La roue de la fortune est souvent cruelle à Cryptoland, et on enterre bien des blockchains. Inventaire des naufrages, pertes, vols et autres disparitions de Bitcoin et cryptos, suspectes ou « normales », voire parfaitement naturelles…
Bravo ! On n’a pas d’autre mot pour féliciter la formidable campagne de comm’ ayant hissé le Bitcoin et les cryptos au rang de presque placement en à peine plus de 10 ans, cherchant à se frayer un chemin réglementaire pour atteindre le graal des investissements « institutionnels » après avoir essoré les illusions des particuliers, avec succès.
Les acheteurs de cryptos peuvent-ils dormir tranquilles en pensant que leur argent est à l’abri, vu l’inventaire de disparitions ou dépréciations incessantes de crypto-monnaies qu’ils croyaient valables et bien gardées ?
Sans parler des pures arnaques aux fausses cryptos sans rien derrière (Nabilla…), constituant une part importante du préjudice de ces faux placements, à la hauteur des arnaques au trading forex (sans rien derrière), voici un petit inventaire des cadavres enterrés au cimetière des bitcoins et crypto-farces. Bien sûr, certaines de ces cryto-farces s’apparentent davantage à l’industrie des escroqueries aux faux placements qu’à la stricte vogue des crypto-coins, mais avec les codes des « vraies cryptos », c’est-à-dire la mise en scène réelle d’une machine à rêve incarnée par de vrais gourous avec de vrais bureaux et des spectacles vivants, comme le show de la cryptoqueen de Wembley.
2014-2017, $4 milliards, OneCoin “crypto queen” bulgare Ruja Ignatova.
On vient d’apprendre fin juin 2022 que Ruja Ignatova, une Bulgare de 42 ans ayant acquis la nationalité germanique, est une des voleuses les plus recherchées de la planète, pour une escroquerie aux cryptos estimée à $4 milliards, entre 2014 et 2017.
Fin mai 2022, l’agence européenne de police criminelle Europol l’a ajouté à sa liste des fugitifs les plus recherchés par les polices européennes, offrant une récompense de €5 000 pour aider à sa capture , tandis qu’un mois plus tard, le FBI lançait son propre « Wanted » avec une récompense de 100 000 dollars.
Surnommée « cryptoqueen », ou « reine des cryptos », elle avait lancé en 2014 une nouvelle cryptomonnaie, le OneCoin, destiné à supplanter le Bitcoin, dont elle faisait la promotion pour recruter des adeptes aux quatre coins du monde jusqu’à sa disparition le 25 octobre 2017, après un vol (en avion lowcost) de Sofia à Athènes, après lequel le FBI a perdu sa trace.
L’histoire est racontée en détail dans ce reportage de la BBC. Et en français bien résumée ici sur le site de France24, qui nous apprend notamment la sortie prochaine d’un film sur cette belle arnaque.
2009-2014, Mt.GOX, 650 000 Bitcoins envolés
Créé à l’origine fin 2006 comme une plateforme d’échange de cartes de jeu virtuelles (ancêtre des NFT) expliquant l’origine de son nom Mt.Gox (« Magic: The Gathering Online eXchange »), le site s’est relancé le 18 juillet 2010 comme une des premières plateformes d’échange et stockage de Bitcoin.
Son fondateur a vendu le site neuf mois plus tard, en mars 2011, au Français Mark Karpelès, qui a poursuivi son développement depuis le Japon où il vit, pour le hisser au 1er rang des plateformes de crypto, représentant 70% des échanges mondiaux de Bitcoin en 2014.
Alors que les clients commencent à se plaindre des délais pour retirer leur argent début 2014, et malgré les explications de Mark Karpelès selon lesquelles « c’est la faute des banques qui bloquent tout », Mt.Gox est déclaré en faillite le 28 février 2014 : 850 000 Bitcoins ont disparu, dont 750 000 appartenant aux clients et 100 000 appartenant à Mt.Gox.
Trois semaines plus tard, Mark Kerpeles annonce avoir retrouvé 199.999,99 bitcoins, réduisant la disparition à « seulement » 650 000 bitcoins pour les clients (et 100 000 pour la plateforme).
L’enquête montrera que les fuites existaient avant la reprise par Mark Karpelès. Finalement acquitté des charges de détournement de fonds et d’abus de confiance, il sort libre de prison après quelques mois de préventive et une peine de sursis. En 2017, il est blanchi par l’arrestation du vrai voleur, Alexander Vinnik, condamné à cinq ans de prison pour blanchiment dans l’affaire du ransomware (rançongiciel) Locky, emprisonné en France.
A voir, recommandé par Deontofi.com, l’excellent documentaire sur YouTube : Bitcoin Big Bang (L’improbable épopée de Marc Karpelès patron de Mt.Gox).
Egalement un excellent portrait très complet de Mark Karpelès, plus actualisé, par notre confrère François de Labarre dans Paris Match du 1er mai 2022.
2016-2019, Quadriga CX, Gerald Cotten, CAD $250 millions
Première plateforme canadienne d’échange et stockage de Bitcoins et cryptos, Quadriga CX avait été créée en 2014 par Gerald Cotten, un enfant de Belleville, Ontario (pas le Belleville de Marco Mouly). Alors que l’affaire ne décolle pas et qu’il se retrouve quasi-seul en 2016, sans salariés ni bureaux, Quadriga rebondit en 2017 avec la flambée du Bitcoin, multiplié par 20, augmentant les transactions et ses commissions.
Début 2018, quand le Bitcoin replonge de son pic, les clients commencent à rencontrer des délais et difficultés pour retirer leur argent, notamment via les intermédiaires en paiement prestataires de Quadriga.
Les fonds de l’un de ces intermédiaires, Costodian, sont gelés par la Canadian Imperial Bank of Commerce (CIBC) pour CAD $28 millions, début 2018. Deux autres intermédiaires en service de paiement sont suspectés, notamment WB21, dont le directeur général Michael Gastauer, poursuivi par la SEC américaine dans une fraude de 165 millions de dollars, a été condamné le mois dernier ; ainsi que Crypto Capital, poursuivi par le procureur général de New York depuis l’automne 2019 dans une autre affaire de 851 millions de dollars « perdus, volés ou détournés » chez le courtier Bitfinex. L’arrestation en Pologne en octobre 2019 d’Ivan Manuel Molina Lee, président de Crypto Capital, avait éclairé les liens entre cet intermédiaire de paiements lié au blanchiment des cartels colombiens et ses prestations de shadow-banking pour les principaux courtiers en cryptos Binance, BitMEX ou Kraken.
En janvier 2019, Quadriga annonce le décès de Gerald Cotten, âgé de 30 ans, dans des circonstances mystérieuses lors d’un voyage en Inde, à l’hôpital de Jaipur. Mort avec ses secrets et le code d’accès à un « wallet » où il aurait caché une partie de l’argent détourné, dont une partie n’aurait jamais servi à acheter les Bitcoins payés par ses clients, selon Chainalysis.
Voir l’excellent documentaire sur Netflix Trust No One: The Hunt for the Crypto King
2019-2022, TerraUSD, Terra LUNA, Terraforms Labs, Do Kwon, $60 milliards
Un stablecoin, est une crypto-monnaie adossée à une devise légale (comme le dollar US), dans le jargon des cryptos. En principe, la valeur d’un stablecoin ne doit pas s’éloigner du cours de la devise concernée, puisqu’il est théoriquement échangeable à parité avec cette devise.
Do Kwon, geek-entrepreneur coréen co-fondateur de Terraform Labs, en 2018 à Séoul, a lancé en 2019 un des plus célèbres « stablecoin », dénommé Terra USD (code UST), dont la valeur devait s’ajuster à celle du billet vert.
Le problème avec ce type de promesse est de savoir comment elle est garantie : existe-t-il vraiment un dollar US stocké en réserve pour chaque Terra USD (UST) émis par Terraform Labs ?
Non. Terraforms promettait l’équilibre UST/USD à parité 1:1 par un mécanisme d’arbitrage avec des récompenses sous forme d’un jeton LUNA Classic (LUNC), associé au minage de jetons Terra USD, et vice-versa.
Le principe était le suivant : si le cours de Terra USD dépassait 1 dollar, il fallait augmenter l’offre de Terra USD pour réduire sa valeur à 1 dollar, le minage de nouveaux jetons Terra USD étant récompensé par la réduction du nombre de LUNA, dont la valeur augmentait proportionnellement. Inversement, si le cours de Terra USD baissait sous 1 USD, le mécanisme d’arbitrage incitait les utilisateurs à miner des LUNA en réduisant le nombre de Terra USD. En résumé, un système de vases communicants de cryptos pour jongler avec une parité de vraie devise.
Pour consolider ses réserves en « or digital » crédibilisant sa cryptomonnaie, la « crypto-banque centrale » Terraforms a décidé en mars 2022 d’acheter 10 milliards de dollars de Bitcoins, autour de $40.000 le jeton. Quand ce dernier a perdu 30% en 3 jours, à $30k par BTC le 9 mai, les détenteurs de Terra USD ont vendu, entraînant LUNA dans sa chute à quasi-zéro, et la suspension de leurs blockchains.
Depuis, Terraforms a « réinitialisé » sa blockchain (facile !) en abandonnant la parité de son Terra USD (snap !) rebaptisé Terra Classic USD (USTC), qui cote moins de 4 centimes le 21/7/22 pour 350 millions de capitalisation, et la disparition totale de LUNA (LUNC), soit 60 milliards de dollars partis en fumée par rapport au sommet de leur succès, selon Bloomberg.
Petite précision sur ces « 60 milliards » partis en fumée : le fait que la capitalisation max des Terra USD et LUNA ait pu atteindre 60 milliards, ne signifie pas que les investisseurs y aient investi et perdu 60 milliards. On peut très bien faire monter le cours d’un titre pour gonfler sa « capitalisation » avec très peu de transactions manipulées par les promoteurs de sa bulle. Dans ce cas, seul les acheteurs « suivistes » se font voler leur argent, par les vendeurs « initiés ». Dans le jargon judiciaire de la criminalité financière cela s’appelle une « bouilloire » ou « boiler room » en anglais.
Extension annoncée du cimetière de Cryptoland
Les intermédiaires en cryptos sont extrêmement opaques et spéculatifs, misant couramment les fonds de leurs clients dans des paris scabreux. Dans ce contexte, la dégringolade du Bitcoin et l’implosion de Terra en 2022 ont déclenché des faillites en chaîne, comme lors du plongeon de 83% du Bitcoin en 2018, auxquelles il faudra consacrer un nouvel inventaire, et une extension du cimetière de Cryptoland.
Autres crypto enterrées
Terra n’est pas la seule crypto-monnaie a avoir connu gloire et fortune (la première conditionnant la seconde) avant d’être enterrée au cimetière des crypto-flops.
Le site Toutsurlebitcoin (sans mentions légales), recense ainsi 5 cryptos ayant atteint le top 10 avant de s’écrouler (parmi des centaines n’ayant jamais atteint le top 10 avant de s’effondrer quand même) :
2014, MegaCoin (MEC), $18 millions
Avec 18 millions de MegaCoin en circulation début 2014, au 10ème rang des cryptos de l’époque, le MegaCoin se voyait déjà en concurrent du Bitcoin. Mais ses promoteurs avaient trompé leurs adeptes, en se minant secrètement un gros paquet de MegaCoin d’avance, ce qui a vite ruiné sa crédibilité, entraînant sa quasi-disparition.
2014, Quark (QRK), $22 millions
Lancé fin 2013, le Quark a connu un succès virulent début 2014, s’inscrivant brièvement au 9ème rang des cryptos de l’époque, avec plus de 22 millions de dollars de capitalisation. Elle est presque tombée aujourd’hui au 1500ème rang, avec moins d’un million de capitalisation.
2014, AuroraCoin (AUR), $318 millions
Baldur Friggjar Óðinsson aurait pu devenir un canular aussi célèbre que Satoshi Nakamoto : le pseudonyme d’un anonyme créateur de blockchain crypto. C’est en effet le pseudo du créateur de cet AuroraCoin, lancé en Islande en mars 2014 comme « monnaie alternative » après la crise de 2009 ayant ruiné l’île et ses banques. Créé sur le modèle du Litecoin, une crypto populaire, AuroraCoin a bénéficié d’une « fausse impression » de soutien gouvernemental, lui ayant permis de se hisser au 3ème rang des cryptos dès son lancement, avec 318 millions de capitalisation en mars 2014, avant de s’écrouler aussitôt.
2015, PayCoin (XPY), $39,4 millions
Valorisé jusqu’à 39,4 millions de dollars en janvier 2015, ce qui l’inscrivait au 4ème rang des cryptos de l’époque, selon Toutsurlebitcoin, PayCoin était une vraie cryptomonnaie… doublée d’une vraie escroquerie. Son PDG a plaidé coupable de fraude.
2015-2017, Banx (BANX), $13 millions
Nouvelle crypto lancée par la plateforme banx.io, BANX a connu un succès de démarrage atteignant jusqu’à 13 millions de dollars de capitalisation en juillet 2015, au 10ème rang des principales crypto de l’époque. Mais c’était une fraude organisée par les fondateurs de la plateforme, en dehors de laquelle les BANX n’ont jamais été cotés. La fraude a perduré jusqu’en 2017, puis banx.io a disparu.
En France aussi !
2021, RR Crypto, Vincent Ropiot, €58 millions
Début 2019, Vincent Ropiot crée RRCrypto, une association loi 1901 installée dans la banlieue de Dijon. Officiellement elle propose « pédagogie et accompagnement personnalisé pour vos projets concernant les crypto-actifs afin de participer à une alternative économique fiable et pérenne face aux enjeux actuels ». En pratique, RRCrypto se comporte comme un prestataire de conseils en cryptos gérant pour compte de tiers, moyennant 17% de commissions de performances (17% des gains).
RRCrypto recrute rapidement des adeptes en affichant des « gains » mirobolants selon la conjoncture du Bitcoin, attirant de nouveaux dépôts.
Malgré les doutes exprimés par des observateurs sceptiques sur les forums spécialisés, Vincent Ropiot se veut rassurant : « en manipulant des fonds et en ayant un devoir de conseil auprès de nos investisseurs, nous sommes presque considéré comme des CIF (Conseillers en investissements financiers). Bien que nous aurons le statut PSAN, notre activité ressemble énormément à de la gestion de patrimoine par exemple. De ce fait, nos experts nous guident dans cette direction afin de répondre aux obligations de l’AMF », début septembre 2020, sur le forum Crypto FR.
En deux ans, l’association convainc 4 500 particuliers de lui confier 58 millions d’euros à investir et gérer en cryptos (a)variées : Bitcoin, Ethereum, etc. Mais le 20 juin 2021, Vincent Ropiot annonce par mail à ses adhérents-clients, que leurs cryptos « conservées » sur la plateforme Binance auraient été piratées trois mois plus tôt.
Comme dans Quadriga, contrairement à Mt.Gox, il s’agit plus probablement d’un Ponzi que d’un piratage, c’est-à-dire que les fonds collectés n’ont jamais été investis en cryptos mais directement détournés.