Avec le désamarrage du franc suisse vis-à-vis de l’euro on redécouvre les ravages des prêts indexés sur la devise helvétique souscrits par de nombreux emprunteurs de l’union européenne qui voient leur dette s’envoler. En une journée, le 15 janvier 2015, le franc suisse a flambé de 20% par rapport à l’euro. Deontofi.com revient sur la loi d’amnistie des prêts toxiques imposée par l’État aux collectivités locales.
Un prêt toxique est un crédit présenté par la banque comme bénéficiant d’un taux d’intérêt avantageux en cachant ses risques, notamment l’envolée du coût de remboursement selon des facteurs variables. En Égénéral, les particuliers connaissent les prêts à taux fixe, dont le taux d’intérêt est fixé pour toute la durée du prêt, et ceux à taux variables, dont le taux varie durant la durée de remboursement, par exemple une fois par an, en fonction d’un taux de référence, comme le taux Euribor (euro interbank offered rate, ou taux interbancaire en euros).
Les prêts toxiques sont une forme de prêt à taux variable pernicieuse qui ne dit pas son nom. C’est le cas par exemple des prêts indexés sur le franc suisse, comme le fameux contrat Helvet Immo de BNP Paribas, souscrit par de nombreux particuliers français. Présentés comme des prêts à taux attractif, le capital à rembourser dépend de l’évolution du franc suisse (CHF) par rapport à l’euro. Avant sa revalorisation du 15 janvier 2015, le franc suisse avait déjà flambé de 38% par rapport à son niveau d’octobre 2007 (passant de 1CHF = 0,6 € en octobre 2007, avant qu’il soit arrimé au cours de 1CHF = 0,83 €, par décision de la Banque nationale suisse du 6/9/2011). Au cours de 1CHF = 1€, depuis le 15 janvier 2015, la monnaie helvétique s’est revalorisée de 67% par rapport à 2007 ! Une mauvaise nouvelle pour les souscripteurs de prêts toxiques indexés sur le franc suisse, dont les remboursements s’envolent dans les mêmes proportions.
De nombreuses collectivités locales et emprunteurs publics se sont fait piéger par des prêts toxiques indexés sur le franc suisse, ou basés sur d’autres montages scabreux, proposés par la banque Dexia, issue de la fusion entre le Crédit local de France et son homologue le Crédit communal de Belgique. Beaucoup d’emprunteurs n’ont pas les moyens de rembourser la dette toujours plus lourde de ces emprunts. Et comme de nombreux prêts toxiques ne respectent pas les règles, ils sont contestés en justice. Pour la banque, ce sont des créances douteuses.
Empêtrée dans ses imprudences, Dexia s’est écroulée en 2008, déclenchant «la plus grosse faillite bancaire européenne» (1). En renflouant la banque, l’Etat français a hérité de ses créances douteuses aux collectivités locales, qui plombent le bilan et la capacité d’emprunt de la Caffil (Caisse française de financement local), banque 100% publique filiale de la Sfil (Société de financement local), créée pour remplacer la banque défaillante. Pour en sortir, l’Etat a fait passer une «loi de sécurisation des prêts structurés», adoptée le 29 juillet 2014 malgré la saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés (en vain), interdisant rétroactivement les recours de collectivités piégées par le coût de ces prêts trompeurs. Cette loi exonère rétroactivement les marchands de prêts toxiques de leur obligation d’afficher le taux effectif global, prévue par l’article L313-1 du Code de la consommation.
Il fallait à tout prix empêcher la justice d’être rendue au profit des victimes de prêts toxiques, comme l’expliquait le sénateur Jean Germain dès le 13 mai 2014 : «En effet, par deux décisions du 8 février 2013 et du 7 mars 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a relevé le défaut ou l’erreur de TEG et a jugé que ces manquements devaient être sanctionnés par l’application du taux d’intérêt légal en lieu et place du taux d’intérêt prévu par le contrat, taux qui, dans le cadre de prêts structurés, peut se révéler très élevé». Les banques ont l’obligation d’informer clairement les emprunteurs du taux réel de leur crédit, appelé taux effectif global, ou TEG. Si le contrat n’est pas clair sur ce taux réel, les juges considèrent, en application de la loi, que l’emprunteur ne doit rembourser que le taux d’intérêt légal, inférieur à 1% depuis 2010 et même proche de zéro depuis 2013 ! Un taux sans commune mesure avec le racket des prêts toxiques.
Si les banques ne peuvent même plus dépouiller les emprunteurs avec des prêts illégaux sans risquer de perdre leurs procès, où va-t-on ? L’anarchie menace, à en croire le sénateur Jean Germain pour qui cette justice providentielle pour les emprunteurs trompés «conduirait à une réaction en chaîne particulièrement désastreuse pour nos finances publiques et, paradoxalement, pour le financement des collectivités territoriales elles-mêmes : M. le secrétaire d’État a cité le chiffre colossal de 17 milliards d’euros». Intox ?
Oui, car l’étude citée, motivant la loi, se base sur des chiffres fournis par Dexia elle-même, qui a gonflé le montant de ses prêts toxiques potentiellement litigieux à 17 milliards d’euros. En réalité cette évaluation ne tient pas compte des affaires prescrites et de nombreux prêts à taux variables non toxiques (classiques Euribor sans indexation devises). L’exagération du risque calculé par Dexia a été brandie par le gouvernement pour justifier la pseudo-nécessité de voter la loi rétroactive.
En consolation, l’Etat a promis 1,5 milliard d’euros sur quinze ans, alimenté pour moitié par les banques et pour l’autre par l’Etat, pour aider les collectivités à rembourser leurs prêts en renonçant aux recours.
Mais l’association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET), réunissant les victimes de ces prêts, dénonce un marché de dupes. Le fonds de soutien ne serait doté que de 60 millions d’euros par an au lieu des 100 prévus, dont une partie pour le Service de pilotage du dispositif de sortie des emprunts à risque, qui prépare ses critères d’attribution. Au lieu de prendre en charge 45% des remboursements anticipés, il n’en payerait plus que 20%. Selon les élus, l’Etat est aussi juge et partie au Comité national de suivi du fonds de soutien (Cnos), présidé par le sénateur Jean Germain, le très serviable rapporteur de la loi rétroactive. Pour bénéficier de cette obole, les collectivités locales doivent adhérer au fonds de soutien avant le 15 mars 2015 en renonçant à contester leurs prêts toxiques en justice.
La loi rétroactive et le fonds de soutien résisteraient mal à une mise en cause de sa légalité devant de plus hautes instances, mais cela suspendrait les aides promises. Certaines collectivités locales sont sensibles à ce chantage, préférant une promesse d’allègement partiel à un espoir de victoire judiciaire. D’autres considèrent en revanche que l’hypothétique soutien de l’Etat est insuffisant au regard du préjudice causé aux contribuables locaux. Leur avocate, Maître Hélène Feron-Poloni, estime que la justice est de leur côté : «le projet de loi ne supprime pas la possibilité de demander l’application du taux légal quand le TEG n’était pas indiqué sur les contrats de prêts toxiques», explique-t-elle. Surtout, la rétroactivité de cette loi visant à éteindre les procès en cours serait contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme : «il n’y a pas de motif d’intérêt général car seul l’Etat a un intérêt, ce qui n’en fait pas un intérêt général au sens où cela a été jugé par la Cour européenne des droits de l’Homme», rappelle l’avocate.
(1) : « Le scandale Dexia, enquête sur la plus grosse faillite bancaire européenne », livre du journaliste Alain Piffaretti, Nouveau Monde éditions 2013, 302 pages, 19€.
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