La construction de logements ne suffit pas à répondre aux besoins dans les zones tendues, c’est une des conclusions d’une récente étude publiée par le Trésor pour explorer des pistes d’amélioration.
On entend souvent qu’on manque de logements en France. Pourtant, près de 20% des logements « ne sont pas occupés en tant que résidence principale », rappelle une récente étude du Trésor. L’originalité de ce travail est d’avoir une approche par le marché, et pas seulement par la planification. En clair, là où on entend souvent les professionnels du secteur marteler « il manque 1 million de logements » ou « il faudrait construire 500 000 logements par an », le Trésor s’est penché sur les raisons des déséquilibres marché par marché, en cherchant des pistes pour améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande.
On construit déjà plus de 400 000 logements par an, selon les derniers comptes du logement et la France compte 36 millions de logements. Mais comme on recense 29 millions de ménages, 7 millions de logements ne sont pas des résidences principales, déduit logiquement l’étude du Trésor.
La légitimité des résidences secondaires n’est pas en cause. Ce qui intéresse le Trésor est de comprendre pourquoi on ne construit pas de logements mieux adaptés à la demande, surtout en ville.
Pour cela, le Trésor établit d’abord un constat sur l’évolution du stock de logements :
« Entre 2010 et 2017, le parc de logements en France a crû à un rythme moyen de plus de 370 000 unités par an du fait de la construction de nouveaux logements, tandis que le nombre de résidences principales, ou de manière équivalente le nombre de ménages, n’a augmenté que de 240 000 logements/an, reflétant à parts environ égales l’augmentation de la population et la réduction de la taille des ménages. Le parc de logements n’étant pas occupés à titre de résidence principale a donc gagné environ 130 000 logements chaque année, et le taux d’occupation est passé en 7 ans de 84 % à 82 %. On compte ainsi en 2018 plus de 6,5 millions de logements qui ne sont pas occupés en tant que résidence principale, dont 8,4 % de logements vacants et 9,7 % de résidences secondaires ou occasionnelles. »
Les maisons : 41% des constructions, 93% du foncier utilisé
Les résidences secondaires ne sont pas critiquées, mais les constructions de maisons n’optimisent pas l’espace constructible, souligne l’étude : « 41 % des logements construits en 2018 sont individuels, mais ils représentent plus de 93 % de la consommation des sols causée par l’habitation ».
Après avoir constaté une déconnexion entre les prix, dopés par la baisse des taux « qui accroît, à mensualité constante, la capacité d’emprunt », et les loyers, indexés sur l’indice de référence des loyers (IRL) « qui n’est autre que l’inflation hors tabacs et loyers », l’étude explore la diversité des situations territoriales pour en comprendre les causes.
Taux de résidences principales et démographie
« Les marchés du logement sont caractérisés par de profondes disparités territoriales. Le taux d’occupation des logements (défini comme la part de résidences principales sur le stock de logements) varie de 10 % à 94 % selon les communes, et le niveau des prix moyens communaux des logements de moins de 500 €/m² à plus de 12 000 €/m². La démographie, qui est un facteur important de la demande, varie aussi : entre 2010 et 2015, le nombre de ménages a diminué dans 8 400 communes en dépit d’une hausse de près de 1 % au niveau national », rappelle Thomas Tardiveau, l’auteur de l’étude.
Le Trésor établit alors 4 typologies de communes, en fonction des prix et taux d’occupation des logements : prix du logement moyenné entre 2014 et 2018 (supérieur ou inférieur à 2 000 €/m²) et taux de logements occupés en 2010 supérieur ou inférieur à 90 %). Certes, on peut discuter de la pertinence des seuils (2 000 €/m², 90% d’occupation) et des effets de seuils (une commune à 2 050 €/m² est-elle plus différente d’une commune à 1 950 €/m² que d’une commune à 4 000 €/m² ?). Ces seuils correspondent en fait à la « médiane » française : un foyer sur deux vit dans une commune à plus de 2 000 €/m² et plus de 90% de taux d’occupation.
Dans l’ensemble, cette classification permet d’identifier 4 situations :
Dans les villes plus chères
Dans ce classement, deux catégories de communes se caractérisent par des prix supérieurs au prix médian pondéré par le nombre d’habitants (2 000 €/m²), reflétant une forte attractivité d’un territoire :
– les zones en excès de demande : lorsque le taux de logements occupés est élevé (>90 %10), le marché du logement peut être qualifié de tendu et la construction de nouveaux logements peut être nécessaire pour répondre à une augmentation de la demande ;
– les zones touristiques : lorsque le niveau d’occupation des logements est faible, les communes peuvent être qualifiées de touristiques, puisqu’une grande part des logements y est à usage de résidence secondaire ou occasionnelle.
Comme dans les moins chères
À l’inverse, deux autres situations caractérisent les communes où les prix des logements sont bas (inférieurs au prix médian de 2 000 €/m²), traduisant une attractivité moindre ou une offre de logement surabondante :
– les zones en excès d’offre : lorsque le taux de logements occupés est relativement faible (<90 %). Dans ces communes, le parc de logements existants, éventuellement mis à niveau, pourrait aisément absorber une augmentation importante de la demande sans nécessiter la construction de nouveaux logements ;
– les zones en situation modérée : dans les communes où le taux de vacance est faible mais où les prix sont modérés, le stock de logements est proportionné à la demande.
Un peu partout, le parc de logements augmente plus vite que le nombre de foyers.
Trop de logements vides en zones non tendues
« Depuis les années 2000, le rythme de construction neuve dans les zones en excès d’offre a été décorrélé de la variation du nombre de ménages, et le parc de logements existants a été sous-utilisé (…) En 2010, dans ces zones, le taux d’occupation dans le logement ancien11 était en moyenne de 78 % le reste des logements étant réparti à parts quasi égales entre des logements vacants et des résidences déclarées comme secondaires. Entre 2010 et 2015, le nombre de ménages dans ces territoires a augmenté de 430 000 par an, tandis que le stock de logements augmentait de 668 000 unités (sur la période) ».
Là, les intérêts de la politique du logement convergent avec ceux des bailleurs privés, pointant les abus de constructions inlouables vendues à tour de bras par les marchands d’immobilier locatif défiscalisé (Scellier, Duflot, Pinel…).
« La baisse du taux de logements occupés touche tous les types de zones » note Thomas Tardiveau, l’auteur de l’étude, même si les variations de prix (allant de –20 % à +60 % par commune) « ont généralement accru les écarts existants entre zones ».
Paris, Lyon et Nice, « villes touristiques »
« Paris, Lyon et Nice sont des zones touristiques, explique l’étude. En effet, ces villes présentent respectivement en 2010 des taux d’occupation de 86 %, 88 % et 75 %, ainsi que des prix moyens sur la période 2014-2017 de l’ordre de 8 500 €/m², 3 500 €/m² et 3 800 €/m². Paris et Nice ont connu une augmentation marquée du parc de logements non utilisés comme résidence principale entre 2010 et 2015 (en volume et en taux). En dépit de l’augmentation du parc de logements de 15 000 unités, le nombre de ménages à Paris a baissé de 20 000. Nice est presque dans le même cas, puisqu’avec seulement 1 000 ménages en plus, le stock de logements augmente de 5 000 unités. Lyon, en revanche, connaît un développement plus équilibré : 15 000 ménages en plus pour 20 000 logements en plus. Dans les trois villes, les évolutions traduisent une augmentation du nombre de résidences secondaires ou occasionnelles : entre 2010 et 2015, Paris a gagné 22 000 résidences secondaires, Lyon 4 000 et Nice 2 000. »
Bétonnage périphérique et rural
Le problème de la politique du logement est que les zones les moins tendues attirent le plus de constructions de maisons. « De manière générale, la construction dans les zones où les prix des logements sont bas se fait essentiellement de manière individuelle. Le logement individuel domine largement dans les zones en situation modérée (71 % de la construction) et là où l’offre est en excès (76 %). Au contraire, dans les zones touristiques et dans les zones en excès d’offre, la construction est majoritairement collective (respectivement 63 % et 73 %) ».
Seulement voilà, bétonner nos espaces verts n’est pas très écolo. « La politique du logement doit être cohérente avec les autres objectifs poursuivis par le Gouvernement, tels que la lutte contre l’artificialisation des sols et la neutralité carbone à horizon 2050 », rappelle l’auteur.
Des logements polluants
Or « En France, la consommation d’espaces naturels est supérieure à la moyenne européenne et augmente plus rapidement que la population, détaille Thomas Tardiveau. Ainsi, la surface imperméabilisée totale en métropole est passée en 30 ans de 20 000 km² à près de 33 000 km². Cette artificialisation réduit la capacité productive des sols, accroît le risque de pollution et d’inondation, augmente les émissions nettes de gaz à effets de serre en réduisant la taille des puits de carbone, et réduit la biodiversité, avec divers effets négatifs pour la société. »
Ce n’est pas tout. En dehors de l’occupation des sols, la construction devra faire de sacrés efforts pour satisfaire l’objectif de « neutralité carbone » à l’horizon 2050, résultant des Accords de Paris signés lors de la COP21 fin 2015, pour ralentir le réchauffement climatique.
« La consommation énergétique des logements représente 27 % de la consommation nationale à usage énergétique et 20 % des émissions de GES nationales dues à la combustion d’énergie », détaille l’étude. Et c’est sans compter la pollution liée à la construction et la production des matériaux utilisés (béton, etc.). L’étude précise par exemple que « la construction d’une maison de 120 m² pourrait émettre entre 96T et 144 TeqCO2 (tonne d’équivalent carbone), soit plus de la moitié des émissions causées par la consommation énergétique d’un logement pendant 40 ans, selon les premiers résultats de l’expérimentation Bâtiments à Énergie Positive et Réduction Carbone (E+C-) ».
20% de passoires énergétiques
Les logements existant polluent aussi. « En 2018, entre 7 et 8 millions de logements (dont 3,1 millions pour le seul parc locatif) peuvent être qualifiés de « passoires énergétiques », c’est-à-dire ayant un diagnostic de performance énergétique de classe F ou G », rappelle Thomas Tardiveau.
Construire moins, rénover plus
Pour mieux adapter l’offre de logements à la demande et aux besoins actuels, il serait judicieux d’améliorer les appartements existants plutôt que de construire des maisons à la pelle, suggère l’étude.
L’auteur énumère quelques incitations existantes pour encourager la rénovation thermique : « Divers instruments économiques existants stimulent l’investissement des ménages pour améliorer l’efficacité énergétique. Ainsi, le dispositif MaPrimeRénov’ introduit en 2020 en remplacement du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) pour les ménages modestes et très modestes permet un meilleur ciblage des travaux de rénovation thermique et un effet déclencheur accru relativement au CITE. Il pourrait par ailleurs être étendu aux propriétaires bailleurs à compter de 2021. Le développement du dispositif « coup de pouce » dans le cadre des certificats d’économies d’énergie (CEE) permet aux ménages aux revenus modestes d’obtenir une aide financière renforcée lorsqu’une chaudière au fioul, au charbon ou au gaz non performante est remplacée par un chauffage utilisant des énergies renouvelables, ou dans le cadre de travaux d’isolation des combles, des toitures ou des planchers bas. L’introduction récente de conditions de réalisation de travaux énergétiques pour certains dispositifs fiscaux vise à répondre également à cet enjeu. »
Faciliter le vote des rénovations en copro
« Un des freins à la réalisation de travaux énergétiques dans les immeubles pourrait être levé par une révision des règles de décision collective des copropriétaires en matière de travaux », suggère l’auteur. Actuellement les travaux de rénovation thermique doivent être votés à la majorité de tous les copropriétaires, alors que les travaux d’entretien (ex. réfection de la toiture) ne sont votés qu’à la majorité des suffrages exprimés. Ce seuil pourrait être appliqué aux travaux énergétiques, compte tenu des aides accordées dans ce domaine.
Expansion verticale plus qu’horizontale ?
Le problème pour construire des logements est qu’il n’y a pas tant de solution : d’un côté l’étalement urbain, de l’autre l’élévation des bâtiments.
« La limitation de l’artificialisation des sols devrait impliquer une diminution de la construction de logements neufs sur des terrains nus. Les enjeux de cette inflexion sont variables selon les territoires :
dans les zones en excès d’offre, la croissance du nombre de logements devrait connaître un ralentissement, afin que d’éventuelles opérations de constructions neuves ne soient lancées que si les logements existants ne peuvent être rénovés et doivent être démolis pour être reconstruits ;
dans les zones en situation modérée, le nombre de logements devrait continuer à augmenter, mais à travers des opérations de construction faiblement consommatrices de sols, utilisant efficacement le foncier nu à disposition ou le potentiel local de densification. »
Prévoir aussi le vieillissement
« Les rénovations ne devront pas être uniquement d’ordre thermique. Dans la perspective d’une baisse de la construction nouvelle en zones en excès d’offre et en raison du vieillissement de la population, une filière de mise à niveau des logements devrait également se développer (reconfiguration, confort, accessibilité, etc.) et être un vecteur de création d’emplois. »
Pour en savoir plus: retrouvez ici l’étude « La construction et la rénovation des logements privés en France », Trésor-éco, N°261, Juin 2020.
Remerciements à Yves Gambart de Lignières, conseiller en gestion de patrimoine réputé, dont la veille attentive a attiré notre attention sur cette étude.