Suite de notre feuilleton sur la fraude intrinsèque à l’économie de marché rendant son éthique illusoire. Épisode 9: au delà des anecdotes, cette étude démontre que les lois cèdent généralement à l’influence des groupes de pression pour faire triompher leurs intérêts, même quand ils vont à l’encontre de l’opinion publique majoritaire. Extraits d’une contribution académique de Deontofi.com à la revue internationale Éthique Publique, pour son ouvrage intitulé : Éthique et reconfigurations de l’économie de marché : nouvelles alternatives, nouveaux enjeux.
L’activisme des groupes de pression contre la séparation des activités spéculatives est aussi puissant aux États-Unis. La règle Volcker, en projet depuis 2010, prévoit d’interdire aux banques certaines transactions, en dissociant notamment les activités spéculatives pour compte propre (paris boursiers avec le capital de la banque) et celles qui sont présentées comme relevant du service aux clients, comme la « tenue de marché » (paris boursiers sur le capital de la banque ayant parfois pour contrepartie des opérateurs non financiers). Il devient facile de contourner la loi. « Les arrogants de Wall Street disent que c’est un jeu d’enfant de camoufler un trading pour compte propre de la banque en un trading client », explique le journaliste américain Robert Kuttner, du magazine The American Prospect (De Tricornot, Thepot et Dedieu, 2014).
Moins de six ans après la crise bancaire américaine, qui a nécessité un plan de sauvetage de 700 milliards de dollars du gouvernement et a détruit 34 000 milliards de dollars de richesse, les banquiers influencent le travail des législateurs pour saborder la loi Dodd-Frank et sa règle Volcker de séparation des activités spéculatives. Pour amadouer les parlementaires américains, les groupes de pression financiers leur ont fait 149 millions de dollars en dons pour leur campagne électorale en cours, plus que n’importe quel autre secteur et plus de deux fois et demie les 57 millions d’euros en dons du secteur de la santé et de la pharmacie, soit celui qui arrive au deuxième rang des secteurs les plus corrupteurs, selon le Centre américain pour l’intégrité publique (The Center for Public Integrity).
Les Européens ne seraient pas moins corruptibles. En 2011, quatre parlementaires ont été piégés par des journalistes du Sunday Times se faisant passer pour des lobbyistes bancaires, qui leur proposaient 100 000 euros en dons à condition qu’ils soutiennent une loi réduisant la protection des épargnants en cas de faillite. La médiatisation du scandale a entraîné des sanctions, mais combien d’autres parlementaires sont payés par des banques pour servir leurs intérêts ?
Collusion ou corruption, qu’importent les moyens pour influencer les lois, ils réussissent. Pour la première fois, des chercheurs ont pu étudier la façon dont 1 779 lois, votées au Congrès américain entre 1981 et 2002, satisfaisaient les intérêts distincts de quatre pouvoirs susceptibles d’influencer les votes : l’opinion majoritaire (citoyens moyens), l’élite économique (les 10 % d’individus aux revenus supérieurs à 140 000 $), les lobbies « citoyens » (syndicats, retraités, etc.) et les lobbies d’affaires (American Bankers Association, etc.). Leur étude scientifique confirme que « lorsqu’une majorité de citoyens est en désaccord avec les élites économiques ou les lobbies, les citoyens sont généralement perdants » (Gilens et Page, 2014).
Comment croire aux promesses de déontologie financière dans ce contexte ?
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