En moins de deux décennies, Dubaï s’est hissé en tête du palmarès des places financières offshore. Vu de loin, c’est la réussite exemplaire d’une monarchie pétrolière tournée vers la modernité, ayant fait émerger du désert une oasis de verre et d’acier. Malheureusement, ce succès a un revers, qui se révèle être l’essence de sa recette. Dans la concurrence impitoyable que se livrent les places financières du monde entier pour attirer les capitaux furtifs, accueillir l’argent sale à bras ouvert (et les yeux fermés) est souvent la clé du succès, comme ce fut longtemps le cas en Suisse, à Hong-Kong ou Singapour, et dans des dizaines d’autres centres offshore.
+ N’oubliez pas le déni des femmes prisonnières aux Emirats, même (surtout?) les femmes « propriétés » de leurs émirs : « Séquestrée par son père, la princesse Latifa, symbole du droit bafoué des femmes aux Émirats« , titrait France24, parmi de nombreux médias relayant le kidnapping de la fille de l’émir par son propre père.
Flash mise à jour 11/10/2024 : Une enquête d’investigation du New Yorker revient sur la séquestration des princesses saoudiennes (pas dubaïotes cette fois, puisqu’on vous dit qu’ils sont « vâchement plus progressistes en droits des femmes »).
The Texan Doctor and the Disappeared Saudi Princesses
Four daughters in the royal family were kept drugged and imprisoned for almost two decades. A physician who tried to free them speaks out for the first time.
Après la fuite de leur mère à Londres en 2003, la princesse saoudienne Hala et trois de ses sœurs ont été retenues en captivité par leur père, le roi Abdullah bin Abdulaziz Al Saud. Les princesses ont été abreuvées de tranquillisants, de cocaïne, d’amphétamines et d’alcool ; elles étaient surveillées en permanence, maltraitées et privées de nourriture et d’eau. Dwight Burdick, le médecin chargé de prescrire les médicaments légaux administrés aux femmes, a développé une relation compliquée, presque paternelle, avec Hala pendant de nombreuses années, et il est encore aujourd’hui hanté par son sort. « On m’a dit et répété qu’elles ne seraient jamais libérées », explique Burdick à l’écrivaine Heidi Blake du New Yorker. Dans un reportage extraordinaire, Blake raconte l’histoire des princesses emprisonnées et du médecin qui s’est plié à contrecœur au diktat vengeur de leur père.
The New Yroker, Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ.org) a publié mi-novembre une remarquable enquête, permettant de mieux comprendre l’ampleur et le rôle du blanchiment, dans le succès financier de Dubaï, en s’appuyant notamment sur les Pandora Papers.
Bien que plusieurs médias français soient des partenaires actifs contribuant à de nombreuses enquêtes de l’ICIJ, notamment sur les Implant Files parmi d’autres exemples, on était surpris de ne pas voir cette enquête reprise dans la presse française.
En concertation avec l’autrice principale, j’ai voulu traduire son article, afin d’aider les lecteurs de Deontofi.com à mieux comprendre l’enjeu d’une machine à blanchiment comme Dubaï, au-delà de sa vitrine de centre commercial international, destination mondiale du shopping bling-bling.
L’article original fait plus de 35 000 signes (l’unité de mesure des textes en France), ou 5 500 mots (l’unité de mesure des textes chez les Anglo-saxons), soit une bonne demi-heure de lecture. D’autant qu’il est même un peu plus en français comme c’est toujours le cas (42 000 signes, 6 600 mots).
[ndlr, note de la rédaction, pour faciliter la lecture et les éventuels allers et retours avec la version originale, les passages [entre crochets] sont ajoutés par Deontofi.com, les intertitres en anglais ont été conservés en version originale pour aider les lecteurs à se repérer dans le texte initial]
Article traduit par Deontofi.com :
Les Pandora Papers révèlent le rôle des familles royales émiraties dans les flux d’argent secrets
Par Maggie Michael et Michael Hudson
Des gratte-ciel qui s’élèvent dans le désert aux zones franches vendant de l’or et des diamants, les Émirats Arabes Unis [ndlr, sigle EAU, ne pas confondre avec « eau »] sont ouverts aux affaires. Parfois, ces affaires impliquent des sociétés obscures et des crimes internationaux, expliquent les journalistes Maggie Michael et Michael Hudson dans leur article de synthèse publié par le Consortium international des journalistes d’investigation sur son site ICIJ.org, le 16 novembre 2021.
DUBAÏ, Émirats arabes unis – Les tours de bureaux en verre et en acier et les hôtels de luxe bordant la Sheikh Zayed Road sont des rappels étincelants de l’essor de Dubaï, passé d’un groupement de villages à ce qu’on a appelé « l’un des miracles urbains du monde moderne » – « une ville futuriste s’élevant au milieu d’un désert ».
Aujourd’hui, cette artère principale portant le nom du premier président des Émirats arabes unis, abrite le siège régional de General Motors, de Shell et d’autres géants mondiaux attirés par la réputation de stabilité et d’ouverture aux affaires de cette nation du golfe Persique.
À l’adresse prestigieuse du 1 Sheikh Zayed Road, au 16ème étage de la H Hotel Office Tower, se trouve le berceau d’une constellation d’entreprises moins connues – des dizaines de sociétés offshore vendues à des clients préférant cacher leur identité.
Les « Pandora Papers« , un ensemble de documents secrets obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation, révèlent que les véritables propriétaires de ces sociétés incluent une série d’acteurs louches du monde offshore.
Parmi eux : Un magnat belge accusé d’avoir profité de la contrebande d' »or de conflit » arraché aux régions de la République démocratique du Congo déchirées par la violence. Un magnat de l’Internet québécois condamné aux États-Unis pour blanchiment d’argent dont les autorités affirment qu’il a transféré 250 millions de dollars pour des fraudeurs, trafiquants de pornographie pédophile et d’autres criminels. Un caïd du crime de 26 ans dont le site Internet sur le « dark web » vendait des armes, des données financières volées, des documents contrefaits, des produits chimiques toxiques et d’énormes quantités de drogues illégales, notamment de l’héroïne et du fentanyl liés à des décès par overdose aux États-Unis.
L’histoire des sociétés offshore créées dans l’enclave des entreprises de Dubaï jette une lumière nouvelle sur l’ascension de Dubaï au rang de capitale financière mondiale et sur le rôle des Émirats arabes unis en tant que centre de blanchiment d’argent et d’autres crimes financiers.
Les EAU abritent un commerce florissant de secret financier. Ils proposent des sociétés écrans masquant l’identité de leurs véritables propriétaires, des dizaines de zones franches internes procurant encore plus d’ombre pour se cacher, et un système réglementaire connu pour ce que les défenseurs de la lutte anti-corruption qualifient d’une approche « circulez y a rien à voir » (“ask-no-questions, see-no-evil approach”) pour traiter l’argent lié à la contrebande d’or, au trafic d’armes et à d’autres crimes.
« Les Émirats arabes unis offrent le secret, la complexité et le contrôle », a déclaré à l’ICIJ Graham Barrow, expert en blanchiment d’argent et coanimateur du podcast The Dark Money Files. « C’est une tempête parfaite. Une invitation aux criminels à en tirer le meilleur parti. «
Les Émirats arabes unis sont une confédération de sept cheikdoms – émirats – qui ont obtenu leur indépendance de la Grande-Bretagne et se sont unis il y a un demi-siècle sous la direction du premier président ayant donné son nom à la rue éponyme Sheikh Zayed, feu Sheikh Zayed bin Sultan Al Nahyan.
Les membres des six familles royales qui gouvernent les sept émirats sont présents dans presque toutes les activités commerciales des EAU, en tant que propriétaires de tours de bureaux et d’autres biens immobiliers, en tant que propriétaires de grandes entreprises, en tant que partenaires silencieux qui prennent une part des bénéfices dans d’autres entreprises et en tant que fonctionnaires supervisant des fonds souverains et des entreprises publiques. Et, à leur tour, les dirigeants des émirats décident qui servira de régulateur pour superviser les entreprises dont eux-mêmes et leurs familles peuvent profiter.
Offshore sheikhs [en blanc, ndlr]
Les plus de 11,9 millions de fichiers contenus dans les Pandora Papers incluent quelques 190 000 fichiers confidentiels de SFM Corporate Services, une société basée aux Émirats arabes unis se présentant comme « le premier fournisseur mondial de services de création de sociétés offshore ». SFM est l’une des milliers d’entreprises des Émirats qui aident leurs clients à constituer des sociétés, y compris des sociétés difficiles à repérer pour des personnes vivant et faisant des affaires en dehors des Émirats. Ces prestataires de créations de sociétés font partie d’un réseau mondial d’avocats, de comptables et autres intermédiaires qui rendent possible le système financier offshore.
L’examen de l’ICIJ a permis d’identifier les propriétaires d’au moins 2 977 sociétés aux EAU, aux îles Vierges britanniques et dans d’autres centres financiers offshore qui ont été créées avec l’aide de SFM ou ont reçu d’autres services de SFM. Les propriétaires de ces sociétés incluent le magnat de l’or belge, le magnat de l’Internet, l’impresario du dark web et plus de 20 autres personnes accusées de crimes financiers et d’autres infractions dans le monde entier, selon les recherches de l’ICIJ.
SFM a déclaré dans un communiqué qu’elle opère d’une manière « absolument légale dans tous ses aspects. SFM respecte les lois et règlements applicables dans toutes les juridictions où elle opère ».
Pendant plusieurs années, SFM a opéré depuis un bureau au 16ème étage de la tour de l’hôtel H au 1 Sheikh Zayed Road, un bâtiment qui, selon les recherches de l’ICIJ, appartient au Sheikh Hazza bin Zayed Al Nahyan, l’ancien conseiller de sécurité nationale des EAU et frère du Sheikh Mohammed bin Zayed, prince héritier de l’émirat d’Abu Dhabi et prochain président attendu des Emirats.
Sheikh Hazza n’a pas répondu aux questions que l’ICIJ lui a envoyées via l’ambassade des EAU à Washington et le service de presse du Conseil exécutif d’Abu Dhabi.
Outre les dossiers internes de SFM, les Pandora Papers incluent des dizaines de milliers de fichiers supplémentaires liés aux EAU, notamment des documents des Seychelles et d’autres juridictions qui révèlent les avoirs offshore d’au moins 35 membres des familles dirigeantes des EAU.
Parmi les poids lourds de la famille royale émiratie dont les avoirs offshore ont été révélés dans les données figurent le Cheikh Hazza, son successeur en tant que conseiller en matière de sécurité nationale, son frère Sheikh Tahnoon bin Zayed; et le premier ministre des EAU actuel dirigeant de Dubaï, Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum (UAE’s prime minister and ruler of Dubai, Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum).
Les fichiers montrent que le premier ministre est impliqué –files show that the prime minister is connected — via deux sociétés aux îles Vierges britanniques – au fondateur de Dark Matter, une société de cybersécurité basée aux Émirats, accusée d’espionner des militants des droits de l’homme et des responsables gouvernementaux dans de nombreux pays.
En septembre, trois anciens cadres supérieurs de Dark Matter, tous anciens de l’armée américaine ou des renseignement américains, ont admis, dans le cadre d’un accord de poursuite différée avec les autorités américaines, qu’ils avaient participé au piratage de téléphones portables et d’ordinateurs dans le monde entier. Dark Matter n’a pas été inculpée. Elle a reconnu avoir travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement des Émirats arabes unis, mais nie s’être livrée à des actes de piratage.
Les documents divulgués montrent également que Sheikh Tahnoon, le conseiller en matière de sécurité des Émirats arabes unis, possédait une société des îles Vierges britanniques en utilisant des « actions au porteur » non enregistrées, offrant un niveau de confidentialité élevé car elles appartiennent à n’importe qui les détient physiquement. Historiquement liées à des malversations, les actions au porteur ont été interdites dans de nombreux pays.
Le Cheikh Tahnoon s’est retrouvé mêlé cette année à un scandale politique américain impliquant le président du comité d’investiture de Donald Trump en 2016, le milliardaire américain Thomas Barrack. Un acte d’accusation américain accuse Barrack d’avoir agi en tant qu’agent non enregistré pour les Émirats en fournissant de l’aide à des élites Émiraties – y compris un fonctionnaire émirati largement soupçonné d’être Sheikh Tahnoon – alors qu’ils cherchaient à influencer secrètement les politiques de l’administration Trump. Barrack a plaidé non coupable.
Sheikh Mohammed et Sheikh Tahnoon n’ont pas répondu aux questions pour cette enquête. D’autres membres de la famille royale émiratie, l’ambassade des EAU à Washington et les services de presse des gouvernements de Dubaï et Abu Dhabi n’ont pas non plus répondu aux questions de l’ICIJ.
Le gouvernement émirati a précédemment déclaré (previously said:): « Les Émirats arabes unis prennent leur rôle dans la protection de l’intégrité du système financier mondial extrêmement au sérieux. »
A critical ally
Les inquiétudes concernant le rôle des Émirats arabes unis en tant que centre de criminalité financière ne datent pas d’hier. Dans les années 1990, la Bank of Credit and Commerce International [BCCI] – une institution mondiale détenue majoritairement par la famille royale et le gouvernement d’Abou Dhabi – a été impliquée dans des affaires de corruption, de blanchiment d’argent, de trafic sexuel et de financement du terrorisme, ce qui lui a valu le surnom dérisoire de « Bank of Crooks and Criminals International » [BCCI].
Le statut des Émirats arabes unis au sein du système mondial de secret financier offshore s’est considérablement accru au cours de la dernière décennie. En 2009, Tax Justice Network, un groupe de recherche et de défense contre la corruption, a classé Dubaï à la 31e place dans son classement des juridictions offshore les plus importantes, en fonction de leur niveau de secret financier et de l’ampleur de leurs activités financières offshore. En 2020, les Émirats arabes unis se sont classés au 10ème rang de l’indice de secret financier Financial Secrecy Index [du Tax Justice Network].
Une chose qui distingue les Émirats des autres paradis du secret est que les États-Unis considèrent les EUA comme un allié militaire essentiel et un rempart contre le terrorisme au Moyen-Orient.
En raison du rôle que jouent les EAU dans la sécurité nationale américaine et les intérêts économiques de la région, les États-Unis n’ont pas exercé sur les Émirats le même type de pression que sur la Suisse, les Îles Vierges britanniques et d’autres paradis offshore, selon Jodi Vittori, spécialiste du financement du terrorisme et membre non résident du Carnegie Endowment for International Peace.
Selon Mme Vittori, les États-Unis ont parfois, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, pressé les Émirats d’accroître leurs efforts pour endiguer les flux d’argent finançant le terrorisme. Mais, dit-elle, « dans l’ensemble, les États-Unis semblent avoir fermé les yeux sur leur rôle dans la facilitation de la finance illicite, des minéraux de conflit et du crime organisé. »
Illegal enterprises
Firoz Patel, le magnat de l’Internet québécois accusé d’avoir blanchi 250 millions de dollars pour des trafiquants de pornographie enfantine et d’autres criminels, a déclaré l’année dernière à un juge américain qu’il était « humble et honteux » de ce qu’il avait fait.
« Quelque part en cours de route, a-t-il dit, je me suis perdu. … J’ai commencé à prendre des raccourcis. »
Mais le juge a déclaré que Patel n’avait pas exploité son empire de transfert d’argent en ligne comme s’il était un innocent dépassé par les événements. Pendant des années, a dit le juge, Patel a sollicité de manière agressive des transferts d’argent provenant « d’ entreprises illégales connues » – tout en « aseptisant activement les listes de clients et autres dossiers » pour dissimuler ses crimes et ceux de ses clients.
Et en 2017, alors que les autorités américaines commençaient à se rapprocher de lui et de son réseau d’entreprises de transfert d’argent, il a cherché à s’abriter lui-même derrière une société offshore, comme le montrent les Pandora Papers.
SFM, le fournisseur de services de création de sociétés basé à Dubaï, était là pour l’aider.
Les documents divulgués montrent qu’en avril 2017, SFM a fourni à Patel une société créée dans l’émirat de Ras Al Khaimah, une juridiction que les professionnels du secteur offshore vantent comme offrant l’un des plus hauts niveaux d’anonymat disponibles.
Un an plus tard, selon les documents, SFM a résilié son mandat d’agent enregistré pour Patel, invoquant des « raisons de conformité ». Les normes internationales promues par les États-Unis et d’autres puissances mondiales exigent que les fournisseurs comme SFM refusent les clients potentiels qui peuvent être engagés dans le blanchiment d’argent et d’autres crimes ou qui tentent d’échapper aux sanctions gouvernementales.
En 2020, Patel a plaidé coupable devant un tribunal fédéral à Washington, D.C., pour blanchiment d’argent. Le juge l’a condamné à trois ans de prison.
Patel est l’un des au moins 24 clients de SFM qui ont été accusés – dans des affaires criminelles, des procès, des actions réglementaires ou des rapports des Nations unies – de crimes financiers ou d’autres infractions, selon un examen par l’ICIJ des documents des Pandora Papers. Au moins 12 d’entre eux ont été reconnus coupables et condamnés dans des procédures pénales.
Par l’intermédiaire de son avocat, M. Patel a déclaré que la société émiratie n’avait rien à voir avec les allégations américaines et qu’elle avait cessé ses activités un an et demi après sa création. Il a déclaré que les entreprises dans lesquelles il était impliqué n’étaient « pas intrinsèquement illégales » et que ses problèmes juridiques étaient dus à « quelques mauvais employés et mauvais partenaires qui nous ont causé des dommages incalculables ».
Répondant aux questions de l’ICIJ, un avocat de SFM a refusé d’évoquer des cas spécifiques, affirmant que cela constituerait « une grave violation de la confidentialité des clients ».
Lorsque SFM accepte des clients, l’avocat a déclaré qu’il « utilise activement les outils de contrôle de conformité standard du secteur ». Il a ajouté que la société « refuse systématiquement de travailler avec des clients » lorsqu’elle trouve des informations négatives sur leurs antécédents.
High risk
SFM a été fondée en 2006 par un ancien banquier, Reza Afshar. Son siège social, dans un premier temps, se trouvait en Suisse. Elle a ensuite déplacé ses principaux bureaux à Dubaï, tout en conservant une présence en Suisse.
SFM se présente avec aplomb : un plan financier obtenu par l’ICIJ notait que SFM était « l’un des plus gros clients de Google en Suisse, dépensant plus de deux millions de dollars par an pour des campagnes de publicité par clic » et autres.
En 2013, une commission législative française enquêtant sur le rôle des banques et d’autres acteurs financiers dans l’évasion fiscale a mis en évidence certains des services dont SFM faisait la publicité en ligne. Ces services incluaient la pratique – courante dans le secteur offshore – consistant à fournir un administrateur ou un actionnaire de paille « dont la fonction est explicitement de dissimuler le véritable gestionnaire ou propriétaire de la société. »
La commission française a qualifié les promotions en ligne de SFM « d’incitation à l’évasion fiscale et à la fraude fiscale ».
L’avocat de SFM, interrogé sur l’allégation de la commission, a déclaré que la société « ne pense pas que cette déclaration soit la moins exacte possible », ajoutant qu’il n’y a « rien d’intrinsèquement mauvais dans l’objectif de minimiser les impôts ».
Les prestataires de services offshore comme SFM sont censés vérifier non seulement les antécédents de leurs clients, mais aussi l’origine de leurs fonds.
Une vérification des informations publiquement disponibles en 2017, lorsque SFM a créé une société pour Firoz Patel, aurait indiqué qu’il était un client à haut risque.
En 2012, les autorités fédérales du Tennessee ont dévoilé un acte d’accusation lui reprochant deux chefs de blanchiment d’argent. L’année suivante, les régulateurs financiers du Kentucky ont accusé Payza, l’une des entreprises de traitement des paiements que Patel dirigeait, de « faire des déclarations frauduleuses et de fausses déclarations » et de se livrer à des « activités de transfert d’argent non autorisées ».
Et en 2016, Payza a été publiquement liée à ZeekRewards, une entreprise en ligne frauduleuse, dirigée depuis une petite ville de Caroline du Nord, qui promettait de gros rendements aux petits investisseurs du monde entier. Des avocats nommés par un juge des faillites pour enquêter sur l’escroquerie ZeekRewards ont déclaré que Payza s’était rempli les poches en permettant une chaîne de Ponzi de 900 millions de dollars. Des articles de presse faisant état de cette allégation étaient disponibles sur Internet plus d’un an avant que SFM ne crée la société émiratie pour Patel.
L’avocat de SFM a déclaré que la société effectue « la diligence requise » lorsqu’elle crée une nouvelle société pour des clients, mais qu’elle n’est « naturellement pas en mesure de parcourir les nouvelles mondiales ».
Cinq anciens employés de SFM à Dubaï et en Europe ont déclaré à l’ICIJ que la volonté de la société de développer son activité l’a conduite à ignorer les signaux d’alarme et à accepter des clients aux antécédents douteux.
Même si les salariés sentaient quelque chose de suspect, a déclaré un ex-employé, ils croyaient généralement les clients sur parole en ce qui concerne leurs antécédents et leurs activités financières.
« Le client peut dire n’importe quoi au sujet de son entreprise », a déclaré l’ex-employé. « Il est facile de faire l’innocent et de dire : « C’est ce que le client nous a dit ». «
Les anciens employés se sont exprimés sous condition d’anonymat pour des raisons juridiques.
Deux des anciens employés ont déclaré que SFM a accepté des clients d’Iran et d’autres pays qui avaient été soumis à des sanctions économiques par les États-Unis ou d’autres puissances occidentales, malgré le risque que ces clients soient liés à des personnes ou des entreprises figurant sur les listes de sanctions.
L’examen par l’ICIJ des dossiers internes de SFM a révélé que la société a constitué deux sociétés pour un citoyen allemand d’origine iranienne nommé Abdolhadi Tabibi. L’une d’elles était une société des EAU appelée Mehr Trade Ltd. Les archives publiques montrent que Tabibi est le directeur de GIC International, répertorié par le registre national des sociétés iraniennes comme une filiale de Ghadir Investment, qui à son tour fait partie d’une fondation multimilliardaire multibillion-dollar foundation sous le contrôle direct de l’Ayatollah Ali Khamenei, le chef suprême spirituel et politique de l’Iran, qui dirige les politiques nationales et étrangères du pays.
La fondation de Khamenei et son service d’investissement sont tous deux soumis à des sanctions américaines. Les sanctions – qui ont été levées et réimposées au fil des ans – visent la capacité de l’Iran à développer des armes nucléaires. L’Iran a utilisé ses liens économiques de longue date avec les Émirats arabes unis pour accéder aux marchés internationaux.
Tabibi et sa société n’ont pas répondu aux questions de l’ICIJ concernant l’objectif des sociétés créées par SFM et si elles sont liées au leader suprême de l’Iran.
Parmi les autres clients de SFM identifiés par l’ICIJ grâce aux « Pandora Papers », on trouve Samir Traboulsi, un financier libanais qui a été condamné à une amende en 1993 pour sa participation à ce que l’on appelait à l’époque le plus grand scandale de délit d’initié jamais connu en France. Ils incluent également Ajaz Saddique, qui s’est vu interdire en 2014 d’agir en tant que directeur de société au Royaume-Uni pendant 15 ans après une enquête sur ce que les autorités ont qualifié de fraude fiscale de plusieurs millions de dollars.
Un autre client de SFM était Alexandre Cazes, qui, comme Patel, était un entrepreneur Internet québécois, bien que les deux hommes ne semblent pas avoir été liés. Les autorités américaines ont décrit Cazes comme le jeune cerveau derrière AlphaBay, la plus grande place de marché du « dark web » au monde. Selon un acte d’accusation dressé par un tribunal fédéral de Californie, ce site Web obscur était utilisé par des milliers de vendeurs pour colporter des biens et services illégaux et pour blanchir des centaines de millions de dollars provenant de ces transactions illicites.
Les autorités américaines ont monté un dossier contre Cazes après avoir effectué de nombreux achats clandestins d’héroïne, de méthamphétamine et d’autres drogues de rue, puis l’avoir relié à une adresse électronique, Pimp_Alex_91@hotmail.com, utilisée dans les courriels de bienvenue et de récupération de mot de passe d’AlphaBay.
Cazes a été arrêté en Thaïlande en 2017. Il a été retrouvé mort dans une prison thaïlandaise une semaine plus tard, suicidé.
Le bureau de SFM à Dubaï a fourni à Cazes au moins cinq sociétés offshore, comme les Pandora Papers le montrent. SFM a continué à envoyer des factures à Cazes après sa mort.
Royal privileges
Les Émirats arabes unis ont deux visages : une économie ouverte et un État policier.
Les Émirats, comme d’autres paradis fiscaux et juridictions du secret, offrent aux gens des moyens de protéger leur patrimoine et de garder leurs transactions commerciales discrètes. Les Émirats arabes unis ont un taux d’imposition des sociétés limité et offrent un secret absolu qui masque la propriété de nombreuses sociétés qui y sont enregistrées.
La surveillance de masse et la mainmise de la monarchie sur les tribunaux et les médias font qu’il est difficile de contester le système ou d’exposer des transactions commerciales suspectes, surtout lorsque des membres de la famille royale sont impliqués when royals are involved.
Les Émirats arabes unis, un pays essentiellement désertique qui borde le sultanat d’Oman et l’Arabie saoudite, ont une population d’environ 10 millions d’habitants. Près de 90 % des habitants sont des expatriés, dont beaucoup sont des travailleurs invités originaires d’Inde et du Pakistan qui occupent des emplois mal payés dont la plupart des Émiratis ne veulent pas.
Abu Dhabi, l’émirat le plus grand et le plus riche, contrôle la présidence du pays depuis que les émirats se sont regroupés au début des années 1970. L’actuel président des Émirats arabes unis, Sheikh Khalifa bin Zayed, est issu de la famille régnante Al Nahyan d’Abu Dhabi. Depuis qu’il a subi un accident vasculaire cérébral en 2014, il est rarement vu en public. Un demi-frère, le cheikh Mohammed bin Zayed, le dirigeant de facto, s’est fait connaître au cours de la dernière décennie en dirigeant les interventions armées des EAU au Yémen et en Libye.
Les Émirats arabes unis se présentent comme un allié stable et tourné vers l’avenir de l’Occident dans une région dangereuse. Ils ont accueilli le tournage de scènes dans le désert pour « Star Wars : The Force Awakens », ont fait des dons pour venir en aide aux victimes d’ouragans aux États-Unis et, grâce au parrainage d’équipes de football professionnelles par la compagnie aérienne publique Emirates, ont fait du maillot « Fly Emirates » l’un des maillots de football les plus populaires au monde.
Les EAU ont acheté d’énormes quantités d’armes de fabrication américaine et ont déployé des avions de chasse F-16 pour soutenir les opérations américaines en Afghanistan. Les généraux américains ont surnommé le pays « Little Sparta » [la petite Sparte].
Le pays a également renforcé son image en accueillant des événements internationaux – comme une conférence des Nations unies en 2019 sur la lutte anti-corruption – qui sont en contradiction avec son bilan d’autocratie qui emprisonne les critiques et sert de centre de secret offshore.
Par-dessus tout, les dirigeants des Émirats arabes unis ont présenté leur pays comme un lieu ouvert à toutes sortes d’affaires, y compris aux plus grandes sociétés du monde.
Lorsque l’économie se porte bien, les familles dirigeantes se portent très bien.
De nombreux membres des familles royales émiraties ouvrent des portes et parrainent de nombreuses entreprises, en échange de commissions qui peuvent représenter jusqu’à 25 % des bénéfices, ont déclaré à l’ICIJ 10 personnes connaissant bien les intérêts commerciaux des familles royales émiraties. Il s’agit de sept personnes ayant travaillé pour des membres de la famille royale, de deux anciens fonctionnaires du gouvernement et d’un investisseur ayant travaillé en étroite collaboration avec d’éminents cheikhs.
Les membres influents de la famille royale gèrent leurs affaires par l’intermédiaire de leurs bureaux privés, qui fournissent des services aux entreprises et aux expatriés ayant beaucoup d’argent liquide. Les bureaux privés peuvent aider les investisseurs à ouvrir des comptes dans les banques des Émirats arabes unis et leur donner accès à des banquiers de haut rang qui, à leur tour, peuvent approuver des lignes de crédit, a déclaré un ancien consultant de bureau privé.
« Plus le cheikh est haut placé, plus l’affaire est rentable, moins les banques posent de questions, plus les hommes d’affaires bénéficient d’accès privilégiés, plus ils bénéficient d’une couverture et d’avantages solides en échange d’une commission, d’une participation ou d’un pourcentage », a déclaré un ancien fonctionnaire des EAU dans une interview à l’ICIJ.
Dans une vidéo publiée sur la page web du bureau privé du cheikh Saeed bin Ahmed Al Maktoum, membre de la famille royale de Dubaï, le directeur du développement commercial du bureau déclare que les gens viennent au bureau parce qu’il leur offre des connexions et « le nom de la famille que nous représentons ».
« Avec notre nom et notre réputation, il n’y a aucun contact que nous ne puissions réellement atteindre », dit-elle.
Un avocat d’affaires travaillant pour un prestataire de création de sociétés aux EAU a déclaré à l’ICIJ qu’il était important d’avoir une adresse royale pour son entreprise car « elle offre une protection. »
The more senior the sheikh, the more profitable the business, the less questions asked in banks, the more access businessmen get, the better cover and incentives they get. — former UAE official
Les recherches de l’ICIJ indiquent que Sheikh Hazza, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, possède la tour de bureaux H Hotel au 1 Sheikh Zayed Road, où le fournisseur de services offshore SFM avait ses bureaux à Dubaï jusqu’en 2017 au moins. Deux anciens gestionnaires de l’immeuble de la tour ont déclaré que Sheikh Hazza était le propriétaire de l’immeuble depuis au moins 2012. Selon un jugement d’une cour d’appel de Dubaï, la tour est la propriété de Capital Investment International, qui est dirigée par Sheikh Hazza et ses enfants.
Les recherches de l’ICIJ indiquent que SFM est l’une des quatre sociétés au moins qui avaient des bureaux dans l’immeuble et qui fournissaient des services financiers ou de création de sociétés à des clients offshore.
En outre, les documents des Pandora Papers relatifs à près de 150 sociétés offshore que SFM a créées pour des clients comportent cette référence dans l’adresse d’enregistrement des sociétés : « Bureau No-1602, propriété de Sheikh Hazza Bin Zayed Al Nahyan ».
Les sociétés dont les documents d’incorporation font référence à Sheikh Hazza comprennent des sociétés créées pour Patel, le client de SFM ultérieurement condamné pour blanchiment d’argent, et pour Tabibi, l’homme d’affaires ayant des liens avec l’empire financier du leader iranien.
En réponse aux questions de l’ICIJ, l’avocat de SFM a déclaré que les sociétés de ses clients utilisaient souvent le bureau de SFM comme adresse officielle, et que « c’est une pratique standard absolue dans les EAU de mentionner le nom du propriétaire du bâtiment dans l’adresse enregistrée de toutes les sociétés ayant leur adresse dans ce bâtiment ».
L’avocat a déclaré qu’il n’y avait « absolument aucune relation d’affaires » entre SFM et « un quelconque Sheikh, ou un quelconque bureau privé de la famille régnante aux EAU. »
Les Pandora Papers montrent que, outre ses liens, en tant que propriétaire, avec l’industrie financière offshore du pays, Sheikh Hazza possède ses propres sociétés offshore en dehors des EAU, constituées avec l’aide d’un cabinet d’avocats des EAU.
Le cabinet, Hadef & Partners, a été fondé par un ancien ministre de la Justice des Émirats arabes unis et a créé des sociétés offshore pour plusieurs membres éminents de la famille royale émiratie, démontrent les documents fuités.
En 2016, Hadef & Partners, qui a des bureaux à Abu Dhabi et Dubaï, a aidé Sheikh Hazza à créer une société émiratie nommée Loomington Investments Ltd. Les documents montrent que Sheikh Hazza possédait également deux autres sociétés utilisant le même nom dans les îles Vierges britanniques et aux Seychelles, et qu’il a transféré des actions de la société des Seychelles à la société des EAU. Les documents indiquent que l’objectif de ces sociétés offshore est de posséder des « biens immobiliers » aux Seychelles. Hazza possède une autre société offshore dans les îles Vierges britanniques, WestShore Finance Limited, dans laquelle sa mère, Sheikha Fatima bint Mubarak Al Ketbi, est également actionnaire, selon les documents.
Dans une réponse par e-mail à l’ICIJ, un avocat de Hadef & Partners a déclaré que le cabinet « se conforme aux lois et réglementations applicables » et a refusé de faire d’autres commentaires, invoquant la confidentialité des clients.
Les Pandora Papers montrent également que le cheikh Khaled – le fils du plus puissant aristocrate des Émirats arabes unis, Mohammed bin Zayed – est un partenaire commercial dans un accord d’investissement offshore avec le milliardaire singapourien Ong Beng Seng et le milliardaire émirati Ali Saeed Juma Albwardy.
Le cheikh Khaled, un haut responsable de la sécurité, est devenu l’unique actionnaire de Desroches Island Ltd. à Abu Dhabi avec l’aide de Hadef & Partners.
Cette société est actionnaire d’une société des îles Vierges britanniques portant un nom presque identique, Desroches Island Holdings Ltd, aux côtés d’Ong et d’une société appartenant à Albwardy.
Dans un câble diplomatique révélé par WikiLeaks, un ancien ambassadeur américain en Tanzanie a allégué en 2006 qu’Albwardy avait corrompu le président tanzanien alors qu’il négociait avec le gouvernement l’expansion d’une chaîne hôtelière en Tanzanie. L’ancien ambassadeur, Michael Retzer, a déclaré qu’Albwardy avait fait don d’un million de dollars au parti politique du président de l’époque, Jakaya Kikwete, et lui avait acheté des costumes de marque. Albwardy et Kikwete ont nié ces allégations.
En 2018, un partenaire médiatique de l’ICIJ, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, a rapporté que des documents confidentiels montraient qu’Ong avait apparemment offert à des hauts fonctionnaires des Maldives des séjours dans des hôtels de luxe à peu près au moment où sa société d’hôtels de luxe venait de confirmer un contrat sans appel d’offres avec le gouvernement des Maldives pour louer une île éblouissante sur la barrière de corail. Ong n’a pas répondu à la demande de commentaires de l’ICIJ.
Les documents montrent qu’en 2016, les partenaires de Desroches Island Holdings, la société des îles Vierges britanniques, ont sollicité une ligne de crédit de 40 millions de dollars auprès de la HSBC Bank à Dubaï. En 2017, les documents montrent que les actifs de la société étaient évalués à 50 millions de dollars.
Les documents indiquent que les fonds seraient utilisés pour exploiter le complexe Four Seasons sur l’île Desroches, qui se présente comme un « paradis privé sur une île corallienne luxuriante » qui vous fera « vous sentir comme un naufragé qui a trouvé de l’or. »
City of gold
L’un des principaux moteurs de l’économie des Émirats arabes unis – et l’un des moteurs du blanchiment d’argent dans le pays – est l’or.
Dubaï s’est tourné vers le commerce de l’or pour compenser la diminution de ses réserves de pétrole. Les Émirats arabes unis figurent désormais parmi les principaux importateurs d’or au monde [ndlr, 4ème rang mondial en 2018 derrière la Suisse, la Chine et l’Inde]. En 2020, les EAU ont importé de l’or pour une valeur de 37 milliards de dollars et ont exporté des lingots pour une valeur de 29 milliards de dollars, selon les chiffres de l’ONU.
Une analyse réalisée en 2016 a révélé que près de la moitié de l’or importé par les EAU nearly half of the gold imported by the UAE provenait de pays où les milices et autres factions armées extorquent de l’argent aux mineurs et utilisent les recettes pour financer leurs campagnes de carnage.
L’or de conflit provenant de pays comme le Congo est acheminé clandestinement vers les pays voisins, puis vers Dubaï via les aéroports. Les négociants et les raffineurs dissimulent son origine avant de l’exporter vers l’Europe et les États-Unis.
« Dubaï est … un lieu de blanchiment de l’or extrait de manière artisanale, en particulier dans les régions de l’Afrique centrale et de l’Est sujettes aux conflits », indiquait l’année dernière un rapport de la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale. « Des pratiques commerciales opaques et des failles dans la réglementation permettent à cet or blanchi d’entrer massivement sur les marchés mondiaux. »
Au début du mois, le ministère de l’économie des Émirats arabes unis a déclaré au service de presse Reuters qu’il allait exiger des fondeurs qu’ils se soumettent à des audits annuels pour s’assurer que leurs fournisseurs s’approvisionnent en or de manière responsable.
Les Pandora Papers montrent que SFM a créé deux sociétés pour le négociant en or belge Alain Goetz en 2016, toutes deux portant le même nom : Al Jur investment Ltd. L’une a été constituée aux Émirats arabes unis, l’autre aux Seychelles.
Un rapport de l’ONU de 2009 a révélé des liens entre Goetz et un important négociant d’or soupçonné d’avoir obtenu de l’or dans des zones du Congo contrôlées par une milice accusée de tuer et de mutiler des civils. Le rapport indique que Goetz a nié avoir une « relation d’affaires suivie » avec le négociant.
En 2018, une ONG d’investigation et de plaidoyer, The Sentry, a révélé que des contrebandiers et des commerçants avaient affirmé que le réseau d’entreprises de Goetz avait acheté de l’or de conflit trafiqué depuis l’est du Congo. L’organisation a également déclaré que les pratiques de son réseau agitaient des drapeaux rouges sur un potentiel blanchiment d’argent.
Les Pandora Papers montrent que Goetz est resté client de SFM au moins jusqu’en avril 2019.
Un représentant de Goetz a déclaré que « les revendications et les accusations contenues dans différents articles de presse liés à l’implication de M. Goetz dans l’or de conflit de la République démocratique du Congo sont soit biaisées, soit fausses. » Le représentant a déclaré que Goetz a vendu ses actions dans les sociétés offshore en 2019.
En février 2020, un tribunal belge a déclaré Goetz coupable de fraude et de blanchiment d’argent et l’a condamné à 18 mois de prison avec sursis. Le tribunal a constaté que Goetz avait aidé à créer un système de marché noir permettant aux clients de vendre de l’or de manière anonyme à la fonderie de sa famille en Belgique, a rapporté Reuters.
L’année dernière, l’ICIJ a révélé que le département du Trésor américain avait refusé de prendre des mesures contre l’un des concurrents de Goetz, Kaloti Jewellery Group, bien que les enquêteurs américains aient découvert que Kaloti achetait de l’or à des vendeurs soupçonnés de blanchir de l’argent pour des trafiquants de drogue et d’autres criminels. Kaloti, qui raffine près de la moitié des importations d’or de Dubaï, a déclaré à l’ICIJ qu’elle « démentait avec véhémence toute allégation de mauvaise conduite. »
D’anciens fonctionnaires du Trésor ont déclaré à l’ICIJ que les États-Unis se sont abstenus par crainte de nuire à leurs relations avec les EAU.
Tightrope
En avril 2020, les Émirats arabes unis ont fait l’objet d’une pression internationale lorsqu’ils ont été confrontés, pour la première fois, au risque d’être ajoutés à la « liste grise » des pays devant faire l’objet d’une surveillance accrue par le principal organisme mondial de lutte anti-blanchiment, le Groupe d’action financière (GAFI) basé à Paris.
Le groupe de travail a déclaré que les Émirats arabes unis devaient apporter des améliorations majeures pour s’assurer qu’ils disposent de systèmes efficaces de lutte anti-blanchiment et contre financement du terrorisme [ndlr LAB-FT]. La degré d’amélioration des EAU sera un test pour savoir si les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres membres puissants du groupe de travail ont la volonté politique de pousser leur allié du golfe Persique à adopter de vraies réforme, selon les activistes de la lutte anti-corruption.
L’une des questions qui préoccupent les groupes de lutte anti-corruption est la prolifération des « zones franches » aux Émirats arabes unis – des territoires spéciaux à l’intérieur du pays qui offrent aux entreprises un endroit sans taxes avec une réglementation minimale. Dans de nombreuses zones franches des Émirats arabes unis, vous pouvez créer une société sans trop de questions.
Ces zones, qui sont censées stimuler le commerce et d’autres activités commerciales, sont exemptées de bon nombre de lois des EAU et des émirats où elles sont situées. Les zones franches ont leurs propres organes de gouvernance et de réglementation, bien que les membres des familles royales gardent généralement le contrôle en désignant les responsables des zones franches ou en siégeant à leurs conseils d’administration.
It’s an act of legal acrobatics … On paper there are all these things they’re trying to do. But the reality remains very much business as usual. — Lakshmi Kumar, Global Financial Integrity
Il existe des zones franches dans les EAU pour faciliter le commerce de l’or et des diamants, et même des fleurs, des tapis et des voitures d’occasion. Personne ne semble pouvoir se mettre d’accord sur leur nombre. Le rapport du Carnegie Endowment de l’année dernière estime que les EAU comptent 47 zones franches, dont une trentaine à Dubaï.
Lakshmi Kumar, directeur des politiques à Global Financial Integrity, une ONG anti-corruption, affirme qu’il est difficile de comprendre ce qui se passe dans le dédale des zones franches des EAU. Certaines n’ont pas de site web. Certaines zones franches opèrent à l’intérieur d’autres zones franches.
Selon M. Kumar, tout cela crée un « patchwork ahurissant » qui permet aux blanchisseurs d’argent, aux trafiquants d’or et à d’autres criminels de s’installer dans des sociétés opaques qui masquent leur identité et permettent à l’argent sale de circuler.
Les responsables émiratis affirment avoir pris des mesures concrètes pour lutter contre le blanchiment d’argent, notamment en obligeant de nombreuses sociétés à révéler aux autorités émiraties leurs véritables propriétaires. En août, à la demande de Sheikh Mohammed, le premier ministre des Émirats arabes unis, les responsables de Dubaï ont annoncé la création d’un tribunal spécialisé dans les affaires de blanchiment d’argent.
Alors que les responsables émiratis ont commencé à appliquer des règles plus strictes aux banques et aux entreprises, les régulateurs « marchent sur un fil », selon Saboor Siddiqui, membre de la cellule de renseignement financier de la Banque centrale des EAU.
« Il y a beaucoup de résistance de la part des institutions financières, et pour y remédier, nous coopérons avec elles et nous vérifions qu’elles ne prennent pas les régulateurs pour acquis », a-t-il déclaré à l’ICIJ.
En janvier, les autorités bancaires des EAU ont révélé qu’elles avaient infligé à 11 banques des amendes d’un montant total de 12,5 millions de dollars pour ne pas avoir mis en place des procédures de lutte anti-blanchiment adéquates.
Kumar, l’expert en politique de corruption, soutient que les récentes mesures prises par les EAU sont plus de la poudre aux yeux qu’une volonté de nettoyer les problèmes du pays en matière de blanchiment d’argent et autres crimes financiers.
Les autorités n’ont pas identifié les banques qui ont été pénalisées et les amendes étaient si faibles que les banques pouvaient les récupérer « en deux semaines », a déclaré M. Kumar.
Et les nouvelles exigences de transparence sur la propriété des entreprises ? Elles comportent des failles.
Les informations ne seront pas accessibles au public, elles seront détenues par les autorités gouvernementales. De plus, l’identité des véritables propriétaires ne doit généralement être déclarée que s’ils détiennent 25 % ou plus de l’entreprise, ce qui permet à des acteurs malhonnêtes de répartir la propriété entre leur famille ou leurs associés de manière à garder leur rôle secret.
Aux États-Unis, les informations relatives à la propriété sont recueillies dans une base de données nationale gérée par le département du Trésor et mise à la disposition des autorités chargées de l’application de la loi et de la réglementation. Aux Émirats, ces informations seront réparties dans un enchevêtrement de près de 40 registres d’entreprises différents tenus par les zones franches et autres subdivisions politiques.
Les défenseurs de la transparence ont déclaré que cela augmentait le risque que les zones franches et autres autorités d’octroi de licences se fassent concurrence pour attirer les entreprises en offrant les procédures les moins rigoureuses pour vérifier la propriété et capter les informations trompeuses.
« Si vous regardez plus profondément, vous voyez les fissures et les failles. C’est un acte d’acrobatie juridique », a déclaré Kumar. « Sur le papier, il y a toutes ces choses qu’ils essaient de faire. Mais la réalité reste très proche du business as usual. »
Contributeurs: Agustin Armendariz, Delphine Reuter et Marcos García Rey.
Retrouvez la version originale de l’article en anglais ici: https://www.icij.org/investigations/pandora-papers/pandora-papers-reveal-emirati-royal-families-role-in-secret-money-flows/