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Voie étroite pour nettoyer son image en purgeant les figures d’un passé scabreux

Leonteq semble en ébullition. La sanction infligée par la FINMA fin 2024 n’a pas été qu’un simple accroc réglementaire ; elle a agi comme un véritable détonateur, précipitant une purge au sommet et des règlements de comptes internes dont l’onde de choc se propage encore aujourd’hui, au sein du spécialiste helvétique des produits structurés exotiques. A ce stade de son destin, la saga Leonteq est aussi celle d’un pouvoir chancelant sous le poids des scandales, miné par des intérêts divergents dans sa tentative de renouvellement.

L’épée de Damoclès de la FINMA a mis en lumière des « graves manquements » dans la gestion des risques et la collaboration avec des distributeurs non réglementés. Une révélation qui, loin d’être anecdotique, a fait trembler les fondations de l’entreprise. En coulisses, la pression des actionnaires est devenue intenable. Raiffeisen, premier groupe bancaire coopératif de Suisse, et 1er actionnaire de Leonteq avec 29,71 % du capital, mène la fronde. Surtout depuis qu’il a prudemment abandonné son siège au conseil d’administration, pour mieux se dissocier de ses décisions et responsabilités embarrassantes. Lukas Ruflin, co-fondateur de Leonteq en 2007 et CEO jusqu’au 28 février 2025, a été le premier à en payer le prix fort. Discrètement d’abord, par le retrait de sa candidature au Conseil d’Administration le 14 février 2025, puis plus ouvertement, en cédant sa place de directeur général (CEO) à Christian Spieler le 1er mars 2025. Lukas Ruflin, fondateur et développeur de Leonteq, bien qu’écarté du conseil, en reste le deuxième actionnaire, avec 8,82 % du capital.

Ce départ n’est pas le fruit du hasard mais la conclusion d’âpres négociations. Des tractations en coulisses impliquant les principaux actionnaires et des membres du conseil d’administration ont scellé le sort de Ruflin. Lui-même a déclaré : « Suite à la publication des résultats annuels 2024 de Leonteq… le feedback reçu a indiqué que, compte tenu de mon rôle de co-fondateur de Leonteq, les investisseurs s’attendent à une période de décantation pour le CEO sortant avant qu’il ne rejoigne le Conseil d’Administration ». Un euphémisme pour une éviction.

L’arrivée de Christian Spieler marque le début d’une nouvelle ère. Cet expert avec plus de 25 ans d’expérience dans de grandes institutions financières internationales, notamment une expertise dans les produits structurés, a pour délicate mission de restaurer la confiance. Dans les salles de marché, le mot « spieler », signifiant « joueur » en allemand, désigne un spéculateur ayant le goût du risque et des paris. Présage ou coïncidence, l’avenir reste à écrire.

 Le 8 mai 2025, Leonteq a aussi annoncé une « réduction de la taille de son Comité Exécutif« , passant de sept à cinq membres, dans un souci affiché  » d’accélérer la prise de décision et de rationaliser les processus internes ». Le nouveau Comité Exécutif comprend Christian Spieler (CEO), Hans Widler (CFO), Reto Quadroni (CRO), Manish Patnaik (COO) et Jasmin Koelbl-Vogt (General Counsel).

Ces changements ont entraîné plusieurs départs clés, dont celui d’Alessandro Ricci (ancien Head of Investment Solutions) remplacé par Lorenzo Leccesi, et Markus Schmid (Chief People Officer) remplacé par Isabelle Hauser. Le départ à la retraite imminent de Reto Quadroni (CRO, Chief Risk Officer) est également en préparation. Une aubaine pour éloigner discrètement ce « responsable des risques » qui en sait peut-être trop. Plus récemment, en mai 2025, Leonteq a nommé trois nouveaux responsables des ventes pour la Suisse : Manuel Dürr (Head of Sales Switzerland), Bastian Heller (Head of Sales Zurich) et Paul Hourdier (Head of Sales Geneva), une équipe commerciale clé pour reprendre l’assaut du marché domestique.

Pendant que les têtes tombent, l’inquisition judiciaire progresse lentement mais inexorablement. Le cas d’un ancien responsable conformité à Paris est révélateur : le 3 avril 2025, le conseil des prud’hommes de Paris a ordonné sa réintégration et le remboursement d’une partie de son salaire (350.000 euros de dédommagement en tout), lui accordant le statut de lanceur d’alerte. Le tribunal a jugé qu’il avait agi « de bonne foi » en signalant des transactions suspectes à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en 2021. Ce jugement souligne non seulement la fragilité de la culture de conformité interne, mais aussi son élimination des voix dissonantes. Ce n’est pas qu’une question de règlements de comptes ; c’est une question de survie pour Leonteq, qui doit à tout prix rassurer les marchés et les régulateurs, quitte à sacrifier des figures historiques, ayant autant contribué à sa fortune qu’à son revers. La restructuration en cours semble une ultime tentative pour Leonteq de se refaire une virginité.

Leonteq, chronologie d’une crise de gouvernance

DateÉvénement CléActeurs ImpliquésImpact Clé
12 Décembre 2024La FINMA annonce la clôture de son enquête, ordonnant une restitution de 9,3 millions de CHF pour manquements graves.FINMA, Leonteq, Lukas RuflinChute de l’action de 3,11%.
6 Février 2025Lukas Ruflin qualifie les résultats 2024 de « décevants » et Christian Spieler est nommé nouveau CEO.Leonteq, Lukas Ruflin, Christian SpielerChute de l’action de 11,06%.
14 Février 2025Lukas Ruflin retire sa candidature au Conseil d’Administration, suite aux « objections d’actionnaires ».Lukas Ruflin, CA, ActionnairesSigne de la pression des actionnaires pour un renouvellement de la gouvernance.
27 Mars 2025AG : Rejet de la rémunération des dirigeants. Raiffeisen (29,71% actionnaire) impose un dividende de 3,00 CHF.Actionnaires (Raiffeisen, R-M. Frey), CAPerte de confiance des actionnaires envers le CA.
3 Avril 2025Prud’hommes de Paris ordonne réintégration d’un lanceur d’alerte, confirmant des « transactions suspectes ».Prud’hommes de Paris, Leonteq Sec. (Europe)Validation judiciaire d’allégations de non-conformité.
8 Mai 2025Leonteq annonce une réduction du Comité Exécutif (de 7 à 5 membres) et des départs clés.Leonteq, Christian SpielerRestructuration visant à « accélérer la prise de décision » et renforcer la conformité.
Mai 2025Nomination de trois nouveaux responsables des ventes pour la Suisse.Leonteq, Manuel Dürr, Bastian Heller, Paul HourdierRenforcement de l’équipe commerciale locale.

Saga Leonteq, saison 2:

  1. Leonteq pincé en Suisse
  2. Sanction Leonteq Suisse sur la voie de la vérité
  3. Sanction FINMA éclaire procès Leonteq
  4. A / Leonteq et les bancassureurs accusés
  5. B / Pertes abyssales Leonteq en pagaille
  6. C / Leonteq, barattage à tous les étages
  7. Scandales d’assurances-vie Leonteq outre-manche
  8. Leonteq la Suisse cache son jeu
  9. Eramet embusqué, Leonteq esquivé
  10. Règlements de comptes et purge chez Leonteq
  11. Leonteq entre sanctions et naufrage des structurés
  12. Vider la caisse avant la casse ?
  13. Dérives entre soi, dissection du système Leonteq

Saga Leonteq, saison 1:

  1. Leonteq flashé par le FT, une saga des structurés
  2. Que lit-on sur Leonteq dans le Financial Times ?
  3. Ernst & Young et les audits serviables
  4. Des structurés perdants de Leonteq (EMTN)
  5. Au cœur de Leonteq, une conformité foutraque
  6. Fraude Leonteq Eramet, l’omerta française brisée
  7. Leonteq et le CLN-Rallye pas nickel d’Eramet
  8. Produits structurés danger : Déontofi alerte la justice !
  9. Maximum 12,62% ? Décrément à la loupe

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