Notre enquête sur une société de gestion en cours d’examen par l’Autorité des marchés financiers (AMF) révèle le préjudice que peuvent subir des souscripteurs de FCPI en cas de défaut de contrôle du dépositaire.
En pratique, l’efficacité des contrôles conduits par les dépositaires semble illusoire. La réglementation leur impose, en effet, une tâche complexe consistant «à s’assurer du respect par les sociétés de gestion des dispositions législatives et réglementaires applicables aux fonds d’investissement». Notre enquête sur une société de gestion ayant subi un tel contrôle en témoigne.
En mai 2010, une société de gestion de capital-risque (FCPI, FIP et FCPR) reçoit un message du pôle audit de son dépositaire, SGSS, l’informant de l’ouverture d’une mission thématique sur le «suivi des ratios et de la valorisation des FIP/FCPI». Le dépositaire veut notamment vérifier la «procédure de valorisation des actifs cotés ou non (…) applicable en particulier à vos FCPI, de la collecte des informations à la décision de valorisation», ainsi que la «procédure de suivi des ratios réglementaires, spécifiques et fiscaux». SGSS précise que ces demandes sont conformes à ses obligations «décrites à l’article 323-18 du RGAMF, qui nous imposent de prendre connaissance et apprécier les procédures de nos clients».
Même s’ils sont moins exhaustifs qu’un audit global, ces deux points sont très sensibles dans le cadre des FCPI, FIP et FCPR investissant dans des sociétés non cotées, par exemple des PME et jeunes entreprises innovantes. Contrairement aux titres cotés, dont la valorisation correspond au cours de Bourse, les participations des FCPI sont valorisées par la société de gestion elle-même, avec l’approbation de son commissaire aux comptes et la bénédiction de son dépositaire pour seuls garde-fous. En principe, l’évaluation des titres non cotés suit des règles sérieuses : «Elle doit respecter la méthode d’évaluation décrite dans le règlement du fonds communiqué aux souscripteurs, en se référant le plus souvent aux méthodes préconisées par les associations professionnelles, qui reposent sur un ensemble de paramètres combinés», explique Philippe Legrand, président de la commission OPCVM auprès de l’Autorité de normalisation comptable. Beaucoup se réfèrent ainsi au guide International private equity valuation (IPEV) qui détaille les cinq paramètres d’évaluation les plus courants: le prix des dernières transactions, les multiples appliqués à des éléments financiers (ventes, bénéfices, excédent d’exploitation…), la valeur des actifs, l’actualisation des flux de trésorerie futurs, et les comparaisons avec des sociétés concurrentes.
Les ratios d’investissement sont aussi un enjeu crucial. Mais ils s’avèrent complexes à surveiller. Pour limiter les risques, un fonds n’a pas le droit d’investir plus de 10% de ses actifs dans une même société, ni que son investissement représente plus de 35% des titres d’une même société (ratio d’emprise). Dans le cas des FCPI, 60% des actifs doivent être investis en titres éligibles pour que le fonds bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu. Mais les proportions et la nature des titres éligibles sont différentes pour bénéficier en plus de la réduction d’ISF. Enfin, les capitaux apportés par tous les fonds bénéficiant d’un avantage fiscal sont limités à un certain montant par société, etc.
En pratique, des gérants indélicats peuvent être tentés de surévaluer ou sous-évaluer leurs participations et la performance de leur fonds selon leur intérêt du moment, en considérant les ratios comme des contraintes facultatives. Et le dépositaire peut ne rien voir, même au cours d’un audit ciblé : «En réponse à la demande de SGSS concernant les méthodes d’évaluation, la société de gestion a envoyé un procès verbal de comité de valorisation sans argument chiffré, ni calcul déterminant la valeur retenue pour les participations, explique une personne proche de ce dossier en cours d’instruction par l’AMF. Quant à la demande sur le suivi des ratios, la société de gestion a donné à SGSS une liste des ratios à suivre, sans aucune preuve qu’elle en respectait l’application.» Or, la société de gestion commettait en parallèle deux gros écarts préjudiciables aux souscripteurs de ses FCPI, notamment liés à la valorisation et au suivi des ratios, sans éveiller de soupçon de SGSS.
Premièrement, les gérants comprennent, hélas trop tard, qu’ils ont fait acheter trop de titres d’une PME par un FCPI géré pour le compte d’un réseau bancaire, qui se retrouve avec plus de 35% du capital de la PME, donc en infraction sur le «ratio d’emprise». Pour corriger l’erreur, les gérants veulent revendre ces titres à d’autres fonds qu’ils gèrent, et qui auraient dû acheter ces titres initialement à la place du fonds en dépassement de ratio. Mais en deux ans, ils estiment que leur participation s’est valorisée de 140%, passant de 1,8 à 4,4 millions d’euros.
De ce fait, le fonds en infraction sur son dépassement de ratio empochera un gain indu, tandis que celui qui le dépannera sera pénalisé par un surcoût de 2,6 millions par rapport au prix qu’il aurait dû payer ces titres deux ans plus tôt. Les gérants choisissent alors de revendre ces titres à un autre FCPI grand public, qu’ils gèrent pour leur partenaire bancaire, plutôt qu’au FCPR de leurs propres clients institutionnels. La transaction entraîne plus de 600.000 euros de frais et droits de mutation que les gérants veulent d’abord faire prendre en charge par les fonds concernés. Mais l’intervention du contrôle interne les convainc d’abandonner cette option qui aurait encore plus pénalisé les souscripteurs concernés. Quand SGSS interroge la société de gestion sur le suivi de ses ratios, cinq mois plus tard, l’incident est totalement passé sous silence.
Le deuxième écart dont a eu connaissance l’AMF porte sur une opération de passe-passe douteuse. Les PME innovantes ayant du mal à emprunter souscrivent parfois des prêts à des taux prohibitifs. Pour soulager l’une de ces PME, la société de gestion lui fait émettre des obligations convertibles souscrites par quatre FCPI qu’elle gère, afin que la PME puisse rembourser son prêt. Le gérant prévoit d’augmenter sa participation au capital de la PME, plutôt que d’en rester créancier, mais ne veut pas de certains partenaires à son tour de table. Il fait rembourser les obligations convertibles par la PME à trois des FCPI, qui souscrivent à la place une augmentation de capital réservée, mais sans en informer le partenaire bancaire pour le compte duquel il gère le quatrième FCPI, exclut de cette opération.
Dans les deux cas, l’audit de SGSS n’a rien vu, que ce soit par manque de moyens ou par la volonté de dissimulation de la société de gestion. Même si les constats dressés par l’AMF à l’occasion de sa sanction contre SGSS sont «d’ordre organisationnel», comme l’a fait valoir la Société Générale, il semble très imprudent d’affirmer «qu’aucun porteur ni aucun client n’a subi un quelconque préjudice dans ce dossier». Si aucun investisseur ne s’en est plaint, c’est surtout qu’ils n’en ont rien su.