Saisi par Natixis qui demandait l’annulation de la décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 25 juillet 2017, le Conseil d’Etat a fait des mises au point importantes sur la gestion des fonds à formule qui feront désormais jurisprudence au plus haut niveau judiciaire.

Passée presque inaperçue dans les médias, la décision rendue par le Conseil d’Etat le 6 novembre dernier (6/11/2019) mérite un coup de projecteur. Certes, Natixis a obtenu avec cette décision une révision de son amende, réduite à 20 millions d’euros au lieu des 35 millions initialement infligés par la Commission des sanctions de l’AMF.

Mais sur le fond, le Conseil d’Etat a confirmé l’essentiel des moyens motivant la décision de l’AMF. Les magistrats du Palais Royal ont surtout bien remis les choses au point concernant le fonctionnement des fonds à formule et les limites à ne pas franchir dans l’intérêt des porteurs.

Qu’est-ce qu’un fonds à formule ?

« Ces fonds garantissent à l’investisseur la réalisation d’un objectif financier défini à l’avance dans le contrat, par application d’une formule de calcul indexée sur les marchés financiers. En l’espèce, pour tous les fonds à formule en cause dans la présente affaire, le souscripteur a l’assurance, à l’échéance du fonds, de pouvoir récupérer, hors commission de souscription, l’intégralité du capital qu’il avait initialement investi, majoré du produit de la formule, soit un certain pourcentage de la performance d’un panier d’actions, ou d’un indice, donné. », explique le Conseil (p.4 sur 23), avant d’illustrer son propos : « A titre d’exemple, l’un des fonds à formule en cause dans la présente affaire garantit aux porteurs de récupérer, après 8 ans, la totalité de son investissement initial, hors commission de souscription, majoré de 85 % de la performance d’un panier de 15 actions mondiales. »

« Le 3 février 2015, le secrétaire général de l’AMF a décidé de procéder à un contrôle portant sur le respect par la société NAM de ses obligations professionnelles. Le contrôle a porté sur 133 fonds structurés et gérés par la société NAM », rappellent ensuite les magistrats.

Deontofi.com avait largement commenté la sanction de l’AMF ici dès 2017:

Placements à promesses ou à formule, fausse opportunité et vol organisé (sanction Natixis)

Mise à jour du 15/4/2024 : Placement à formule frauduleux de BPCE, zéro indem aux victimes !

Notre confrère L’AGEFI nous apprend ce jour que la justice a déclaré irrecevables les actions en indemnisation des victimes, contre le fabricant de placements à promesse sanctionné pour ses fraudes, orchestrées par l’UFC Que Choisir soutenue par Maître Hélène Feron-Poloni du cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni. Dans sa décision confirmant l’irrecevabilité des victimes, la Cour de cassation rappelle que  » les investisseurs ont souscrit aux fonds à formule, soit dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie, ce qui vise en l’espèce 61% des cas, soit directement auprès de la société NIMI »(Natixis IM intl) et que « La société NIMI fait valoir que l’association UFC-QUE CHOISIR se fonde sur des manquements multiples » (…) « Or, l’article L. 623-1 susvisé impose à l’association de fonder son action sur un manquement résultant de la violation par le professionnel, soit de ses obligations légales, soit de ses obligations contractuelles, ce qu’elle ne caractérise pas en l’espèce puisqu’alléguant divers manquements légaux et/ou contractuels, sans indiquer clairement sur quelle obligation elle entend fonder son action de groupe ».

En résumé : plus un prestataire financier multiplie les « manquements » (appelés « fraudes », en français vernaculaire), plus il échappe facilement à l’indemnisation de ses victimes, surtout indirectes.*

Cet arrêt confirme qu’un fabricant de produits financiers moisis sanctionné pour ses infractions, ne risque aucun dédommagement des victime clientes de ses détaillants. C’est pire que la condamnation des fondateurs de l’Afer qui n’a jamais été exécutée grâce à la complicité des assureurs et du patron de l’association. Cette fois, c’est zéro condamnation et même zéro procès contre le gérant des placements sanctionné par l’AMF, un blanc seing pour les fripouilles !

Après des considérations procédurales invoquées par la société pour tenter de faire annuler sa sanction, on entre dans le vif du sujet à la 10ème page de cette décision.

Des excédents distribuables

Ici, les magistrats entrent plus dans le détail pour expliquer les règles du jeu des fonds à formule, et autres placements à promesses : « les fonds à formule sont définis par un  » objectif de gestion  » consistant à  » atteindre, à l’expiration d’une période déterminée, un montant déterminé par application mécanique d’une formule de calcul prédéfinie « , de telles dispositions ne font pas obstacle à ce que la rémunération finale des porteurs excède un tel montant. »

Ainsi, le Conseil d’Etat précise que la rémunération d’un fonds à formule ne se limite pas forcément à l’application de la formule, car il arrive que le résultat réel de leur gestion soit plus avantageux. Il semblerait même que certains concurrents soient plus scrupuleux pour distribuer les excédents de performance : « Il résulte au demeurant de l’instruction que le fait de verser, à l’échéance d’un fonds à formule et dans le cas d’une surperformance de ce fonds, davantage que la formule promise au départ correspond à une pratique courante d’un certain nombre de société de gestion. » (p.10/23)

Cette surperformance par rapport à l’application de la formule doit revenir aux actionnaires : « les produits, rémunérations et plus-values dégagés par la gestion de FIA [fonds d’investissement alternatif] et les droits qui y sont attachés appartiennent aux porteurs de parts ou actionnaires. »

Le filon des rétrocessions et rétro-commissions

Outre la performance de ses actifs, la rémunération du fonds peut être notamment liée aux produits annexes à la gestion. Outre la performance de ses actifs, un fonds peut en effet recevoir d’autres sources de revenus, notamment des rétrocessions de ses fournisseurs : « Les rétrocessions de frais de gestion et de commissions de souscription et de rachat du fait de l’investissement en FIA ou fonds d’investissement par le FIA bénéficient exclusivement à celui-ci. / La société de gestion de portefeuille, le délégataire de la société de gestion de portefeuille pour la gestion financière, le dépositaire, le délégataire du dépositaire, la société liée mentionnée au c du 2° de l’article 319-14 peuvent recevoir une quote-part du revenu des opérations d’acquisitions et cessions temporaires de titres appartenant au FIA dans les conditions définies dans le prospectus, ou à défaut, le document d’information à destination des investisseurs du FIA ». (p.10/23)

On a droit à plus que le gain de la formule

En toute logique, l’argent du fonds appartient aux porteurs, conclut à ce stade le Conseil : « à l’échéance du fonds, si la valeur liquidative du fonds est supérieure à la valeur liquidative correspondant à la réalisation de la formule, chaque porteur a droit à ce que lui revienne sa quote-part de l’intégralité du revenu supplémentaire généré. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, la  » formule  » ne saurait être regardée comme déterminant le montant maximal de la rémunération à laquelle les porteurs de parts d’un fonds à formule ont droit. » (p.11/23)

Les marges cachées des produits structurés

Les produits structurés, matière première servant à élaborer les fonds à formule, sont des instruments de marché très opaques et quasi impossibles à comparer. Or, ce sont des sources de marges considérables entre leur coût réel et celui auquel ils sont vendus aux épargnants, au détriment de ces derniers, comme l’explique le Conseil : « il est constant que la détermination de la formule elle-même par la société de gestion commercialisant le fonds dépend de la rémunération que cette société souhaite se réserver, ainsi qu’aux autres intervenants. Le caractère plus ou moins avantageux de la formule proposée est donc directement fonction de la nature et du montant des frais de gestion applicables au fonds en question, l’affichage de frais de gestion plus faibles qu’ils ne le sont en réalité peut donner l’impression que la formule du fonds est plus intéressante pour les investisseurs potentiels qu’elle ne l’est en réalité. » (p.11/23)

En clair, les fonds à formule peuvent afficher des frais faibles mais prélever des commissions plus importantes sous forme de marge prélevée dans le calcul de la formule de gain.

Pénalisantes et trompeuses pour les porteurs

Même si l’on applique la formule à la fin, prélever des frais cachés défavorise les porteurs, au moins pour ceux qui vendraient avant l’échéance, pointe le Conseil d’Etat : « si la valeur liquidative garantie est indépendante de la valeur liquidative du fonds et n’est pas affectée par les frais de gestion autrement qu’au travers du calcul de ladite formule, les frais qui viennent en minoration de l’actif et de la valeur liquidative affectent, en revanche, directement les investisseurs rachetant leurs parts en cours de vie, puisque ces investisseurs se heurtent alors à un niveau de valeur liquidative dégradée. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, l’invocation du caractère parcellaire ou erroné des informations relatives au frais de gestion applicable peut être utilement invoquée contre les fonds à formule litigieux. » (p.11/23)

Les magistrats reviennent ensuite sur l’affaire du « coussin » de sécurité constitué dans ses fonds par Natixis au profit de la société de gestion plutôt que des épargnants : « Ce  » coussin  » était alimenté, d’une part, par les  » commissions de rachat acquises au fonds nettes du coût de réajustement des swaps  » et d’autre part, par  » la différence issue de la marge de structuration « . » (p.12/23)

« La marge de structuration est le produit de la différence entre les flux reçus par le fonds provenant du swap de performance et les flux versés par le fonds à la contrepartie bancaire et aux différents intervenants, destinée à alimenter l’actif net du fonds durant la vie de celui-ci. A l’échéance, la différence entre la valeur liquidative constatée et la valeur liquidative garantie était ainsi susceptible de dégager un reliquat. » (p.12/23)

« Si les commissions de rachat nettes ont servi à alimenter le coussin, le fait de s’approprier finalement les sommes en cause portait nécessairement atteinte à l’intérêt des porteurs » (p.16/23)

Six fonds dans le siphon

Quand un fonds à formule arrive à échéance, il arrive qu’il soit d’abord transformé en fonds de trésorerie plutôt que d’être remboursé aux porteurs, pour leur laisser le temps de décider d’une nouvelle affectation des fonds.

Quand les fonds n’étaient pas dissous, les magistrats découvrent que le coussin était parfois partiellement siphonné : « il résulte de l’instruction que six des fonds en cause n’ont pas été dissous à l’échéance mais transformés, avec, ainsi que l’exige la réglementation, l’autorisation de l’Autorité des marchés financiers, en des fonds monétaires auxquels ont pu participer les porteurs des fonds. La société requérante fait valoir que le reliquat des marges de structuration pour ces six fonds (correspondant à un montant total de 1,038 millions d’euros) n’a pas été encaissé par elle mais simplement transféré de l’actif net en compte de dettes, de sorte qu’il ne se serait pas agi pour elle d’une rémunération. »

Natixis plaide sa bonne foi, faisant valoir qu’après tout, la constitution d’un coussin était un acte de prudence pour faire face à des imprévus : « la société requérante fait valoir, en substance, que la constitution d’une provision, appelée  » coussin « , destinée à couvrir les risques exogènes non couverts par la garantie des fonds, servait l’intérêt des porteurs. »

Certes, acquiescent les magistrats, mais à condition de ne pas l’escamoter :

« Un tel argument, toutefois, est inopérant, dans la mesure où ce n’est pas le principe de ce  » coussin  » que la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a contesté, mais l’utilisation qui a été faite de son reliquat, à savoir de la partie du  » coussin  » non consommée à l’échéance des fonds en cause. En estimant que ce reliquat aurait dû être rétrocédé au fonds et non servir, comme cela a été le cas, de rémunération complémentaire à la société de gestion, la formule, ainsi qu’il a été dit, ne constituant pas un maximum légal de rémunération, la commission des sanctions a fait une juste application du respect de la primauté des intérêts des porteurs précédemment rappelé. » (p.20/23)

La formule ne constitue pas un maximum légal de rémunération

Pour motiver sa décision, le Conseil d’Etat rappelle l’ampleur du phénomène :

« 33. Les manquements retenus à l’encontre de la société NAM, qui concernent le respect de l’intérêt exclusif des porteurs et leur bonne information et résultent d’un affranchissement volontaire des règles comptables et des dispositions réglementaires applicables des OPCVM ont été commis par l’un des acteurs importants de la gestion d’actifs en France et se sont échelonnés sur une durée de trois ans. Le montant des sommes indûment prélevées est important, s’élevant à un total maximum de 15,6 millions d’euros ». (p.22/23)

Sans remettre en cause les principes de la sanction de l’AMF, que le Conseil d’Etat confirme au contraire avec force, il tient compte des aménagements et corrections mises en œuvre par Natixis : « la société NAM a rapidement tenu compte des conclusions de la mission de contrôle en modifiant ses schémas comptables pour les fonds nouvellement lancés. »

Natixis aurait pu prélever autant de frais plus légalement comme ses concurrents

Ironique, le Conseil d’Etat fait aussi remarquer que Natixis aurait pu arriver au même résultat sans enfreindre les réglementations, si la société de gestion s’était simplement contentée de prélever plus de frais de gestion en l’écrivant noir sur blanc dans sa documentation, comme le font certains de ses concurrents : « Il résulte en outre de l’instruction que la société NAM aurait pu s’assurer le même niveau de rémunération sans méconnaître la réglementation relative aux charges indues, par exemple si, au lieu d’utiliser la technique, précédemment décrite, consistant à provisionner un  » coussin « , elle avait prélevé annuellement un taux fixe de frais de gestion, comme il apparaît qu’il est d’usage courant pour les fonds à formules. ».

Sanction confirmée, amende diminuée

Résultat, selon les magistrats du Palais Royal : « Il convient, au vu de l’ensemble de ces éléments, tout en maintenant l’avertissement qui lui a été signifié, de ramener la sanction pécuniaire infligée à la société NAM à un montant de 20 millions d’euros. »

Cette décision est importante car elle ouvre la voie au procès collectif lancé par l’association de consommateurs UFC Que Choisir, avec le cabinet d’avocats Lecoq-Vallon & Feron-Poloni, pour réclamer l’indemnisation des épargnants lésés par les détournements de Natixis.

Pour en savoir plus, lisez ici la version intégrale de la décision N° 414659 Mentionné aux tables du recueil Lebon.

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