Avec l’approche des vacances, revient le temps des multi-assurances. Certains n’y prêtent pas attention, quand d’autres cèdent aux épouvantails des vendeurs de peur et souscrivent à toutes les assurances censées les protéger d’infinies menaces sur leur quotidien. Le monde est-il plus dangereux ou sommes-nous plus peureux ? On a parfois l’impression qu’on tente de nous vendre des assurances pour tout. Deontofi.com analyse les enjeux et conséquences pratiques de cette course aux «sur-assurances».

Les gens pensent avoir autant de risques de décès accidentel que par maladie, alors que les accidents tuent 18 fois moins que la maladie, une aubaine pour les assureurs qui fixent leurs tarifs selon nos peurs. (photo © GPouzin)

Les gens pensent avoir autant de risques de décès accidentel que par maladie, alors que les accidents tuent 18 fois moins que la maladie, une aubaine pour les assureurs qui fixent leurs tarifs selon nos peurs. (photo © GPouzin)

Réserver un billet d’avion, un voyage ou une location, acheter un produit neuf avec extension de garantie ou protéger vos proches en cas de mort accidentelle, sont devenus autant de prétextes pour vous vendre une indispensable assurance dont vous n’avez pas besoin, à un tarif totalement hors de prix par rapport à la réalité du risque assuré. Premièrement, pour dissiper un malentendu très répandu, sachez qu’aucune assurance ne vous protège de quoi que ce soit : elles indemnisent ! Aucune assurance ne vous protège des voleurs ou des accidents, leur rôle se limite à vous indemniser du préjudice causé par les dommages pour lesquels vous êtes assurés, sous réserve des conditions générales et particulières ou autres clauses de franchise, plafonnements ou exclusions prévues dans votre contrat, cela va de soi. Pour prendre une image concrète, les assurances ont le même rôle que notre système immunitaire: elles n’empêchent pas d’être malade ou de subir des dommages, mais elles en compensent plus ou moins les conséquences, pour en réparer autant que possible le préjudice ou en réduire les tracas (contrats d’assistance).

Passé ce préambule, on peut s’amuser ou s’agacer des ficelles psychologiques utilisées pour nous vendre des assurances, en jouant sur les réactions émotionnelles qui déjouent notre intelligence rationnelle face à nos peurs profonde. L’approche des vacances, avec ses déplacements et ses activités inhabituelles, est particulièrement propice aux marchands d’assurance. Mais ils savent bien saisir toutes les occasions, comme en témoigne la controverse autour d’un film diffusé par l’assureur américain NationWide lors du concours annuel de pub télé des Etats-Unis, aussi appelé Super Bowl en référence aux quelques minutes du championnat de football américain (celui avec des casques et un ballon de rugby) insérées entre les réclames.

Dans son livre "Système 1, système 2", le psychologue Prix Nobel d'économie Daniel Kahneman explique comment nos peurs biaisent nos achats d'assurances.

Dans son livre « Système 1, système 2 », le psychologue Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman explique comment nos peurs biaisent nos achats d’assurances.

Pour s’amuser de l’exploitation de nos peurs par les assureurs, il suffit d’écouter Daniel Kahneman, docteur en psychologie récompensé par le prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux sur la théorie des perspectives, base de la finance comportementale. Cette discipline prometteuse postule que le comportement des individus, et des marchés financiers, est irrationnel, contrairement à ce soutiennent les théories économiques classiques de l’efficience des marchés ou du choix rationnel des agents économiques dans un monde de concurrence pure et parfaite, illusoire. Nous avions rencontré Daniel Kahneman en octobre 2012, à l’occasion d’une conférence donnée à l’Ecole d’économie de Paris, où il dédicaçait son dernier livre : «Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée» (éditions Flammarion 2012, 555 pages, 25€).

Daniel Kahneman y raconte par exemple la perception des risques par le grand public, que des chercheurs ont mesurée et comparée par rapport aux probabilités réelles de ces risques (p.170).

Les accidents plus effrayants que les crises cardiaques : 80% des sondés pensent qu’on a plus de risques de décéder d’une mort accidentelle que d’une attaque cardiaque. Le risque réel : c’est l’inverse, les crises cardiaques tuent presque deux fois plus de gens que toutes les causes de morts accidentelles.

Les tornades plus effrayantes que l’asthme : les sondés estiment que les tornades tuent plus de gens que l’asthme. Le risque réel : c’est l’inverse, l’asthme est à l’origine de 20 fois plus de décès que les tornades.

Les accidents plus effrayants que le diabète : les sondés considèrent qu’on a 300 fois plus de risques de mourir dans un accident que du diabète. Le risque réel : c’est l’inverse, le diabète tue quatre fois plus de gens que les accidents.

Les gens sont prêts à payer plus cher pour s'assurer contre le risque de décès qui leur fait le plus peur, indépendamment de sa probabilité observée. (photo © GPouzin)

Les gens sont prêts à payer plus cher pour s’assurer contre le risque de décès qui leur fait le plus peur, indépendamment de sa probabilité observée. (photo © GPouzin)

Les accidents toujours plus effrayants que la maladie : au final, les sondés estiment avoir à peu près autant de risque de mourir d’un accident que d’une maladie. Le risque réel : c’est encore faux, la probabilité de mourir de maladie est 18 fois plus forte que le risque de décès accidentel.

Les chercheurs ont découvert que cette perception des risques était liée à la peur qu’ils nous inspirent, davantage qu’à leur évaluation statistique, ce qui nous conduit à payer des assurances à un prix dépendant de nos peurs, plus que de leur coût réel pour les assureurs, quitte à aboutir à des résultats irrationnels.

Daniel Kahneman explique ce phénomène à travers une autre anecdote servie lors de sa visite parisienne, et dans d’autres interventions. « Quand il y avait des alertes terroristes en Europe mais pas aux Etats-Unis, on demandait à des voyageurs en partance pour l’Europe combien ils seraient prêts à payer pour une assurance garantissant à leurs proches un capital de 100 000 dollars en cas de décès, tandis qu’on demandait à d’autres voyageurs quel prix ils payeraient pour une assurance de 100 000 dollars en cas de décès dans un attentat terroriste durant leur voyage », raconte Daniel Kahneman. Résultat : les cobayes du second groupe étaient prêts à payer plus cher pour une assurance «décès attentats» que ceux du premier groupe pour une assurance «décès toutes causes», alors que cette dernière vaut réellement plus cher puisque le «décès toutes causes» inclut forcément le «décès attentats» en plus d’autres couvertures.

Même s’il est irrationnel, ce résultat n’est pas totalement illogique, explique néanmoins Daniel Kahneman, car il est très difficile d’évaluer le juste prix d’une assurance. Même les actuaires des compagnies d’assurance, en effectuant des calculs sophistiqués sur des données statistiques abondantes, ont du mal à fixer précisément le prix des contrats pour couvrir les sinistres. Du coup, notre cerveau utilise ce que Kahneman décrit comme un mécanisme de substitution : manquant d’informations pour apprécier le coût d’opportunité d’une assurance (en fonction de son prix par rapport à la probabilité du risque assuré), nous apprécions le tarif et l’opportunité de souscrire une assurance en fonction des peurs que suscite le risque.

Ne nous méprenons pas. Ce biais irrationnel ne fait pas du souscripteur d’assurance un idiot, seulement un bon client qui dit oui à tout sans discuter les prix, avec une certaine cohérence individuelle face aux risques et à son manque d’information.

Dans l’exemple de l’assurance «décès attentats» estimée à un prix supérieur à l’assurance «décès toutes causes», Daniel Kahneman note par exemple que le biais des cobayes n’est pas lié à un manque de logique, mais d’information. Si on demande à une même personne d’évaluer le tarif d’une assurance « décès attentats » par rapport à une assurance « décès toute cause », elle peut facilement déterminer que l’assurance « décès toute cause » vaut plus cher que l’autre, puisqu’elle l’inclut avec des couvertures supplémentaires. Mais sans ce repère, ce qui est le cas des deux groupes de cobayes distincts, même une personne logique et intelligente peut voir sa perception biaisée par son ignorance des risques réels et de leur inclusion ou non dans un ensemble de risques plus étendus. Voilà pour le prix.

La peur n'évite pas le danger, mais elle biaise notre perception des risques et du tarif des assurances (photo © GPouzin)

La peur n’évite pas le danger, mais elle biaise notre perception des risques et du tarif des assurances (photo © GPouzin)

Quant au biais qui nous pousse à souscrire une assurance hors de prix (par rapport à la probabilité de réalisation du risque), il repose sur l’arbitrage naturel des individus entre ce que Daniel Kahneman appelle l’effet de possibilité (95% de chances que tout se passe bien) et l’effet de certitude (100% assuré). «L’effet de possibilité nous pousse à surévaluer des risques peu probables et à payer des sommes bien plus élevées que la valeur attendue afin d’éliminer toute perspective négative», explique Kahneman : «l’infime espoir que tout va bien se passer a un poids considérable sur notre jugement» (p.374).

Il illustre ce biais avec un exemple théorique d’assurance en marge d’un procès (p.383). L’assureur a correctement évalué la situation. Selon lui, la victime a 95% de chances de gagner son procès avec une indemnité d’un million. Il propose à la victime de supporter l’aléa du verdict à sa place, en lui donnant 900 000 garantis, ce qui est moins intéressant que sa probabilité réelle de gain (95% de chances de gagner 1 million valent 950 000). Comme beaucoup de gens, la victime accepte cette assurance en se disant « je sais que c’est cher, mais au moins avec ça je suis tranquille ». Voilà pour le choix.

Même si le choix du client est irrationnel au regard des calculs de probabilité, il est cohérent psychologiquement, car même s’il a 95% de chances d’avoir 100% d’un capital, il se reprocherait de ne pas avoir choisi la certitude à 100% d’avoir 90% de ce capital, si le résultat lui était finalement défavorable. « Avec le regret, explique Kahneman, la perception du résultat dépend d’une option que vous auriez pu choisir, mais que vous avez finalement repoussée » (p.345). Ces expériences et leurs conclusions théoriques peuvent vous aider de façon très pratique et concrète, pour faire le tri parmi les propositions d’assurances.

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