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Des placements rémunérateurs pour leurs distributeurs, pas si clairs pour leurs souscripteurs…

Pour beaucoup d’Européens et de Français, l’Allemagne ou le Luxembourg véhiculent une image sérieuse, notamment en matière financière. En réalité, ces pays sont parmi les moins protecteurs contre de nombreuses pratiques douteuses, sinon frauduleuses, exportées vers la France, comme en témoignent des sanctions de l’Autorité des marchés financiers visant les ventes de tels placements dans l’Hexagone.

Une nouvelle décision de la Commission des sanctions de l’AMF nous éclaire sur ces placements

Parmi les placements mal présentés, dont un distributeur est une nouvelle fois sanctionné par l’Autorité des marchés financiers (AMF), figure Thomas Lloyd, auquel Deontofi.com avait déjà consacré un article.

Voyons les problèmes entourant la diffusion de placements étrangers ou exotiques en France, par des intermédiaires ignorant peut-être leurs réglementations, mais probablement pas les commissions qu’ils en tirent.

« Entre le 1er janvier 2019 et le 22 avril 2022 (ci-après, la « période contrôlée »), AFC [ndlr, Activ Finance Conseils, société de conseil en gestion de patrimoine toulonnaise] a notamment recommandé à ses clients :

  • les offres d’emprunts obligataires des sociétés du groupe Vivat Multitalent (ci-après, le « groupe Vivat ») consistant en la souscription aux obligations émises par les entités Multitalent AG, Multitalent II AG, Multitalent III AG et Vivat Multitalent AG établies aux Liechtenstein, destinées à financer des investissements dans des actifs immobiliers et des métaux précieux. Au cours de la période contrôlée, cinquante-deux clients d’AFC ont souscrit aux produits du groupe Vivat, représentant un encours total de 4,92 millions d’euros ;
  • l’offre obligataire Horizon Oblig 36 émise par la société Horizon Oblig, membre du groupe Horizon Asset Management (ci-après le « groupe Horizon AM »), qui exerce une activité d’octroi de prêts et de financements à des sociétés dans le domaine de la promotion, la réhabilitation, la construction et la revente d’immeubles neufs ou anciens ;
  • les offres obligataires émises par la société ThomasLloyd Cleantech Infrastructure AG (ci-après « Thomas Lloyd ») établie au Liechtenstein, filiale du groupe Thomas Lloyd, destinées au financement de projets d’infrastructures durables dans le monde. », ce sont les Faits énoncés, p.2 de la décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 12 juin 2024.

Thomas Lloyd mal présenté

« Les notifications de griefs critiquent la qualité de l’information figurant dans trois déclarations d’adéquation remises aux clients de l’échantillon ayant souscrit aux produits ThomasLloyd et Horizon AM », lit-on dans la décision SAN 12/6/2024 (p.9 §42), précisant que « Les déclarations d’adéquation par lesquelles AFC a recommandé à deux clients de souscrire aux produits ThomasLloyd ne mentionnent pas les risques spécifiques inhérents aux offres » (p.9 §43).

« Les notifications de griefs relèvent que les déclarations d’adéquation remises aux trois clients de l’échantillon ayant souscrit des produits ThomasLloyd et Horizon AM ne présentaient les coûts et frais ni de manière agrégée, ni sous forme de pourcentage, ni en valeur absolue » (p.9 §48).

A ce titre, la Commission des sanctions juge que la société Activ Finance Conseils « a manqué, entre le 19 avril 2021 et le 15 décembre 2021, aux dispositions du 8° de l’article L. 541-8-1 du code monétaire et financier et du II de l’article 325-12 du règlement général de l’AMF en ne communiquant pas une information exacte, claire et non trompeuse dans les déclarations d’adéquation relatives aux offres ThomasLloyd et Horizon AM transmises à ses clients », sanction AMF 14/6/2024 (p.22).

Concernant le groupe Vivat : « Il ressort des pièces du dossier qu’entre 2019 et 2022, les sociétés Vivat D.E.I. GmbH & Co. KG et VIVAT Financial Services GmbH, appartenant au groupe Vivat, ont versé à AFC des commissions à la suite de la commercialisation auprès de ses clients de produits d’investissement émis par les sociétés Multitalent AG, Multitalent II AG, Multitalent III AG et Vivat Multitalent AG. Ainsi, en 2019, sept commissions d’un montant total de 22 251,11 euros ont été versées à AFC, contribuant à 78% de son chiffre d’affaires CIF. En 2020, dix-sept commissions ont été versées pour un montant total de 34 994,45 euros représentant 77% de son chiffre d’affaires CIF. Enfin, dix-neuf commissions ont été versées en 2021 pour un montant total de 67 697,5 euros représentant 88% de son chiffre d’affaires CIF. Il apparait dès lors que cette relation de nature commerciale était significative pour les exercices 2019, 2020 et 2021 », énonce la décision SAN AMF du 14/6/2024 (p.7 §26-27).

    « En l’espèce, la société Vivat Multitalent AG n’a pas rédigé de prospectus et ne peut donc prétendre au bénéfice du « passeport prospectus ». La commercialisation des titres « Bond E2020 » et « Bond E2021 » était donc interdite en France« , conclue l’AMF (p.16 §100).

    Au final, la Commission des sanctions juge que la société Activ Finance Conseil « n’a pas manqué, entre le 6 mai 2019 et le 18 mai 2022, à l’obligation d’exercer son activité de CIF avec soin et diligence pour servir au mieux les intérêts de ses clients prévue au 2° de l’article L. 541-8-1 du code monétaire et financier en proposant à plusieurs de ses clients des offres obligataires Multitalent AG, Multitalent II AG et Multitalent III AG », mais qu’elle a bien « manqué, entre le 2 décembre 2020 et le 1er janvier 2022, à l’obligation d’exercer son activité de CIF avec soin et diligence pour servir au mieux les intérêts de ses clients prévue au 2° de l’article L. 541-8-1 du code monétaire et financier en proposant à plusieurs de ses clients des offres émises par la société Vivat Multitalent AG alors que celles-ci étaient interdites en France. » (p.22)

    Revenons sur les titres Vivat de la société allemande Multitalent AG. Cette société allemande édite un site Internet en français, sans autre présence en France.

    Sur son site web en français, faisant la promotion de placements « Multitalent » la société VIVAT Verwaltungs GmbH annonce clairement les couleurs, si l’on peut dire. Dans ses mentions légales, exclusivement en anglais en dépit de l’intitulé « Français » (cf image), VIVAT Verwaltungs GmbH précise « expressément » (expressly) qu’elle n’est « ni fournisseur ni émetteur des titres présentés ». Et concernant ces titres, « VIVAT Verwaltungs GmbH ne fournit aucun service en terme de conseil en investissement ou de courtage ». Vous êtes prévenu.

    En dessous de cet avertissement pour se soustraire aux réglementations contraignantes du conseil en investissement ou du courtage, le site précise les noms des fournisseurs et émetteurs des titres promus.

    Pendant longtemps, d’autres placements étrangers à connotation immobilière avaient prospéré en France à la faveur d’une mode attisée par de brillants vendeurs, ayant convaincu de nombreux conseillers en gestion de patrimoine d’y faire souscrire leurs clients. Fairvesta ? L’AMF avait publié des mises en garde en 2011, puis en 2012, rappelant que « La société Fairvesta n’est d’ailleurs ni autorisée à fournir en France des services d’investissement ou des conseils en investissement financier ni habilitée à se livrer à une activité de démarchage bancaire ou financier et les placements proposés n’ont pas donné lieu à l’élaboration d’un document d’information visé ou revu par l’AMF ». On n’en entend plus parler.

    Quant aux placements de la société Horizon AM, c’est une autre affaire, franco-française celle-là.

    « Concernant le groupe Horizon AM. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier qu’AFC a notamment perçu de la part de la société Horizon Asset Management, du groupe Horizon AM, en application d’une convention de distribution, dix versements d’un montant total de 7 021,28 euros en 2019, représentant 25% de son chiffre d’affaires CIF, neuf versements d’un montant total de 11 716,95 euros en 2020 représentant 26% de son chiffre d’affaires CIF et six versements d’un montant total de 5 033,53 euros en 2021, représentant 7% de son chiffre d’affaires CIF. Si les sommes des pourcentages des parts de chiffre d’affaires CIF réalisées par AFC auprès des groupes Vivat et Horizon AM sur les exercices 2019 et 2020 excèdent 100%, il s’agit des chiffres d’affaires communiqués par AFC », lit-on dans la décision de la Commission des sanctions de l’AMF (p.7 §28).

    Horizon AM payait en revanche des commissions à ses distributeurs pouvant expliquer ses distinctions comme « 3ème société préférée des CGP dans la catégorie société (immobilier) » et « prix des Conseillers en Gestion de Patrimoine dans la catégorie Capital-Investissement immobilier en 2023 », décernées par notre confrère Investissement Conseil (ci-dessous).

    « Or, AFC n’a pas mentionné l’existence de ces deux relations commerciales significatives dans les DER remis à 17 de ses 18 clients de l’échantillon établi par les contrôleurs, étant précisé que le dernier dossier ne contenait aucun DER [ndlr Document d’entrée en relation] », poursuit l’AMF (p.7 §30).

    « Il ressort des pièces communiquées par AFC qu’elle a perçu des groupes Vivat et Horizon AM des commissions d’un montant total de 29 272,39 euros en 2019 et de 46 711,40 euros en 2020. AFC a ensuite perçu des groupes Vivat, Horizon AM et Thomas Lloyd des commissions d’un montant total de 68,777,50 euros en 2021, de 30 689 euros en 2022 et de 10 363 euros au 30 septembre 2023, sur l’exercice non clos », résume la sanction AMF du 14/6/2024 (p.21 §136).

    En visitant le site web d’Horizon AM, on est intrigué par les distinctions accordées par la presse.

    Curieux, on se renseigne (comme nos confrères ?)

    « HAM, détenue à parité par MM. Mehdi Gaiji et Franck Lemaître, gère sept FIA pour un montant d’encours de 46,6 M€ au 31/12/2021. La SGP a la qualité de président de trois « club deals » qui ont collecté 16,9 M€ au 31/12/2021. Elle avait également collecté 30,4 M€ au 31/12/2020 à travers trois offres basées sur des instruments de dette. Au titre des exercices 2021 et 2022, la SGP a réalisé un chiffre d’affaires de respectivement 2,76 M€ et 3,52 M€, et un résultat net de respectivement 417 k€ et 115 k€ », apprend-on au détour d’une décision du 5/9/2023 de la Commission des Sanctions de l’AMF qui leur est consacrée.

    A l’issue des méandres fastidieux de cette décision de 39 pages, on apprend que la Commission des sanctions « prononce à l’encontre de la société Horizon Asset Management une sanction pécuniaire de 90 000 € assortie d’un avertissement ; prononce à l’encontre de M. Mehdi Gaiji une sanction pécuniaire de 30 000 € ; prononce à l’encontre de M. Arnaud Monnet une sanction pécuniaire de 15 000 € », pour diverses entorses aux règlementations de la gestion d’actifs et de leurs métiers.

    Bons placements pour qui ? Les fabricants ? Les distributeurs ? Ou les souscripteurs ? Les premiers savent déjà. Les autres… plus tard.

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