Comment le président du Niger, un des plus pauvres pays du monde, peut-il s’offrir un Boeing de 150 places à 30 millions d’euros ? Alors qu’Areva avait promis 35 millions d’euros en 2012 à l’Etat nigérien, qui aurait finalement payé l’avion lui-même, rien n’est clair dans les circuits financiers de cette affaire.
C’est une intervention du député socialiste de l’Ardèche qui nous a mis la puce à l’oreille, le 10 septembre dernier. A l’occasion des débats en commission des finances sur la loi d’adaptation au droit de l’Union Européenne en matière économique et financière (L 2148) et de son volet anti-corruption (art.8), le député Pascal Terrasse lâche cette petite phrase « la seule entreprise française aujourd’hui concernée par cette affaire est Areva qui rencontre aujourd’hui de sérieuses difficultés pour exercer ses activités au Niger. Les responsables politiques, notamment africains, font monter le prix des autorisations. C’est ainsi qu’Areva a dû acheter au président de la République nigérienne un avion de 32 millions d’euros, il y a quinze jours ! ».
Stéphane Lhomme n’en croit pas ses oreilles. Cet activiste, président de l’Observatoire du nucléaire, est sous le coup d’une plainte pour diffamation d’Areva datant de décembre 2012. Pour avoir titré son tract « Nucléaire/corruption : Areva offre un avion au Président du Niger », il a failli être condamné en première instance à une sanction d’environ 25 000 euros ( ramenée à 1000 euros). Ayant fait appel, il a été auditionné mercredi 19 novembre 2014. La Cour d’appel doit rendre sa décision le 21 janvier 2015. Le fait qu’un député confirme publiquement les écrits jugés diffamatoires dans le tract de l’Observatoire du nucléaire éclairera peut-être la justice sur la bonne foi de son auteur.
Des soupçons qui ne plaisent pas à Areva
Fin 2012, l’activiste soupçonne Areva d’offrir au président du Niger, un avion privé pour garder la main mise sur les réserves d’uranium du pays. Cette affaire intervient dans un contexte particulier. Le Niger est le principal producteur d’uranium du monde après le Canada, mais c’est l’un des pays les plus pauvres. Or, Areva a refait ses calculs et doit réduire sa production de 15 % d’ici 2020. Certains projets seront peut-être différés. La situation est tendue. Les opposants politiques du président Mahamadou Issoufou, lui-même ancien collaborateur d’Areva, critiquent violemment le partenariat historique très déséquilibré entre leur pays et le producteur d’uranium enrichi français. Ils réclament plus de retombées financières pour le Niger, qui ne profite pas suffisamment de ses ressources naturelles.
Début décembre 2012, Zakari Oumarou, le président du groupe parlementaire du Parti nigérien au pouvoir (PNSD) n’est donc pas mécontent d’annoncer qu’Areva vient d’accorder au Niger « une aide budgétaire sans conditions et non ciblée » d’environ 26 millions d’euros. Zakari Oumarou précise même, dans une déclaration à l’AFP, que le gouvernement nigérien a décidé d’affecter l’équivalent de 15 millions d’euros pour l’achat d’un avion présidentiel destiné à remplacer le précédent datant des années 70. Le reste de la somme, soit près de 11 millions d’euros, serait consacré à l’achat d’un avion de reconnaissance militaire pour l’armée.
Un démenti tortueux qui tombe à l’eau
Ces déclarations font du bruit au Niger et mettent le spécialiste de l’atome mal à l’aise. Un porte parole affirme qu’Areva n’a fait aucun versement. Joue-t-il sur les mots ? Probablement. La somme est bien promise -plusieurs documents le prouvent-, mais les versements tardent à se concrétiser. On apprend d’ailleurs au passage, dès janvier 2013, qu’Areva s’est en fait engagé à verser 35 millions d’euros, soit 9 millions de plus que le montant indiqué initialement. Un enregistrement de débat au parlement nigérien mis en ligne par Stephane Lhomme ainsi que le compte rendu d’une réunion secrète franco-nigérienne qui s’est tenue à Paris, en novembre 2012, en font état.
Entre temps, Areva égraine maladroitement les déclarations pour justifier les sommes promises. Après avoir nié les versements en décembre 2012, le groupe fait profil bas et explique dès janvier 2013 qu’il est question d’indemniser le Niger pour le retard pris dans le chantier de la mine d’uranium géante d’Imouraren, au nord du pays. Deux mois plus tard, en mars 2013 Areva distille une autre explication. Le coût du renforcement de la sécurité des activités d’extraction menacées par la guerre au Mali justifierait cette rallonge.
Où en est-on aujourd’hui ?
Le rapport de gestion au 30 juin 2014 qu’Areva publiait ces jours-ci confirmait bien la provision de 35 millions d’euros pour le retard pris sur le chantier d’Imouraren. Et comme par hasard, les propos maladroits du député Pascal Terrasse tombaient à quelques jours près avec l’ information du ministère de la Défense nigérien qui confirmait fin août l’achat de l’avion évoqué à l’Assemblée nationale dans le débat sur la directive anti-corruption.
Alors qu’une famine menace le pays après de graves inondations, le Niger vient de s’offrir son tout nouvel avion présidentiel à 30,5 millions d’euros, un rutilant Boeing 737-700 de 33 mètres de long et de 150 places pour transporter Mahamadou Issoufou et sa suite. Selon le ministre de la défense Nigerian, c’est l’Etat qui aurait payé l’appareil. Des dépenses de prestige, impossibles à justifier dans un pays aussi pauvre !
Pour le savoir, lisez la suite : Pétrole et mines : une loi passoire qui n’arrête pas la corruption
Jugement de la Cour d’appel de Paris annoncé le 21 janvier 2015 :
Areva accusé de corruption : l’Observatoire du nucléaire relaxé
http://www.romandie.com/news/Areva-accuse-de-corruption-lObservatoire-du-nucleaire-relaxe/557241.rom
http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/21/le-militant-antinucleaire-stephane-lhomme-relaxe-des-accusations-d-areva_4560637_3224.html
Areva étant déboutée, on en déduira bien entendu que les accusations portées par l’Observatoire du nucléaire sont fondées, ce qui ressortait d’ailleurs de l’étude des éléments publiés par l’association.
http://www.observatoire-du-nucleaire.org