Comme rappelé en introduction du rapport, « la TTF-F n’est pas une taxe sur les transactions, mais uniquement sur les transferts de propriété qui sont enregistrés à une fréquence quotidienne. Une très large part des transactions est exclue du dispositif, ce qui réduit considérablement l’assiette de la taxe. On estime que les transactions effectivement taxées ne représentent que 15% du total des transactions ».

Pour évaluer sérieusement l’efficacité de la collecte de la TTF, il ne suffit pas d’observer ses recettes. Il faudrait les comparer à l’assiette de cette taxe, c’est-à-dire les transactions taxables, dont le montant se déduit du total des transactions, moins la part des transactions exonérées.

Premier obstacle : « il n’a jamais été aussi difficile de mesurer le total des transactions réalisées sur les actions françaises, déplore Gunther Capelle-Blancard. D’après Refinitiv, si l’on tient compte des échanges hors marchés réglementés (notamment les transactions bilatérales dites « OTC », pour over-the-counter), on serait à plus de 4 300 milliards pour 2022 ».

Deuxième obstacle : évaluer le montant des exemptions. Euroclear dispose des informations précises sur ces exemptions, mais aucune statistique n’est publiée. « On ne peut que déplorer cette situation alors qu’il ne s’agit que d’informations très agrégées, non confidentielles, mais qui nous renseigneraient beaucoup sur le fonctionnement des marchés boursiers, insiste Gunther Capelle-Blancard. On pourrait ainsi finement mesurer la part relative des marchés primaires et secondaires, des investisseurs résidents ou non-résidents, du trading intra-journalier, le poids des activités de tenue de marché, la contribution de l’épargne salariale, etc » (p.24).

Mais là encore, « Il n’existe, à notre connaissance, aucune information sur la part respective de ces différentes exemptions, déplore le chercheur. On peut toutefois considérer que la plus importante est celle qui concerne les apporteurs de liquidité. En pratique, ces activités sont difficiles à définir précisément et, de fait, il est facile pour les professionnels de se soustraire à la taxe ». (p.11)

Estimation des recettes potentielles de la TTF : 3 milliards manquants !

Pour évaluer l’efficacité de la TTF, malgré le blocus d’information de tous ses acteurs et superviseurs, Gunther Capelle-Blancard tente d’en estimer les recettes potentielles en décomposant les transactions par typologie ou finalité, en appliquant des proportions ressortant d’études académiques à leur sujet.

Dans une étude publiée par le Journal of Finance, les activités de tenue de marché (market making), pesaient 2,5% des transactions sur le Nasdaq dans les années 2000.

Quant au trading haute fréquence, c’est l’opacité totale. « Par manque de transparence, on est contraint de s’en tenir à de vagues approximations : sur le marché américain le HFT représente environ la moitié des transactions (mais les trois-quarts des ordres) ; en Europe, on est plutôt autour de 40% », estime le chercheur (p.24).

En décomposant la masse opaque des transactions sur actions françaises (4.300 milliards d’euros en 2022), avec les hypothèses susmentionnées, le chercheur met en évidence une masse suspecte dépassant 1.000 milliards d’euros de transactions sur actions françaises qui échappent peut-être à toute taxation, sans raison valable. Et cela, sans y réintégrer aucune transactions liée au trading haute fréquence.

 Données (sources)%milliards €
(1)Montant total des transactions (Refinitiv) 4 300
(2)Recettes fiscales effectives (SME) 1,891
 Décomposition du montant total des transactions
(3) issu de (1)Total, dont :100%4 300
(4) = (2) / 0,3%Transferts de propriété, hors exemptions15%630
(5) HypothèseExemptions10%430
(6) HypothèseHFT (Trading éclair)50%2 150
(7) = (3) – (4) – (5) – (6)Non-taxé, hors exemptions et hors HFT (Trading éclair)25%1 090
 Recettes fiscales  
(8) = (2) / 0,3%Assiette fiscale effective15%630
(9) = (7) + (8)Assiette fiscale potentielle40%1 720
(10) = (9) × 0,3%Recettes fiscales potentielles 5,16 milliards
NB, pour faciliter la compréhension de ce tableau requérant une lecture attentive, Deontofi.com ne présente ici que les résultats correspondant au premier ensemble d’hypothèses de répartition des transactions (p.26 du rapport).

En résumé, ces mille milliards d’euros d’achats d’actions (1 090 Mrds € dans le tableau), invisibles sur le radar de taxation des transactions financières sans raison, pourraient rapporter 3 milliards de recettes fiscales supplémentaires par an (au taux de 0,3%), portant les recettes annuelles de cet impôt à 5,16 milliards, contre 1,89 milliard en 2022 (à volumes de transactions constants, et plus à l’avenir avec leur progression tendancielle).

Alors, fraude ou pas fraude ? Difficile à dire, tant que Bercy, Euroclear et l’Autorité des marchés financiers (AMF) entretiennent le mystère, en bloquant tout accès aux données (anonymisées et non confidentielles) pour vérifier ces hypothèses.

Certes, on manque de preuves pour affirmer que les taxes sur les transactions financières sont sous-estimées et sous-déclarées par les banques, intentionnellement ou non. On manque aussi de preuve pour affirmer qu’Euroclear et Bercy fermeraient sciemment les yeux sur ces éventuels contournements de la TTF. On ne peut pas davantage prouver une collusion effective entre Bercy, Euroclear et les lobbies bancaires, en dépit de leur porosité notoire.

Mais alors pourquoi cacher (les rapports publics aux chercheurs) ? Résister (aux injonctions de la Cour des Comptes) ? Enterrer (les demandes de transparence) ? Quel autre motif (que couvrir l’évasion) pourrait justifier cette omerta complice ?

La dissimulation ne peut qu’alimenter le soupçon.

Sommaire :
1- Taxe sur transactions financières, le magot fiscal caché par Bercy
2- Mensonge bancaire, l’impôt de Bourse n’est pas nuisible
3- Spéculation exonérée, épargnants taxés : objectif raté
4- Percepteur privé : l’impôt de Bourse endormi par Euroclear
5- Taxe passoire : 1000 milliards d’euros de soupçons !
6- Bercy et l’AMF ont la clé pour réduire le déficit budgétaire avec la TTF
7- 7 mesures pour mieux taxer les transactions financières et réduire le déficit

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