
En attendant plus de transparence sur les magouilles de Leonteq épinglées en Suisse, ne boudons pas l’intérêt de cette décision. Car en dépit de l’apparente légèreté du dispositif et de la sanction prononcés, la reconnaissance des turpitudes de Leonteq, par l’Autorité fédérale financière FINMA de sa Suisse natale, est une étape importante, dans la dissection des pratiques et organisations douteuses de Leonteq.
La communication de la FINMA sur sa sentence indique d’abord que :
« Le groupe financier Leonteq (LTQ) a gravement manqué à ses obligations en matière de gestion des risques et à l’exigence de la garantie d’une activité irréprochable dans le cadre de la distribution de ses produits financiers par certains distributeurs à l’étranger. C’est ce qu’a constaté l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers FINMA dans le cadre d’une procédure d’enforcement à l’issue de laquelle elle a ordonné des mesures visant le rétablissement de l’ordre légal ».
Elle nous renseigne ensuite sur l’analyse juridique des pratiques frauduleuses de LEONTEQ par la FINMA :
« Violation grave des obligations en matière de gestion des risques
Le groupe financier vend des produits de placement structurés qu’il émet lui-même ou qui sont émis par ses partenaires. Les produits propres sont principalement distribués de manière indirecte par le biais de distributeurs externes. L’enquête de la FINMA a révélé que LTQ a surveillé sa chaîne de distribution de manière insuffisante. Dans certains cas, le groupe financier a en outre collaboré avec des distributeurs douteux et non réglementés. Le modèle d’affaires de ces distributeurs n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisamment critique au moment de l’onboarding, alors même que différentes contradictions étaient apparues. Certains de ces distributeurs ont ensuite distribué des produits de placement structurés dans des pays qui n’étaient pas prévus contractuellement et pour lesquels il n’existait aucune autorisation. Ces distributeurs ont ainsi non seulement enfreint des dispositions contractuelles, mais aussi violé des prescriptions réglementaires, exposant LTQ à des risques considérables. »
Après ce constat, la FINMA « ordonne des mesures supplémentaires » (au décor de conformité planté par LEONTEQ), par lesquelles : « Il est interdit à LTQ d’entretenir des relations d’affaires avec des distributeurs non réglementés. L’établissement doit mettre fin aux relations d’affaires existantes avec des distributeurs non réglementés. Le groupe financier a désormais seulement le droit de collaborer avec des distributeurs étrangers soumis à une réglementation comparable à la réglementation suisse ».
Leonteq en Suisse, sanction ni loi
Les déclarations officielles de la FINMA, sur le constat des « fraudes » (les lecteurs apprécieront la subtilité du débat sur la qualification réglementaire de « distribution en infraction », vs la qualification pénale des affaires transmises au parquet) et l’interdiction de poursuivre ces pratiques (avec des distributeurs non réglementés), sont deux bons indices de ce qu’il doit y avoir dans le détail des preuves et arguments juridiques à l’appui de sa sanction, qu’elle garde cachés (lire plus loin sur ce point).
En attendant ces détails cachés, les affirmations et injonctions de la FINMA semblent parfaitement corroborer les allégations des lanceurs d’alerte, déjà largement exposées dans Au cœur de Leonteq, une conformité foutraque (le 6 mars 2023).
Reprenons ce qu’on sait déjà de cette affaire, notamment par les révélations du Financial Times et des Echos, à la lumière de ce qu’en valide officiellement la FINMA dans sa sanction.
Qu’il s’agisse de la vente des placements frelatés de Leonteq à la coopérative française ID Formation, révélée par le Financial Times, ou de la vente des CLN-Rallye moisis de Leonteq à Eramet, décortiquée par Les Echos, ce sont deux illustrations très concrètes de pratiques à dimension pénale, pudiquement qualifiées de « violations graves » par la FINMA.
« Selon Les Echos, deux employés de Leonteq étaient directement en contact avec Eramet, sachant que la société serait l’investisseur. Le produit a été vendu au trésorier d’Eramet avec un rendement de seulement 1%, bien que la situation financière de l’entreprise à l’époque aurait justifié un rendement d’au moins 8% ou plus», observe un ancien salarié de Leonteq France, dont les fonctions permettaient d’avoir une fine connaissance des pratiques de conformité déviantes de Leonteq, licencié pour avoir alerté sa hiérarchie suisse du circuit de blanchiment dissimulé derrière ces transactions « offshore ».
En effet, le CLN-Rallye vendu par Leonteq à Eramet n’était pas moisi par hasard. S’il a été structuré dès le départ avec des caractéristiques perdantes pour Eramet, c’était justement pour rémunérer copieusement les auteurs et complices de ce guet-apens financier, bénéficiant d’un circuit de distribution offshore échappant, pensaient-ils peut-être, à tout contrôle du blanchiment opéré.
D’après cet expert du dossier, dont les signalements d’alerte auprès de diverses autorités et médias ont largement contribué à faire éclater le scandale, cela a soulevé les points suivants :
« 1- Les employés de Leonteq savaient qu’ils vendaient le produit à un prix considérablement gonflé ; avec un rendement de 1%, l’investissement subissait une perte instantanée, ce qui pourrait être considéré comme une fraude en raison de son ampleur ;
2 – En vertu des réglementations MiFID II, les produits ne peuvent être vendus que dans un cadre transparent, éventuellement par le biais de conseils en investissement mais sans conflits d’intérêts. Dans ce cas, ces règles ont été totalement ignorées ;
3- Le trésorier d’Eramet a dû falsifier les caractéristiques du produit pour les dissimuler à son employeur : il n’est pas autorisé à négocier un produit aussi risqué, le rendement de l’investissement n’était pas en adéquation avec les risques supportés par Eramet, il devra falsifier les caractéristiques du produit pour dissimuler la réalité de l’investissement à son employeur (pendant 30 mois, à partir de juillet 2019, il falsifiera les relevés bancaires de BNP Paribas, banque d’Eramet) ; de plus, le trésorier a été personnellement soudoyé de 850 000 euros pour avoir investi dans le produit CLN, après avoir interagi avec les employés et les distributeurs de Leonteq. »
Un schéma identique à la vente des structurés frelatés de Leonteq à la coopérative lilloise ID Formation, selon le Financial Times : « Leonteq a envoyé 120 000 € à l’étranger, soit l’équivalent d’une commission de 8 % sur les deux transactions, à une société des îles Vierges britanniques appelée Ladoga Capital, qui était en relation avec l’équipe de vente de Leonteq au Moyen-Orient ».
Ce que la FINMA paraphrase pudiquement dans son communiqué sibyllin : « le groupe financier a en outre collaboré avec des distributeurs douteux et non réglementés. Le modèle d’affaires de ces distributeurs n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisamment critique au moment de l’onboarding, alors même que différentes contradictions étaient apparues ».
C’est mal, et il faut que ça cesse, tance la FINMA : « L’établissement doit mettre fin aux relations d’affaires existantes avec des distributeurs non réglementés » !
Faut dire que c’est un sacré panier de crabes, dont la débandade serait passée inaperçue, dans la torpeur de l’été, sans la traque de notre confrère transalpin Lukas Hässig, éditeur de l’excellent média financier d’investigation zurichois, Inside Paradeplatz.
« Après plusieurs enquêtes des autorités, notamment en France et en Allemagne, le CEO a annoncé ce matin son départ », révélait son article du 25 juillet 2024, sous le titre « Nach Geldwäscherei-Fällen: Jetzt auch Leonteq-CEO weg », transcrit en « Après des affaires de blanchiment d’argent : Le CEO de Leonteq s’en va à son tour », par le traducteur allemand Deepl, n’étant pas moi-même germanophone.
« Lukas Ruflin veut partir dès qu’un successeur sera prêt à occuper le poste opérationnel le plus élevé », poursuit InsideParadeplatz.ch : « Ruflin, qui détient lui-même de nombreuses actions de Leonteq [8,7%], devrait rejoindre le conseil d’administration (…). La série de démissions est impressionnante – elle se lit comme un who’s who de la direction de Leonteq. Le responsable de la conformité est parti en premier, suivi par le responsable des finances, et maintenant c’est le tour du CEO [directeur général]. La directrice juridique s’en va également aujourd’hui, c’est-à-dire la femme de tête qui connaît sur le bout des doigts tous les détails des affaires controversées. Entre-temps, le responsable de Dubaï, qui avait orchestré un montage avec des transactions de contournement via des sociétés boîtes aux lettres dans les Caraïbes, et d’autres personnes de son entourage, ont disparu discrètement. Enfin, le nouveau directeur financier s’est enfui pendant sa période d’essai.
Tous ces hauts gradés sont partis depuis que le Financial Times a écrit en octobre (2022), il y a deux ans, qu’il existait un possible système d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent en se référant à des lanceurs d’alerte de la filiale parisienne de Leonteq. Ruflin et Cie ont balayé cela d’un revers de main. Mais de nouveaux éléments sont apparus en permanence, qui plaident en faveur des accusations du Financial Times. L’autorité de surveillance bancaire allemande Bafin a sanctionné la direction de Leonteq pour manque de conformité, et en France, le parquet financier a transmis une affaire au tribunal compétent. » Fin de citation. Sacré merdier.
On comprend mieux que Raiffeisen, désormais seconde plus grosse banque suisse, actionnaire de référence de Leonteq (29,7% du capital), ait démissionné de son mandat d’administrateur, dès mars 2024, « à la surprise générale » selon Les Echos, réduisant son risque d’être associée aux pratiques toxiques dénoncées. En effet, vu la responsabilité légale d’un conseil d’administration, il vaut parfois mieux ne pas y siéger, pour ne pas être accusé de complicité, avec ce qui s’y est dit ou décidé.
D’autant que d’autres noms du gratin prestigieux de la finance suisse siégeant au Conseil d’administration de Leonteq verraient aussi leur réputation salie, en cas d’association subliminale des horreurs de Leonteq avec les institutions dont ces administrateurs sont aussi issus, comme Rothshild & Co, Novo Banco (qui en vend peut-être à Lisbonne) ou la Banca del Ceresio (sur le gâteau à Lugano).
Les démissions, volontaires ou imposées, parmi les dirigeants de Leonteq, pourraient donc avoir été motivées par un souci d’éloigner ou protéger les témoins potentiellement responsables, voire directement impliqués, dans la validation et la mise en œuvre des schémas de fraude et blanchiment, pudiquement pointés par la FINMA comme « exposant LTQ à des risques considérables ».
« Depuis au moins 2018, la stratégie de croissance de Leonteq a manifestement consisté à accepter délibérément des risques plus élevés, analyse notre lanceur d’alerte. La direction maintenait un cadre juridique et de conformité laxiste, permettant aux responsables des relations clients (client relation officers, ou CROs) de générer davantage de business et de profits ». Voilà les grandes lignes de ce que dit la FINMA, en accusant Leonteq d’avoir « surveillé sa chaîne de distribution de manière insuffisante ».
En pratique, l’ex-insider de Leonteq estime que « le responsable des solutions d’investissement à l’époque, M. David Schmid, ainsi que le comité chargé de valider les transactions risquées (probablement M. Marco Amato / M. Lukas Ruflin en tant que CEO, M. Reto Quadroni en tant que CRO, Mme Ingrid Silveri en tant que responsable juridique) ont proposé aux CROs de générer des transactions plus risquées, afin de réaliser davantage de profits. Cela se faisait au détriment du respect des réglementations et des principes juridiques ». Traduction par la FINMA : « le groupe financier a en outre collaboré avec des distributeurs douteux et non réglementés ».
Dans l’affaire du CLN-Rallye vendu à Eramet, par exemple, « au moins un employé de Leonteq – le responsable client qui a enregistré la transaction, M. Mohamed El Buhali, alors basé à Londres où Leonteq louait un étage entier du gratte-ciel Shard – était bien informé du schéma, et en contact avec les distributeurs qui ont « officiellement » vendu le produit aux Iles Vierges Britanniques et à Dubaï », confie le lanceur d’alerte.
« Le modèle d’affaires de ces distributeurs n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisamment critique au moment de l’onboarding [ndlr, référencement l’intégrant au circuit de distribution], alors même que différentes contradictions étaient apparues », traduit la FINMA.
« Vu le montant de la transaction Eramet, l’onboarding [référencement] du distributeur quelques jours seulement avant, avec de faux documents bancaires, l’équipe KYC [know your client, obligation réglementaire de vérification des connaissances et besoins des clients] de Leonteq est responsable et appuyée par le comité adhoc qui valide ces transactions à hauts risques (C.E.O., Chief Risk Officer, Head of Investment Solutions, general counsel), soit Amato/Ruflin, Quadroni, Schmid, et Silveri. Le gratin… », décrypte l’expert exfiltré. « Mais tous les directeurs en dessous, responsables des départements compliance [conformité], legal [juridique], audit [contrôle interne], settlement [règlement-livraison des produits structurés], ou paiements sont aussi impliqués, car tous leurs contrôles sont défaillants et/ou ils couvrent tout », ajoute le lanceur d’alerte.
« Certains de ces distributeurs ont ensuite distribué des produits de placement structurés dans des pays qui n’étaient pas prévus contractuellement et pour lesquels il n’existait aucune autorisation. Ces distributeurs ont ainsi non seulement enfreint des dispositions contractuelles, mais aussi violé des prescriptions réglementaires », accuse la FINMA.
L’œil expert du lanceur d’alerte est précieux, pour décrypter ce charabia de la FINMA.
« Pour pouvoir distribuer des produits financiers aux Îles Vierges britanniques [BVI], vous devez être régulé par la Financial Services Commission des BVI (le régulateur local), explique-t-il. Vu qu’a priori, Ladoga Capital n’était qu’une boîte aux lettres (avec une seule personne, son gérant Guy Shalom Cohen), elle n’était pas un distributeur régulé. Du coup, si vous distribuez là-bas, vous êtes en infraction avec les règles locales. Or, Leonteq savait pertinemment que Ladoga n’avait pas le droit de distribuer localement. Donc la moindre des choses, pour respecter les réglementations, aurait été de demander à Ladoga à qui il allait distribuer, et dans quel pays ? Si Ladoga sert des investisseurs basés aux BVI, vous lui dites : cela vous est interdit donc on ne fait pas la transaction. Si Ladoga a un sous-distributeur ailleurs, vous devez vérifier qu’il respecte vos règles, sans vous contenter de déclaratif, en faisant votre enquête de « due-diligence » [ou « vérifications » en français], en demandant le contrat de sous-distribution, pour contrôler que le sous-distributeur est bien régulé. Si Ladoga avait un sous-distributeur à Dubai, il aurait pu avoir une autorisation, à condition d’avoir établi un contrat de sous-distribution… qu’il aura probablement du mal à fournir. »
Bah oui, car n’oublions pas ce détail : Leonteq et sa clique ne documentent pas facilement leurs pratiques, surtout les plus scabreuses, comme en atteste sa résistance dans les procès français en cours.
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