Troisième partie de l’audience du 12 novembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris qui examine les conditions d’octroi à Jean-Marie Messier du parachute doré qu’il demandait sans l’avoir jamais eu après son éviction de Vivendi.
Après l’audition d’Edgar Bronfman, la présidente Mireille Filippini poursuit les débats avec Jean-Marie Messier sur les conditions et le contexte de son éviction par la conseil d’administration de Vivendi Universal, à l’été 2002 :
– Pourquoi étiez-vous un problème ?
– En période de crise on aime bien les symboles, et deuxièmement, je m’étais mis en avant. Certains diront de manière excessive, parfois grotesque, avec les Guignols de l’info et la campagne du Monde. Les journalistes adorent détruire ce qu’ils ont mis sur un piédestal la veille.
– Mais la façon dont vous gériez la société avec des achats à tout va ? Edgar Bronfman va dire que le début des ennuis est quand vous avez vendu ce bloc de 55 millions d’actions en janvier 2002.
– C’était une stratégie de convergence qui s’est déroulée en trois étapes. Ma première mission quand je suis arrivé à la Générale des eaux a été de lutter contre la corruption. Quand il y a des robinets ouverts et qu’on les arrête, on se fait beaucoup d’ennemis, et je m’en suis fait. La deuxième étape a été de séparer les métiers et de leur donner une autonomie, ce qui donne aujourd’hui Véolia plus Vinci plus Nexity plus Vivendi. En prenant du recul, est-ce que les soucis de Vivendi étaient uniques ? Début 2000 il y a eu un coup de tonnerre avec le rapprochement d’AOL et Time Warner qui est la première expression de la convergence contenus / contenant. De fin 2000 jusqu’à mon départ, quand on regarde la courbe de Vivendi par rapport au Nasdaq et aux titres comparables comme Alcatel ou l’évolution du cours d’AOL Time Warner, il est difficile de dire que les problèmes de Vivendi étaient isolés du reste du monde. Le cours de Vivendi est aujourd’hui légèrement inférieur au cours du jour où j’ai quitté la société mais il serait intéressant de la comparer aux autres.
– Comme on parle du préjudice aux actionnaires on a vu que Vivendi a été très bas mais Orange aussi, conforte la présidente.
– C’est une grande leçon d’humilité, approuve l’ex-PDG. On s’aperçoit que les grandes évolutions de marché par secteur pèsent plus sur le cours que les événements des sociétés.
– De quand vous datez le début des problèmes ?
– Il y a eu Enron, puis WorldCom et l’éclatement de la bulle internet. Si je reviens sur la crise de défiance, c’était lié à ma surexposition médiatique.
– Quand même, Goldman Sachs s’est retrouvé collé avec des actions achetées à 60 euros, rappelle la magistrate.
– C’était une prise ferme, les banques achètent à un prix et revendent sur le marché. La semaine avant, AOL a annoncé une forte dépréciation de ses actifs, les banques espèrent faire un profit en profitant d’un creux. Mais quand les banques ne trouvent pas preneur, le cours baisse, les marchés savent que l’opération a été un échec. Les banquiers disent qu’il vaut mieux se couper la main que perdre un bras, ils vendent à perte et accélèrent la chute.
– Guillaume Hannezo vous disait qu’il valait peut-être mieux vendre avant d’acheter, observe la présidente.
– La vie a cela de particulier que les choses ne se présentent pas dans l’ordre, admet l’ex-PDG. Il aurait mieux valu vendre Vivendi Environnement en 2001 que se le faire refuser en 2002. Guillaume Hannezo en avril 2002 estimait qu’il valait mieux ne pas faire de road show qui pourrait être perturbé par l’affaire Lescure.
– Edgar Bronfman aurait voulu son départ lors de la fusion mais plus tard, car il estimait que ce n’était pas le moment, commente la présidente d’après son étude du dossier.
– Le même Lescure m’appelle le matin où l’on devait se voir pour décaler notre rendez-vous à l’après-midi et il arrive avec pour seul élément de discussion la couverture du Monde du jour en me disant « tu vois, Le Monde c’est moi, maintenant on peut discuter ».
– On ne peut quand même pas dire que la société allait « mieux que bien », relance la présidente en allusion à ces mots célèbres de Jean-Marie Messier.
– Cette formule se rapportait exclusivement au résultat opérationnel, relativise l’ex-PDG. J’ai démissionné pour le bien du groupe mais la société n’était pas en difficulté de trésorerie, insiste-t-il. Le 1er juillet nous sommes confrontés au chantage des agences de notation qui nous disent, il faut un milliard d’euros de plus. Pourquoi ? On ne sait pas. Mais sinon on vous dégrade. Ce milliard n’a pas été utilisé par Vivendi, il n’était pas utile, mais les agences de notation disent « montrez-nous que vous pouvez l’avoir ». Fin décembre 2002, Vivendi a la capacité de racheter la participation de British Telecom dans SFR pour plusieurs milliards d’euros sans avoir utilisé ses lignes de crédits, c’est bien qu’il y avait de l’argent.