Avant que le scandale n’éclate, Gowex était une start-up internet espagnole dont le cours avait été multiplié par 7 en quatre ans, dopé par des prévisions alléchantes et des résultats spectaculaires. Sauf que ses comptes étaient aussi fantaisistes que ses prévisions. Quand on découvrit le pot-aux-roses, Gowex s’écroula. Mais ce fait divers de délinquance financière ordinaire recèle deux histoires : celle de la fraude et de ses procès en préparation, et celle de la valeur de l’information indépendante qui l’a mise à jour.
Comme dans l’affaire Altran, voire dans une certaine mesure l’affaire Vivendi, le patron de Gowex, Jenaro Garcia Martin, 46 ans, voulait croire et faire croire à sa vision grandiose de son entreprise, en dépit d’une réalité bien moins reluisante, espérant peut-être que la réalité rattrape sa fiction.
Gowex était une société spécialisée dans la gestion des réseaux et de leurs interconnexions, devenue leader de l’installation et de la gestion de réseaux Wifi en Espagne. Elle gérait aussi une plateforme de « roaming » (c’est-à-dire de relais entre réseaux mobiles) et un service de publicités géolocalisées sur mobiles. Créée en 1999 sous le nom de Iber Bang Exchange (IBER-X) et rebaptisée Gowex en 2007, la société était contrôlée à 70,3% par son fondateur et ses salariés. Avant cette expérience, le jeune PDG Jenaro Garcia avait débuté dans l’import-export et la finance, chez les courtiers Smith Barney et Prudential Securities, explique une analyse financière du cabinet InResearch recommandant l’achat du titre en octobre 2012.
Gowex s’est introduite en Bourse en 2010. D’abord sur le marché boursier alternatif espagnol, ou Mercado Alternativo Bursatil (MAB), équivalent du marché Alternext, où elle a récolté 6 millions d’euros auprès des investisseurs en leur vendant ses actions à 3,5 euros pièce. Dans la foulée, Gowex a aussi été cotée sur le marché Alternext en France le 15 juin 2010 (sous le code ALGOW), puis aux Etats-Unis (via des certificats d’actions ADR, American depositary receipts) sur le marché OTCQX, une espèce de sous-Nasdaq guère plus fréquentable que les deux précédents, aussi appelé « pink sheets » (les pages roses), lieu de nombreuses arnaques et manipulations boursières portant sur d’obscures sociétés parfois sans existence réelle, et surtout sans les mêmes contraintes et contrôles que les marchés réglementés.
Ses comptes étaient florissants. « En 2011, 70% du chiffre d’affaires (80% de la marge brute) provenaient de Gowex Wireless (contre 54% en 2010), avec 52 villes, 15 réseaux de transports et 95 opérateurs (contre 35, 1 et 65 respectivement l’année précédente) », s’enthousiasmait en 2012 une analyse financière de la banque ibérique Bankia (qui fit elle-même faillite la même année). Son chiffre d’affaires gonflait chaque année, pour dépasser 180 millions d’euros en 2013.
En septembre 2012, une analyse du courtier français Aurel BGC recommandait encore d’acheter le titre en mentionnant en annexe, comme la réglementation l’y oblige, le conflit d’intérêt que pouvait représenter les liens d’affaires d’Aurel BGC avec Gowex, car le courtier assurait la liquidité boursière des actions Gowex, moyennant rémunération, ce qui mérite bien quelques conseils enthousiastes pour refourguer plus facilement lesdites actions aux investisseurs.
Il faut dire que la société forçait l’admiration : En 2011, GOWEX a rejoint le « Wireless Broadband Alliance » et a reçu le prix de – La Meilleure Société Web. En février 2012, Jenaro Garcia PDG de GOWEX, a reçu le prix de – l’Entrepreneur de l’année – décerné par Ernst & Young dans la catégorie « Innovation ». En 2013, GOWEX a été récompensée en tant que Meilleure Nouvelle Société Cotée » lors de la première édition des « European Small & Mid-Cap Awards», déclarait-elle dans un communiqué renvoyant indifféremment vers Gowex, son agent de liquidité Aurel BGC ou son agence de communication Actifin, pour plus de précisions. La presse boursière ne tarissait pas non plus de conseils enthousiastes sur la valeur, comme le note notre confrère QueChoisir.org dans « L’étrange affaire Gowex ».
Après un record à 26€, les actions Gowex cotaient encore près de 20€ le 30 juin 2014, avec une capitalisation (valeur boursière totale de l’entreprise) de 1,43 milliard d’euros. Le lendemain, une officine new-yorkaise baptisée Gotham City Research publiait une étude financière de 93 pages expliquant que Gowex avait bien moins de hotspots wifi qu’elle en revendiquait, que 95% de son chiffre d’affaires étaient bidonnés, et que ses actions valaient en réalité zéro. A Paris, ce 1er juillet 2014, le cours chutait de moitié sur Alternext, à 10,71 euros, permettant aux plus réactifs de vendre 1,35 million d’actions aux moins informés, soit cent fois plus que les jours précédents. Le lendemain, mercredi 2 juillet, personne ne pouvait plus vendre, les actions valaient effectivement zéro. Les actionnaires minoritaires possédant 30% du capital avaient tout perdu.
Cinq jours plus tard, dimanche 6 juillet 2014, le « château en Espagne » s’effondrait définitivement. Gowex annonçait sa prochaine mise en faillite, et son PDG Jenaro Garcia démissionnait en avouant avoir falsifié ses comptes depuis au moins quatre ans.
Le décor étant planté, ce fait divers de la délinquance boursière ordinaire est un sujet d’observation passionnant sous l’angle de la déontologie financière, car il n’y a pas une, mais deux affaires Gowex.
Gowex : le recours en justice des victimes françaises !
Alors que la machine judiciaire s’est mise en route et que des procès sont en préparation, comment qualifier juridiquement les culpabilités et responsabilités de cette arnaque rocambolesque ? Deontofi.com explorera cet aspect avec les éclairages de Me Frédérik-Karel Canoy, infatigable avocat des épargnants qui a été le premier à réagir à cette affaire dès juillet 2014 en déposant une plainte auprès du procureur de la République en France, où Gowex est cotée, avec pour objectif de réunir les épargnants français victimes de Gowex, en quête de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice, qui pourraient se porter parties civiles si sa plainte déclenchait une procédure pénale.
Gowex : combien vaut une information financière indépendante et intransigeante ?
Jusqu’où aurait pu prospérer l’arnaque de Gowex si Gotham City Research n’avait pas mené son enquête indépendante pour mettre à jour ses fraudes ? Comment une escroquerie financière peut-elle atteindre les proportions d’une affaire Madoff, Enron ou Altran, si personne ne vérifie sérieusement les bobards de ses dirigeants si longtemps couverts par les autorités boursières ? A l’heure de l’info gratuite gavée à la désinformation des communiqués, quelle est la vraie valeur d’une information financière indépendante et intransigeante ? Deontofi.com tentera d’éclairer ses lecteurs sur les conditions de production et les enjeux de l’information financière indépendante à la lumière de l’affaire Gowex.
Dans cette série, lisez sur Deontofi.com :
- Gowex, les faux comptes font les belles arnaques
- Le crime du mensonge et son mobile financier
- Monsieur Loyaltouch fourguait sa camelote aux victimes d’Alternext
- à suivre… La vraie valeur d’une information financière indépendante de qualité
Pour en savoir plus :
L’étude de Gotham City Research révélant les mensonges et incohérences de Gowex après huit mois d’enquête :
Let’s Gowex: La Charada Pescanova (a Pescanovan Charade)
Les analyses d’Aurel BGC, le courtier français assurant la liquidité de Gowex :
L’analyse de Bankia, juillet 2012.
L’analyse d’InResearch, octobre 2012 :
Super histoire, bien racontée … qui fait froid dans le dos !
On attend la suite Gilles.
un régal cet article !!!!