Après l’examen du programme de rachat de ses titres par Vivendi, puis de ses modalités d’exécution, la présidente de la cour revient sur l’enquête du gendarme boursier qui avait bien démarré avant d’être étouffée au sommet de l’autorité. Suite des extraits de l’audience du 4 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris. (Tout le feuilleton ici)
La cellule de surveillance des marchés de la COB s’intéressait aux achats par Vivendi de ses propres titres dès le début septembre 2001, relate la présidente, avant les attentats du World Trace Center. Dans une note des enquêteurs de la COB sur les rachats d’actions ordonnés par Jean-Marie Messier, on lit que « Vivendi Universal n’a pas observé la période d’abstention d’intervention sur son titre dans les quinze jours précédent la publication de ses comptes. Vivendi a acheté 17,822 millions de titres. Vivendi n’a pas suivi la recommandation COB du 12 septembre 2001 préconisant d’anticiper la publication de résultats provisoires. Les 17, 18 et 25 septembre, les rachats d’actions par Vivendi ont dépassé le seuil de 25% des échanges dans une période sensible avec intervention sur le fixing de clôture ». Les enquêteurs de la COB concluent que les rachats par Vivendi de ses titres ont enfreint les interdictions strictes prévues par la réglementation, même avec ses assouplissements. Ils notent aussi que l’argument selon lequel Vivendi avait communiqué le résultat avant impôt, intérêts, amortissements et dépréciations (Ebitda) de sa branche média le 23 juillet ne correspond à aucun élément justificatif recevable.
Le 17 octobre 2001, sur la base de ces soupçons de manipulation de cours, les services du gendarme boursier proposent officiellement au directeur général de la COB, Gérard Rameix, le lancement d’une enquête à des fins de sanction. « Mais le directeur général de la COB décide de ne pas ouvrir d’enquête et adresse un courrier pour demander à Michel Prada le président de la COB d’écrire au président de Vivendi Universal pour lui dire qu’il n’y a pas d’enquête mais un rappel à l’ordre », indique la présidente Mireille Filippini en résumé.
Le 26 octobre 2010, le président de la COB, Michel Prada, adresse une lettre au président de Vivendi Universal dont la présidente de la cour relit des passages : « La cellule de surveillance des marchés a transmis des constatations qui font apparaître des agissements en dehors du cadre prévu par la réglementation (…). Certes le caractère exceptionnel de la période concernée justifie une interprétation souple de ces règles dont les services de la COB, avec mon accord, ont précisé les conditions spécifiques (…). Pour cette raison, le directeur général m’a informé de sa décision de ne pas ouvrir d’enquête (…). Je tiens à vous rappeler que nous sommes attachés au respect des règles (…) ».
« Vous avez répondu à cette lettre, ajoute la présidente en s’adressant à Jean-Marie Messier, vous aviez même écrit sur un mémo à votre intention « me préparer une réponse gentille ».» La présidente Filippini lit alors des passages du courrier de l’ex-président de Vivendi à celui de la COB, daté du 29 novembre 2001 : « J’ai admiré votre réactivité (…) d’avoir assoupli les règles d’intervention des sociétés sur leurs titres (…). Nous avons, comme vous, ressenti la nécessité d’intervenir dans l’intérêt du marché et des actionnaires (…). Je vous remercie d’avoir décidé de ne pas sanctionner nos dépassements. » S’interrompant, la présidente évoque à ce moment un autre souvenir exhumé du dossier d’instruction : « il y a même un commentaire d’un enquêteur de la COB qui dit « il en fait un peu trop » ». Elle poursuit sa relecture à l’intention de l’auteur : vous terminez par « Bien fidèlement et amicalement à vous ».
Après ce rappel de contexte, on comprend mieux pourquoi, lorsque le parquet saisi d’une plainte pénale enquête à son tour sur Vivendi, le président de l’AMF Michel Prada, adresse une note au procureur de Paris, le 7 avril 2004, à la suite d’un article paru dans Le Monde, où il écrit « Le marché n’a pas été manipulé car les rachats d’actions étaient relutifs ». « Plusieurs personnes de la COB ont indiqué que les titres devaient être annulés », rappelle d’ailleurs la présidente de la cour, pour expliquer qu’ils aient pu croire aux alibis de Vivendi « alors qu’on sait qu’ils ne seront jamais annulés ».
« Le 15 avril 2004, l’AMF décide cependant d’ouvrir une enquête sur les achats par Vivendi de ses propres actions sur une période plus large, poursuit Mireille Filippini. Le 6 mai 2005 l’AMF transmet au procureur un rapport d’enquête indiquant que Vivendi Universal n’a pas respecté les règles (…) mais qu’il a été décidé de ne pas notifier de grief (…) estimant qu’il avait déjà été statué sur cette affaire par le président de l’AMF par son courrier du 26 octobre 2001 ».
Après ce rappel de la situation délicate dans laquelle s’est mise l’autorité boursière, éclairant l’écart entre le travail des enquêteurs et leur exploitation au plus haut niveau, la présidente Filippini consacrera la fin de l’audience du 4 novembre à l’audition des mis en cause.