Le procès en appel pour abus de confiance des ex-dirigeants du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires (Cref) est l’occasion de comprendre comment 450 000 épargnants se sont fait piéger par ses fausses promesses. Deontofi.com publie les plaidoiries des quatre avocats défenseurs des victimes du Cref, telles que présentées à l’audience du 6 décembre 2013. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)
Plaidoirie de Maître Nicolas Lecoq-Vallon, première partie
Je voudrais revenir sur les principes et les valeurs du régime de complément de retraite du Cref : le mutualisme, évidemment, mais il faut savoir ce que cela implique pour les adhérents ; le militantisme, le syndicalisme, la souscription de collègue à collègue, qui incite à rejoindre le Cref pour ces valeurs auxquelles les adhérents sont attachés : la confiance, la solidarité, l’Education nationale, la confiance dans un système dérogatoire de l’économie marchande. Ce système n’a pas une approche mercantile de produit d’épargne.
Ce discours sans cesse réitéré mérite d’être rappelé. Responsabilité et autogestion. Ces notions importantes impliquant la cogestion, sont rappelées dans les actions civiles où il nous a été dit « mais c’est un leurre, ça n’existe pas ». Plus le principe de 2/3 des cotisations en répartition pour 1/3 en capitalisation. Les actifs payent pour la retraite des allocataires. Plus le principe réitéré du bénévolat, désintéressé, échappant à l’économie marchande. Les personnes gèrent au moindre coût pour les adhérents, car elles sont désintéressées. Aujourd’hui ce type de produit n’est pas autre chose qu’une assurance vie ou un Perp comme en vendent la Préfon ou le Corem : une rente lors du départ en retraite. Voila la prestation qui, quand elle est vendue dans ces établissements, détermine le consentement de mes clients. Ils y vont car ils ont confiance et sont certains que c’est le meilleur produit. Le bulletin de souscription et tous les documents assurent que la rente sera indexée sur le salaire de la fonction publique, c’est la raison d’être du Cref.
C’est une mutuelle, transparente, sans but lucratif, et il y a aussi cette indexation très intéressante présentée comme la raison d’être du régime, réaffirmée de 1989 à 2000, date à laquelle l’article R323-1 du Code de la mutualité réforme le principe des 2/3 répartition en ne l’autorisant qu’à condition de conserver une règle de captivité des adhérents des mutuelles départementales.
Dès 1989 le Cref ne respecte pas cette règle et ne fonctionne pas comme prévu, ce qui exige alors un provisionnement total comme pour la capitalisation, et la disparition de l’indexation sur les points de la fonction publique. Mais tout ça est ignoré de mes clients, convaincus que le régime fonctionne et que ce principe d’indexation sera respecté. C’est très important. Le témoignage de monsieur Parma est parlant car sa perte de revenus peu paraître faible mais elle est essentielle. Il avait prévu 120 euros par mois et il a touché 90, pour lui c’est considérable. D’autant que les
militants leur disaient « n’épargnez rien dans le privé, avec le Cref vous n’aurez pas de mauvaise surprise », alors que la mauvaise surprise est totale, en octobre 2000, quand on leur annonce la rupture de l’indexation. C’est dramatique pour tous ces gens. Le problème s’aggrave quand le système est arrêté. La Mrifen est en dépôt de bilan en 2001. Ils se retrouvent en 2002 en pleines vacances avec ce choix : soit vous acceptez les régimes de remplacement R1 et R2 soit vous démissionnez. C’est le choix entre la peste et le choléra : les droits antérieurs à 1989 n’ont pas été revalorisés depuis 2002, ils ont perdu aujourd’hui, au bout de 10 ans, 35% de leur promesse de maintien du pouvoir d’achat. Ceux qui, c’est une minorité, se sont retrouvés dans le Corem, ont un préjudice aussi important car ils doivent payer 1,5 milliard d’euros d’insuffisance de provisionnement à reconstituer depuis 2000 et qui va s’étaler pour rattraper 100% de la provision qui aurait dû s’appliquer depuis 1989 si le fonctionnement du Cref avait été normal. Et il est encore plus important pour ceux qui quittent le régime, à quelle condition ! C’est une perte jusqu’à 100% de leur réserve placée en répartition pour les 70 000 personnes qui ont quitté. Tout ça est reconnu par l’arrêt d’appel de 2011. Quand ils découvrent les infractions en 2000 ils peuvent légitimement démissionner, eh bien ils vont subir un préjudice encore plus fort. Ce n’est pas moi qui le dit mais les commentaires de l’époque et les décisions de justice rendues ensuite.
Se pose la question du fonctionnement du régime en cogestion effective, et si les sociétaires sont informés des avantages en nature figurant aujourd’hui dans la prévention. Que nous a-t-on dit, et j’englobe toute
l’information. On nous a dit que l’information de la mutuelle était relayée par les mutuelles départementales, qu’il y avait la journée des président, des documents envoyés, mais aucune pièce n’est versée au débat. En réalité elles étaient de simples boîtes à lettres qui ne fonctionnaient pas, ou de façon rarissime. Les témoins disent qu’ils n’arrivaient pas à avoir d’information des mutuelles départementales. Il y en avait 125, dissoutes en 2002 dans la fusion du régime. Tout s’est fait extrêmement vite, ce qui montre bien qu’il s’agissait de simples boîtes à lettres. Les prévenus n’ont absolument pas démontré la réalité des informations transmises, ni d’indice que les mutuelles départementales étaient de véritables relais. L’Igas s’est prononcée aussi, et dit que l’information n’est pas relayée, en plus du problème du fonctionnement démocratique. Il reste l’assemblée générale de la MRFP une fois par an où assistent les délégués désignés par les mutuelles départementales. L’Igas dit que ces désignations posent problème, car cette règle ne respecte pas la répartition entre les mutuelles adhérentes. Elle ne permet pas un bon relais des informations au niveau de l’union qui seront transmises aux adhérents. On a eu un débat sur ce point hier qui pose le problème de validité des assemblées générales, alors que l’Igas disait que leur validité était remise en cause, ce qu’on a fait.
Le rapport de l’Igas est la colonne vertébrale de ce dossier car tout y est.
Sur l’insuffisance de l’information aux souscripteurs, je rappelle que les gestionnaires du régime, les prévenus, avaient déjà conscience que l’information n’était pas correcte, alors qu’aujourd’hui ils soutiennent devant vous le contraire. On nous dit que le courrier des mutuelles donnait toute l’information. L’Igas dit qu’il n’y avait pas d’imputation comptable claire dans la comptabilité de l’Umrifen, donc elle ne pouvait pas être transmise aux souscripteurs. Quand on voit ces publications, le discours, au contraire continue à être optimiste, sans une ligne sur les rémunérations versées, ni dans les rapports des AG.
C’est grave car on constate la faillite du régime dès 1999, Monsieur Teulade a rappelé qu’il se
bat pour sa survie dès 1994, ces informations sont dissimulées dans le courrier des mutuelles où les discours restent optimistes. En juin 1999, en plein rapport de l’Igas, on parle de l’évolution positive de la caisse par répartition alors qu’elle est en
train de mourir. Et dans un rapport du conseil d’administration antérieur, où on s’inquiète en mai 1999 en évoquant « de réelles inquiétudes » face à la « gravité de la situation ». La maison est en feu, on tient le discours inverse. Donc on n’a pas d’information transparente et loyale comme on nous l’a dit. Le discours de militant n’est pas respecté.