (p.12)
Des produits structurés à la pelle
En application de l’article L. 541-8-1, 4°, du code monétaire et financier, le CIF doit recommander à ses clients des placements adaptés à leur expérience et connaissance en matière d’investissement, ainsi qu’à leur situation financière et à leurs objectifs d’investissement.(p.7)
En l’occurrence, la société a vendu des produits structurés à une PME, de façon un peu exagérée. La Coopelso est en effet une PME, avec un chiffre d’affaires compris entre 3 et 5 millions d’euros et un total du bilan entre 10 et 20 millions d’euros.
Dans son « dossier client – personne morale » et « dossier de souscription », la Coopelso a indiqué avoir une connaissance « moyenne » des instruments financiers complexes, vouloir placer entre 0 et 20% de son patrimoine à horizon de plus de 8 ans, accepter « un risque moyen permettant des opportunités de rendement plus élevé », avoir une orientation de gestion « équilibrée ».
Or, CGFI lui a vendu des EMTN pour 1,25 million d’euros le 15 avril 2016, puis 3 millions d’euros les 25 juillet 2016 et 22 mars 2017.
Comme le précisent les documents de ces EMTN, ces instruments financiers sont des titres de créance potentiellement complexes : en l’espèce, il est indiqué qu’ils présentent « un risque de perte partielle voire totale du capital investi. En conséquence, un investissement dans les EMTN présente un caractère très spéculatif, impliquant un haut niveau de risque ».
Rétrocessions de commissions inaperçues
La transparence des commissions dans la finance est un sujet sensible. Contrairement aux banques, dans lesquelles les clients ne sont pas informés des frais prélevés sur leur épargne, les conseillers en investissements financiers (CIF) ont l’obligation de détailler à leurs clients les commissions prélevées sur leurs placements, et la part qui leur est rétrocédée.
Dans cette affaire, l’AMF « retient que CGFI a perçu une commission de 62 526 euros de Sélection 1818 ainsi qu’une commission de 34 875 euros d’une société de gestion [préférant rester anonyme, ndlr], sans en informer la Congrégation et la Coopelso, de sorte qu’elle ne leur aurait pas fourni toutes les informations nécessaires à leur prise de décision, en violation des articles L. 541-8-1, 5° et 325-6 du règlement général de l’AMF ». (p.9)
L’article L. 541-8-1, 5° du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 24 octobre 2010 au 3 janvier 2018, non modifiée dans un sens moins sévère depuis, prévoit : « Les conseillers en investissements financiers doivent : / Communiquer aux clients d’une manière appropriée […] les informations utiles à la prise de décision par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment la tarification de leurs prestations. »
CGFI rétorque pour sa part que ses clients ont été informés de ses rémunérations par d’autres moyens.
Trois exemples d’investissements dans le Cosmopolitan Fund n°3 LP
L’intérêt de cette sanction est de mettre un coup de projecteur sur ces fameux limited partnerships, des investissements dans des sociétés opaques promettant des rendements qu’on ne voit jamais. L’AMF cite trois exemples. On comprend qu’à chaque fois la méthode est la même que pour les arnaques au trading et autres chaînes, ou Ponzi : on appâte avec une promesse de rendement élevé et des relevés flatteurs pour collecter de nouveaux versements.
Un faux rendement de 7% par mois !
Selon le « commercial agreement » signé par M. A le 16 juin 2015, ce dernier avait investi dans CF3 un montant de 56 000 euros et son taux de rendement était fixé à 7 % des fonds investis par mois pendant un an.
Néanmoins, son relevé de positions indique qu’il a investi successivement 54 000 euros, puis 108 000 euros et enfin 216 000 euros. Or, le montant des intérêts versés renseigné dans son relevé de positions ne correspondait donc pas au taux mentionné dans le « commercial agreement ». Par conséquent, CGFI a diffusé, dans ce relevé de positions, des informations incohérentes, inexactes et imprécises.
Un rendement de 5% par mois fantaisiste
Selon le « commercial agreement » signé par M. B le 7 décembre 2016, ce dernier avait investi dans CF3 un montant de 50 000 euros et son taux de rendement était fixé à 5 % des fonds investis par mois pendant un an. Néanmoins, son relevé de positions indique qu’il a investi 50 000 euros à deux reprises ; que sa rémunération s’élevait à 825 euros, puis à 35 000 euros ; et que les taux de rendement étaient de 5 %.
Si le taux de rendement annoncé dans le « commercial agreement » est identique à celui renseigné dans le relevé de positions, force est de constater que le montant des intérêts versés renseigné dans le relevé de positions ne correspondait pas au dit taux. (p.13)
Une promesse fumeuse de 170% en deux mois
Selon le « commercial agreement » signé par M. C le 27 décembre 2016, ce dernier avait investi dans CF3 un montant de 100 000 euros et son taux de rendement était fixé à 170 % des fonds investis sur deux mois. Néanmoins, son relevé de positions indique qu’il a investi 100 000 euros, puis 250 000 euros et, enfin 265 000 euros ; que sa rémunération s’élevait à 170 000 euros, puis à 15 000 euros et à 265 000 euros; et que les taux étaient respectivement de 170 %, 6 % et 0,5 %.
Là encore, le montant des intérêts versés renseigné dans ce relevé de positions ne correspondait donc pas au taux mentionné dans le « commercial agreement ». Postérieurement à son audition par le rapporteur, CGFI a produit un relevé de compte de M. C faisant apparaître la réception d’un virement de 200 000 euros de CF3, montant qui ne correspond ni aux montants renseignés dans le relevé de positions ni au montant initialement prévu dans le « commercial agreement ».
A chaque fois, les investisseurs ont effectué plusieurs versements sur la base de promesses et de relevés trompeurs. Mais au final, ils ont tous récupéré moins que les sommes qu’ils avaient versées.
Par ailleurs, le cabinet CGFI encaissait directement l’argent que ses clients devaient investir dans ce fameux Cosmopolitan Fund limited partnership (p.14). Ce qui est interdit.
De plus, CGFI ne conteste pas l’absence de transfert, in fine, de ces sommes à CF3 alors qu’elles étaient normalement destinées à âtre investies dans ce fonds. La mise en cause se borne sur ce point à faire valoir, sans au demeurant apporter aucun élément à l’appui de cette allégation, qu’elle aurait procédé à une compensation entre les sommes investies par les investisseurs dans CF3 et celles qui lui étaient dues par CF3 en sa qualité de « General Partner » pour éviter les frais de transfert. (p.15)
Le CGP a même tenté de maquiller ces versements en établissant « a posteriori » des factures antidatées. « Ainsi, comme le souligne la notification de griefs, lesdites factures ont été établies plus de 13 mois après la réalisation des opérations bancaires et antidatées. » (p.16).
Compte tenu de la situation du CGP, endetté pour des investissements immobiliers lui créant un déficit foncier (comme il le conseille probablement à ses clients), la sanction de l’AMF se limite à une amende de 50 000 euros pour sa société, une amende de 50 000 euros à titre personnel, mais surtout l’interdiction d’exercer l’activité de conseiller en investissements financiers pendant cinq ans.
Pour en savoir plus, retrouvez la décision de la Commission des sanctions de l’AMF ici.