Le procès en appel pour abus de confiance des ex-dirigeants du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires (Cref) est l’occasion de comprendre comment 450 000 épargnants se sont fait piéger par ses fausses promesses. Deontofi.com publie les plaidoiries des quatre avocats défenseurs des victimes du Cref, telles que présentées à l’audience du 6 décembre 2013. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)

Plaidoirie de Maître Francis Terquem, deuxième partie (2 sur 2).

Maître Francis Terquem intervient en soutien des victimes du Cref, lors du procès pénal de ses ex-dirigeants. (photo © GPouzin)

Maître Francis Terquem intervient en soutien des victimes du Cref, lors du procès pénal de ses ex-dirigeants. (photo © GPouzin)

Une valeur militante, nous dit René Teulade, poursuit Maître Terquem; une approche commerciale nous dit Norbert Attali, en parlant de fonds de pension. Du côté militant, on recrute pour une bataille idéologique fondamentale qui traverse le monde ouvrier depuis toujours. Il faut faire des adhésions pour prouver que le système par répartition peut vaincre la capitalisation. Alors on fait venir tous les cadres à Paris, cela permet aussi de mesurer leur engagement, leur fidélité, leur disposition à devenir administrateur, voire permanent.

On appâte, décrit l’avocat. Ainsi se font les fidélités. Les délégués vont dans leurs collèges recruter eux-mêmes sur la foi de valeurs totalement galvaudées, mais auxquelles les malheureux croient. On va recruter et recruter encore, jusqu’à faire 450 000 victimes !

On ne peut à la fois violer sa conscience et bénéficier d’un confort minimal pour le faire oublier. Leur rémunération passe de un à trois, sous couvert de compensation de carrière, ce qui permet de faire face à des frais de coiffure plus chers à Paris qu’à Vesoul. La femme de Jacques Brel a voulu voir Vesoul, Jacques Fleurotte a voulu voir Paris, où la vie est plus chère. On n’a pas attendu cette audience pour le savoir, badine Maître Terquem, déclenchant une vague de ricanements dans l’audience. Et si on fait un sondage, je crains que les gens préfèrent habiter à Paris qu’à Vesoul. Et puis, comme dit monsieur Attali « on était l’équivalent d’une compagnie d’assurance, un grand intervenant sur les marchés, on avait droit aux mêmes avantages ». Sans doute étiez-vous jeune à l’époque des nationalisations de 1981, plaide-t-il à la Cour pour introduire sa réflexion sur le mimétisme des dirigeants du Cref avec ceux de leurs concurrents assureurs. L’idée était qu’il fallait recruter des gens bien payés : « on gérait un fonds de pension, quoi ! Il fallait bien qu’on ait un peu d’argent », résume-t-il.

Il y a deux moyens de gagner de l’argent. On peut être trader très bien payé, ou patron d’entreprise et s’octroyer une retraite chapeau, lance l’avocat. C’est assez mal vu quand on gagne beaucoup d’argent de cette façon, mais c’est la logique du libéralisme. D’un autre côté, il y a une autre manière de gagner de l’argent : c’est de ne pas avoir de frais. Celle là est beaucoup plus fine, car elle permet de se rattacher au principe de militantisme vendu par René Teulade.

Maître Francis Terquem, avocat. (photo © GPouzin)

Maître Francis Terquem, avocat. (photo © GPouzin)

Pour payer un loyer, par exemple Boulevard de Courcelles, de 2000 euros par mois, il faut en gagner 3000, calcule Maître Terquem, compte tenu de ce qu’il reste après impôts. Pour une voiture qui coûte 1000 euros par mois il faut 1500. On est déjà à 4500 et on n’a pas commencé à manger ! C’est la définition du militantisme : une rémunération défiscalisée. Vous ne gagnez pas d’argent mais vous ne dépensez pas. C’est la même chose, et cela évite de remplir une déclaration d’impôts tous les ans.

Ce système ne pouvait aller qu’à la faillite, diagnostique enfin Maître Terquem, ajoutant dans ses conclusions que « c’est pour cette raison qu’au mois d’octobre 1997 la Commission des finances du Sénat a alerté le parlement et l’opinion publique sur l’aberration de ce régime facultatif par répartition de la Fonction Publique ». Il rappelle que le sénateur Philippe Marini, avait précisé dans un rapport les perspectives extrêmement défavorables du Cref dont il prônait l’extinction et un remplacement par un régime par capitalisation en déclarant même : « il ne paraît pas responsable, pour l’Etat, de continuer à prodiguer un encouragement fiscal à la souscription de régime de répartition facultatif » (NDLR, même si les arguments du sénateur Marini sont justes, son soutien récurrent aux projets de retraite par capitalisation des assureurs corrobore le soupçon d’offensive de ces derniers contre la retraite par répartition).

C’est pour nier cette évidence que l’UMrifen s’est trouvée dans l’obligation de corrompre et de laisser corrompre, reprend Maître Terquem, pour atteindre un nombre d’adhérents suffisant, pourtant impossible et utopique. Inéluctablement, la pyramide s’est écroulée. Monsieur Teulade nous a donné à ce sujet un élément qui n’était pas ressorti des débats en première instance. On a pris le chemin de Damas. On est allé à Canossa : ou plus précisément demander à Blondel de sauver le système concurrent (NDLR, l’avocat fait référence aux négociations évoquées par l’ex-leader du Cref avec le syndicat F.O. présidé à l’époque par Marc Blondel). Il a peut-être donné ses cigares, mais F.O. n’a pas voulu sauver le Cref. Ainsi s’explique la débandade. C’est extrêmement triste car il s’agissait d’une utopie, mais elle était impossible. J’aurais préféré, et je le dis à titre amical, qu’ils disent « on va restituer l’argent ». Ce qui me paraît le plus choquant n’est pas tant d’avoir un peu pris dans la caisse, mais de vouloir persister à se parer de cette vertu progressiste pour s’épargner de constater un échec fondamental. Peut-être même l’échec de sa vie…

Ces mots laissés en suspension planent un instant sur l’audience avant que la présidente rompe le silence : « ces grands procès ont cette particularité de nous faire revisiter tout ce que l’on a appris en droit civil, comme nous en avons eu l’occasion hier (NDLR avec la plaidoirie de Maître Yann Le Bras) et dans d’autres domaines de nos études qui mettent en œuvre des disciplines transversales, économie, politique, histoire du mouvement ouvrier… ». Sur ces paroles, l’audience est levée.

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3 commentaires

  1. Barjau Jean, le

    bonjour,
    fonctionnaire retraité depuis 1997, j’ai vu le montant de ma complémentaire retraite ( CREF-COREM-Complémentaire retraite) réduit d’abord de de 16% puis de 30 %.
    L’écart entre le revenu garanti par le contrat initialement signé et la réalité de son exécution m’a conduit à adhérer au CDIS dans l’espoir de voir reconnue la légitimité de ma demande d’indemnisation ou compensation.
    existe-t-il une autre voie pour accompagner ma démarche, car le CDIS semble bien peu efficace dans la conduite de la défense de ses adhérents.
    soyez assuré de ma meilleure considération. jean Barjau

    • Gilles Pouzin, le

      Nous n’avons pas connaissance de meilleurs défenseurs des victimes du Cref que le CIDS sans qui les procès en vue d’obtenir des indemnisations n’auraient jamais pu aboutir à une telle échelle.
      Les victimes les plus aisées peuvent peut-être bénéficier d’une assistance juridique d’un avocat mais il est à craindre que le manque d’efficacité que vous évoquez soit surtout du aux réticences et ralentissements administratifs indépendants de leurs efforts.

      Le dernier communiqué du CIDS reflète en effet les difficultés à recouvrer les indemnisations malgré les victoires judiciaires :

      Communiqué CIDS Paris, le 6 avril 2017
      Comité d’Information et de Défense des Sociétaires du CREF

      Mots clés : Présidentielle 2017 – Epargne retraite – Fonction Publique – Assurance – Mutuelles – CREF/COREM – CIDS – interpellation des candidats.

      Présidentielle 2017 : le CIDS remet la protection des épargnants au cœur du débat présidentiel par une lettre ouverte aux 11 candidats.

      Tandis que la question de l’avenir des retraites se pose avec acuité, le CIDS, par la voix de son président, Hervé Quénelle, interpelle les 11 candidats dans une lettre ouverte jointe à la présente, sur les mesures qu’ils prendront, une fois arrivés au pouvoir.
      Les demandes du CIDS portent d’une part sur l’accélération et la simplification de l’indemnisation par l’Etat des épargnants ayant saisi le Juge Administratif, et d’autre part sur la nécessité de renforcer le pouvoir de contrôle des épargnants en instituant plus de transparence et de démocratie dans la gouvernance des organismes mutualistes gestionnaires de l’épargne publique.
      Fort du combat qu’il mène depuis 17 ans en dépit d’aléas en tout genre devant les juridictions civiles, pénales, et administratives au nom de milliers d’épargnants floués, le CIDS interroge aussi les candidats sur la possibilité d’actions en justice collective pour les épargnants menées par des associations ad hoc telles que le CIDS, constitué après la faillite du CREF.
      Le CIDS pourra rendre publiques les réponses qu’il recevra des différents candidats à la Présidentielle 2017.
      17 ans après la débâcle du CREF, le combat continue. Le CIDS interpelle les candidats pour qu’ils mettent fin et préviennent des contentieux épuisants et interminables au préjudice des petits épargnants.

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