Quand j’ai débuté mon enquête sur Leonteq, à la suite de signalements de ses turpitudes par des lanceurs d’alerte internes et avocats de victimes, en 2018, j’ignorais tirer la pelote d’un scandale tentaculaire aux ramifications internationales. En marge de l’arnaque Leonteq-Eramet, j’avais appris que Leonteq avait aussi des casseroles outre-manche.

 Comme en France, où des épargnants ont saisi la justice en indemnisation des préjudices causés par Leonteq dès 2018, des épargnants britanniques s’étaient fait plumer par ses produits structurés trompeurs, vendus en assurance-vie. Mais contrairement à la France, où les assureurs nient leur responsabilité (d’avoir fourgué du Leonteq en assurance-vie) en se défendant solidairement avec Leonteq ; en Grande-Bretagne, l’assureur Old Mutual (acquis depuis par Generali et rebaptisé Utmost) avait lui-même lancé un procès contre Leonteq, pour l’avoir trompé sur ses rétrocessions cachées.

« Old Mutual a obtenu un jugement de la Haute Cour de Justice de l’île de Man (affaire 18/0012), écrivait dès juillet 2018 le site Pension-Life.com, vitrine d’information du premier groupement britannique de défense contre les arnaques aux placements retraite. (…) Mais Leonteq a réussi à faire transférer la procédure de l’île de Man à Londres, ce qui aidera considérablement Leonteq et gênera OMI ».

On y apprenait que Old Mutual International (OMI) accusait Leonteq de fraude : « Entre 2012 et 2016, OMI a investi environ 200 millions de livres sterling dans des produits structurés (EMTN) vendus par Leonteq.  L’achat de ces produits structurés a été « réalisé » sur la base de la sincérité des déclarations faites par Leonteq quant au montant des frais et des coûts à déduire des investissements.  OMI soutient que les déclarations de Leonteq étaient fausses et frauduleuses.  Les investissements ont enregistré des résultats médiocres en raison du niveau excessif des frais.  Les pertes sont actuellement estimées à plus de 20 millions de livres sterling ».

Comme bien des procès contre Leonteq, celui déclenché par Old Mutual s’est ensuite enlisé dans les sables mouvants de ses manœuvres pour échapper à la justice. Mais en cherchant l’issue de ce scandale, pour actualiser cette saga des structurés foireux, on apprend son dénouement… depuis le printemps 2024.

Voici ce qu’en raconte le site Pension-Life.com, dans son article du 12 juin 2024 , sous le titre « Utmost Leonteq Fraud », traduit par nos soins avec l’autorisation de l’autrice.

« Fraude Extrême de Leonteq » (ndlr, le titre original est un jeu de mot sur le nouveau nom de l’assureur Old Mutual, rebaptisé Utmost, qui signifie « maximum » ou « extrême » en anglais).

Fraude Extrême de Leonteq 

En 2018, Old Mutual International (aujourd’hui Utmost International) a annoncé qu’elle poursuivait le fournisseur de produits structurés Leonteq. Cette procédure concernait une série de produits structurés malhonnêtes comportant une couche supplémentaire de commissions secrètes versées à des escrocs (prétendument) à l’insu d’Utmost International. Ces produits structurés ont foiré parce qu’ils étaient extrêmement risqués. Des milliers de victimes d’Utmost ont ainsi perdu des montants considérables de leurs pensions et de leurs économies.

Le 28 mai 2024, les administrateurs de QROPS et Old Mutual (rebaptisée Quilter et désormais détenue par Utmost International – anciennement Generali) ont annoncé que Leonteq avait réglé à l’amiable les dommages causés à des milliers d’investisseurs par ces obligations structurées toxiques. [ndlr QROPS = Qualified Recognised Overseas Pensions Scheme, un dispositif de transfert des fonds de pension hors du Royaume-Uni pour ses retraités expatriés – dont les Français ayant cotisé à des fonds de pension outre-manche- ]

Cette annonce a été rapportée par Momentum Pensions à Malte – parmi d’autres administrateurs de QROPS.  Certaines victimes d’escroqueries aux retraites offshore facilitées par Old Mutual, Generali, Utmost, RL360, SEB et d’autres sociétés d’assurance-vie obtiendront une compensation pour une petite partie de leurs énormes pertes.

Old Mutual International, la société d’assurance-vie responsable de milliers de vies ruinées en Espagne et ailleurs, a annoncé en 2018 qu’elle poursuivait le fournisseur de produits structurés Leonteq structured-note provider Leonteq sued.  Il y avait eu une série d’EMTN très toxiques et à haut risque pour lesquels Leonteq avait versé à des escrocs des commissions supplémentaires « sous la table » (c’est-à-dire non divulguées à Old Mutual).  Début 2023, l’affaire a été réglée à l’amiable pour un montant non divulgué.

Mais il ne s’agit pas d’une véritable compensation pour les années de détresse et de pauvreté que les milliers de victimes d’Utmost ont traversées. Des vies ont été détruites. Des familles ont été déchirées. Des maisons perdues. Les victimes sont mortes dans la misère et la solitude, laissant derrière elles des conjoints et des partenaires désemparés et sans ressources.

À l’origine, Old Mutual avait intenté un procès à Leonteq pour un montant compris entre 94 et 200 millions de livres sterling. Cette action se fondait sur des commissions non déclarées, ce qui constitue une fraude. Mais Utmost (ainsi que tous les autres assureurs-vie) avait été plutôt content de payer des millions de commissions non déclarées à la longue liste d’escrocs qui vendent leurs placements exotiques et leurs investissements toxiques (tels que les produits structurées). Mais alors qu’Utmost n’avait aucun problème avec ces commissions scandaleuses cachées aux victimes, l’assureur reprochait à Leonteq d’avoir caché ces commissions à Utmost lui-même.

Momentum Pensions [ndlr consultant en retraites offshore vendant des QROPS depuis Malte, Gibraltar et l’île de Man] se renseigne actuellement sur les implications juridiques et fiscales du paiement de cette compensation aux membres du régime de retraite. En principe, STM, SEB [ndlr banque suédoise ayant des casseroles sans lien avec leur fabricant français], et d’autres fournisseurs de QROPS ayant facilité cette fraude, devraient faire de même.

Si c’est effectivement une bonne nouvelle, pour les milliers d’épargnants dont les vies ont été ruinées par ces investissements ratés, elle laisse de nombreuses questions sans réponse :

– Pourquoi les assureurs-vie comme Utmost ont-ils contracté avec les escrocs en premier lieu ?

– Pourquoi Utmost ne s’est-t-il pas assuré que les escrocs dévoilent les commissions sur les obligations d’assurance et sur les investissements ?

– Pourquoi Utmost a-t-il permis que l’argent des petits épargnants soit investi dans des placements à haut risque réservés à des investisseurs professionnels avertis ?

– Utmost versera-t-il des indemnités pour tous les autres produits structurés qui étaient toxiques et qui ont foiré ?

La réponse d’Utmost à ces questions serait évidemment : « Nous n’avons pas donné de conseils en matière d’investissement ».  Et c’est l’excuse qu’ils invoqueront lorsqu’ils témoigneront devant le tribunal de l’île de Man – où [les sociétés d’avocats] Signature Litigation et Forsters les poursuivent, ainsi que [le bancassureur] Friends Provident International, leur réclamant 400 millions de livres sterling, pour ce même délit.

Utmost et tous les autres assureurs-vie n’ont pas – de fait – donné de conseils en matière d’investissement. Cependant, ils exécutaient les instructions d’investissement (souvent falsifiées) d’escrocs non agréés – et rendaient compte des pertes considérables subies par des milliers d’assurés.  Bien que parfaitement informé de ces pertes, Utmost a continué à accepter des instructions d’investissement (souvent avec de fausses signatures d’investisseurs) pendant des années – en versant les mêmes commissions cachées aux mêmes escrocs, avec les mêmes pertes à la clé. 

En fait, Utmost International poursuit ces pratique frauduleuses encore aujourd’hui. Et il est désormais prouvé qu’il verse des commissions cachées encore plus élevées aux mêmes escrocs, qui ont déjà ruiné tant de vies depuis plus d’une douzaine d’années.

Utmost n’était pas le seul assureur-vie impliqué dans le scandale des produits structurés de Leonteq. Friends Provident International, Generali, Investors Trust, Julius Baer, RL360 et SEB ont tous été coupables des mêmes pratiques.  Mais il semble qu’Utmost ait été le seul à poursuivre Leonteq pour cette fraude. 

Soyons clairs : une commission non déclarée constitue une fraude, qu’elle soit le fait des escrocs, de Leonteq ou d’Utmost International.

Il y a eu beaucoup d’escrocs rémunérés par la perception des bonus de commissions (cachées) de Leonteq.  Connus sous le nom de « Chiringuitos Financieros » [ndlr « buvettes financières », ou « bouilloires » (« boiler rooms », pratiquant le « churning » ou barattage)]  par le superviseur espagnol, la CNMV , ils incluaient Finsbury Financial, Chase Buchanan, Square Mile (rebaptisé Planet Pensions) et, bien sûr, le tristement célèbre Continental Wealth Management en Espagne.

La question la plus cruciale qui reste sans réponse est peut-être de savoir pourquoi le superviseur – Autorité des Servives Financiers de l’île de Man – n’a rien fait pour sanctionner des sociétés telles que Quilter, Utmost, Friends Provident et RL360. La présidente de l’autorité de régulation, Lillian Boyle, est en poste depuis 2015 et devait donc parfaitement connaître l’ampleur de la fraude facilitée par les assureurs-vie. 

Madame Boyle avait été précédemment PDG, directrice et présidente de compagnies d’assurance-vie internationales de l’île de Man et de leurs filiales et succursales à l’étranger.  Elle devait donc avoir une connaissance intime de la manière dont la fraude des commissions cachées fonctionnait. Et pourtant, elle est restée silencieuse. 

La nouvelle directrice générale de la FSA de l’île de Man est Bettina Roth.  Elle a travaillé pour l’autorité de régulation des îles Caïmans (juridiction bien connue pour ses opérations financières douteuses, notamment l’escroquerie à l’investissement du Trafalgar Multi Asset Fund ).  Et pourtant, elle aussi est restée silencieuse. Madame Boyle et madame Roth doivent savoir que l’île de Man est sous le feu des projecteurs, avec près d’un demi-milliard de livres sterling de réclamations pour fraude contre les assureurs décès (et un milliard de plus en cours de traitement).

Le site web du superviseur financier de l’île de Man, l’IoMFSA affirme qu’il est lui-même « responsable de la protection des consommateurs, de la réduction de la criminalité financière et du maintien de la confiance dans le secteur des services financiers par le biais d’une surveillance prudentielle rigoureuse ». Et pourtant, le crime financier que Old Mutual et Utmost International commettent depuis plus d’une douzaine d’années – au nez et à la barbe de l’autorité de régulation – est ignoré.

C’est une excellente nouvelle que Leonteq ait payé. Mais ce paiement inclut-il toutes les sur-commissions payées sur les produits structurés toxiques ?  Et tous les intérêts, dommages et intérêts et compensations pour les pertes et la fraude ?  Et qu’en est-il des autres fournisseurs de produits structurés dont les placements toxiques ont causé autant de dommages (et parfois plus) à des milliers de victimes ? 

La Banque Royale du Canada, Nomura et Commerzbank ont également fait référencer leurs produits toxiques sur les plateformes d’investissement d’Utmost International.  Une multitude d’escrocs (qui avaient des relations commerciales référencées par les assureurs-vie) ont utilisé ces produits pour ruiner leurs victimes, épargnants particuliers aux profils de risques prudents. 

Est-ce qu’aucune de ces grandes institutions financières se préoccupait du fait qu’elles facilitaient la criminalité financière à grande échelle, et ruinait des milliers de vies ?

Le régulateur de l’île de Man étant resté silencieux, cette fraude internationale massive se poursuit encore aujourd’hui.  Les assureurs-vie continuent de verser aux escrocs d’énormes commissions cachées, à la fois pour les produits structurés et les investissements référencés sur leurs plateformes d’assurance-vie [ndlr comme en France, tant pis pour vous l’ACPR s’en fout].

En fait, les commissions sur les produits structurés peuvent atteindre 9 % – pour un produit dont personne n’a besoin et qui ne sert qu’à faciliter la fraude à l’encontre des souscripteurs.

En 2018, Utmost International a commandé un rapport sur l’escroquerie aux produits structurées Leonteq à Future Value Consultants (FVC) – une société de conseil spécialisée dans l’analyse et la recherche sur les produits structurés.  Leur directeur général, Tim Mortimer, a analysé un échantillon test de 100 produits structurés et a observé les pratiques de frais et commissions suivantes :

Niveau de fraisNombre d’occurrences
 (proportion de produits structurés)
Moins de 6%9%
6% – 8%4%
8% – 12%21%
12% – 16%26%
16% – 20%14%
20% – 24%12%
24% – 28%6%
Plus de 28%8%
 100%

« À mon avis, une commission totale de 8 % répartie entre Leonteq et ses associés serait raisonnable, estimait Tim Mortimer.  Cela correspond aux entrées des deux premières lignes du tableau ». 

Cela signifie que seuls 13 % des produits avaient des frais raisonnables (c’est-à-dire viables).  Les 87 % restants étaient [ndlr comme le CLN-Rallye d’Eramet] vendus à des conditions largement surévaluées, avec des commissions exorbitantes versées aux escrocs. 

L’escroquerie aux produits structurés d’assurance continue de prospérer dans toutes les destinations typiques des expatriés britanniques, de l’Espagne au Portugal en passant par la Thaïlande et le Moyen-Orient. Les assureurs-vie comme Utmost International et RL360 continuent d’alimenter la machine mondiale de la fraude aux commissions cachées, les escrocs se faisant passer pour des conseillers financiers et vendant des produits surévalués plutôt que des conseils financiers appropriés. 

Leonteq continue de faire un commerce florissant, grâce aux escrocs offshore et aux assureurs-vie. La fraude aux commissions cachées continue de prospérer sans entrave. Utmost International et Friends Provident International dépensent des millions pour se défendre des procès menés par les avocats de Signature et Forsters, pour le compte de milliers de victimes. Les régulateurs restent silencieux.

Chaque jour, de nouvelles victimes sont touchées.  Combien de victimes devront encore être ruinées avant que quelque chose ne soit fait pour mettre un terme à ce crime financier offshore à grande échelle ? Leonteq a peut-être payé, mais les assureurs-vie eux-mêmes (y compris Utmost International, RL360 et SEB) doivent maintenant payer aussi.

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