Deuxième partie de l’audience du 13 novembre 2013 devant devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris, qui rejuge les délits reprochés aux dirigeants de Vivendi en marge de sa débâcle. (Tout le feuilleton ici)
La présidente de la Cour d’appel, Mireille Filippini, poursuit son examen du délit d’initié reproché à l’ex-directeur financier de Vivendi Universal, Guillaume Hannezo, lors de l’exercice de ses stock-options quelques jour avant qu’il arrange le reclassement sur le marché secondaire de 55 millions d’actions d’autocontrôle, par l’intermédiaire de la banque Goldman Sachs :
– Si vous aviez su que la vente se ferait le 7 janvier, est-ce que vous auriez vendu le 21 décembre ?
– Avec le recul, j’aurais sans doute consulté un avocat, explique Guillaume Hannezo. Mais là, personne n’a considéré que cela pouvait être considéré comme un délit d’initié. Pour moi, à l’époque, le cours fluctuait entre 60 et 80 euros. Exercer mes stock-options à 60 en étant taxé à 9% revenait au même que de les exercer à 70 en étant taxé à 10%. (NDLR, simulation en référence à l’avantage fiscal lié à sa durée de résidence aux Etats-Unis).
– Vous pensiez que l’action allait à 70 € ?
– Si je ne le pensais pas j’aurais aussi exercé mes autres stock options. J’ai exercé celles de 2001 au bout de quatre ans et demi au lieu de cinq ans (NDLR attribuées en 1996) et je pensais attendre que le cours dépasse 70 pour exercer celles de 1998 que je n’ai jamais exercées. Ces instruments sont beaucoup trop volatiles pour servir de rémunération, conclut l’ancien directeur financier et inspecteur des finances.
– C’est quand même intéressant ! Vous avez gagné 1,2 million d’euros sur cette opération, taquine la magistrate.
– Je ne prétends pas que j’en avais besoin, j’étais déjà très bien payé, selon les années entre 500 000 et 1 million d’euros, explique Guillaume Hannezo. J’ai pris une décision patrimoniale cohérente avec ma vision du cours entre 60 et 80, et il était rationnel de prendre les gains sur les options les plus anciennes et de garder les suivantes.
– Vous n’aviez pas les ressources pour exercer ces options, relève la présidente.
– J’aurais pu exercer mes options en revendant les titres, mais les fiscalistes nous disaient qu’en cas de retour en France dans les cinq ans suivant l’exercice des options les gains seraient taxés à 40% sur la plus-value et considérés comme des revenus taxés à l’impôt sur le revenu avec charges sociales et patronales
pour l’employeur. On a expliqué à tous les cadres qui lèvent des options qu’il était préférable de le faire avec un crédit et une garantie sur le crédit par la vente à terme des actions, raconte Guillaume Hannezo. Depuis, l’administration fiscale a changé de doctrine sur ce sujet, vers 2003 ou 2004, pour estimer que les stock options sont une rémunération du travail même si elles sont soumises à un régime de plus-values. Un redressement de 700 000 euros m’a été appliqué, que j’ai payé puis contesté, vu que la jurisprudence allait dans tous les sens.
– L’administration fiscale voit son intérêt, note la présidente en observatrice avisée des prétoires.
– Oui, je la comprends, j’en ai fait partie, rappelle Guillaume Hannezo dans une autodérision discrète qui détend l’auditoire. Pour les Britanniques expatriés en France on applique une jurisprudence et une autre pour jurisprudence pour les Français expatriés à l’étranger, je crois que cela a été tranché par le Conseil d’Etat en octobre dernier.
– Vous avez été inspecteur des finances, c’est votre administration, relève la magistrate, comme pour renvoyer les apparentes contradictions du ministère de la justice à celles de Bercy.
– On pensait à cette époque que les stock options rendaient le management solidaire avec les actionnaires, justifie l’ex-fonctionnaire.
– C’est quand même une rupture d’égalité entre les dirigeants et les autres salariés, s’autorise la magistrate avant de revenir au délit dont elle est saisie. Avec les portables, qui sont une atteinte à la liberté considérable, ajoute-t-elle en passant, tout le monde est joignable. Vous avez dû être informé !
– On a dû me le dire, admet l’ex-directeur financier. Quand je suis revenu le dimanche je me suis occupé de faire revenir Goldman Sachs qui était inquiet de ne pas être dans l’opération.
– Goldman Sachs a quand même exprimé son inquiétude, souligne la magistrate. Dans la chronologie adressée par Goldman Sachs il est dit que le 5 janvier (NDLR samedi), Mr Altuzarra appelle Mr Hannezo pour lui exprimer sa crainte que le marché soit désagréablement surpris par la taille de la mise sur le marché.
– On discutait de vendre entre 33 et 55 millions d’actions et finalement on s’est dit autant en placer le plus possible pour accélérer le désendettement, car je pensais bien que Jean-Marie Messier ne pouvait pas s’arrêter d’acheter tout et n’importe quoi.
– Selon une déclaration de Laurence Daniel, à l’époque au service des relations investisseurs de Vivendi Universal, « quand on a informé le marché de cette décision, on a senti le marché inquiet », commente la présidente.
– J’ai l’impression que ce sentiment a été reconstruit, assez naturellement et sans mauvaise foi, après avoir vu le cours baisser, se défend l’ex-directeur financier. J’ai par exemple une analyse financière de BNP qui sait que l’opération a échoué, qui sait qu’on en a informé le marché. S’il était étonné il le dirait, or il titre « No surprises » avec trois points forts : La vente d’action va contribuer au désendettement ; Le principal sujet est toujours Canal Plus, Le management renouvelle ses objectifs d’excédent d’exploitation pour 2002. Et il finit en disant que la baisse récente causée par le placement privé est une opportunité de se positionner. (NDLR, preuve que les experts boursiers professionnels n’étaient pas moins crédules que les petits actionnaires).
Pour clore ces débats avec Guillaume Hannezo, la présidente les recoupe par une question à Edgar Bronfman, Jean-Marie Messier étant absent de cette audience du 12 novembre. Edgar Bronfman précise qu’il a relu son intervention sur le placement d’actions et veut la replacer dans le contexte de la crédibilité de l’ex-PDG. « Mon point est que le marché perdait confiance et cette opération était un point important. Mon problème est que Jean-Marie Messier avait annoncé qu’il annulerait les actions rachetées sur le marché et qu’ensuite, sans prévenir, il ne les annulait plus (NDLR mais au contraire en inondait le marché), ce qui créait un problème de crédibilité ». Problème visiblement persistant, au moins entre ex-dirigeants de Vivendi.