
Chute des profits, amendes et provisions, perspectives négatives, risques de solvabilité, rien ne va plus sur le front financier. Le verdict des chiffres est tombé, sans appel. La crise qui secoue Leonteq n’est pas une simple rumeur de marché ; elle se lit désormais dans les résultats financiers, esquissant le tableau d’un véritable naufrage. La sanction de la FINMA, loin d’être un épiphénomène, a ouvert la boîte de Pandore, révélant la fragilité d’un modèle de croissance bâti sur des fondations bancales.
Tombée le 12 décembre 2024, la sentence FINMA impose à Leonteq une « restitution de bénéfices de 9,3 millions de CHF » pour des transactions jugées non conformes entre janvier 2018 et juin 2022. Une somme significative, mais surtout un coup de semonce retentissant, qui valide publiquement les craintes concernant les « graves manquements » de l’entreprise en matière de gestion des risques et de surveillance de sa chaîne de distribution.
L’impact de cette décision ne s’est pas fait attendre. Le 6 février 2025, avec l’annonce des résultats annuels 2024, Leonteq révèle des chiffres accablants :
- Bénéfice avant impôts : Chute de 57 %, s’établissant à seulement 7,9 millions de CHF en 2024 (contre 18,4 millions de CHF en 2023).
- Bénéfice net du groupe : Dégringolade de 72 %, atteignant 5,8 millions de CHF (contre 20,6 millions de CHF en 2023).
- Bénéfice par action (EPS) : Baisse de 71 %, à 0,33 CHF.
Ces chiffres décevants s’expliquent en partie par une augmentation de 49 % des provisions, qui ont atteint 11,0 millions de CHF, principalement en lien avec la « conclusion de questions réglementaires ». Le résultat net de trading a également souffert, diminuant de 41 % pour s’établir à 21,5 millions de CHF, une baisse attribuée à une « faible volatilité du marché ». Le total des produits d’exploitation a globalement diminué de 8 % pour s’établir à 238,5 millions de CHF. Lukas Ruflin, alors CEO sortant, a qualifié cette année financière de « sans aucun doute décevante ».
Indicateur | 2023 | 2024 | Variation |
Volume notionel trade | CHF 21,3 mrd | CHF 27,6 mrd | +30 % |
Revenus totaux IFRS | CHF 260,0 m | CHF 238,5 m | –8 % |
Net fee income (commissions perçues) | CHF 213,2 m | CHF 214,4 m | +1 % |
Net trading profit | CHF 36,6 m | CHF 21,5 m | –41 % |
Profit net | CHF 20,6 m | CHF 5,8 m | –72 % |
Bénéfice net par action | CHF 1,15 | CHF 0,33 | –71 % |
Actif net par action | CHF 44,4 | CHF 46,1 | +4 % |
ROE | 2 % | 1 % | –1 pp |
Provision suite à FINMA | CHF 11,0 millions | intégré | +49 % (2024 vs 2023) |
Malgré la détérioration des bénéfices, les capitaux propres de Leonteq sont restés intacts, atteignant 803,8 millions de CHF fin 2024, une légère augmentation de 3 % par rapport à 2023. Dans un premier temps, le Conseil d’Administration a proposé un dividende de seulement 0,25 CHF par action, en réduction drastique de 75% par rapport aux 1,00 CHF versés en 2023. Leonteq a aussi annoncé un plan de réduction des coûts de 10 millions de CHF.
Un élément structurel majeur a également été mis en avant : l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2025, d’un « nouveau régime réglementaire renforcé » pour Leonteq. Ce régime impose des exigences accrues en matière de capital et de grandes expositions, avec une mise en œuvre complète prévue d’ici mi-2026. Les coûts associés à cette transition réglementaire pour 2025 sont estimés à environ 10 millions de CHF. En conséquence, les prévisions financières précédentes de Leonteq jusqu’en 2026 ont été suspendues, l’entreprise prévoyant d’annoncer de nouveaux objectifs à moyen terme, une fois la transition réglementaire plus avancée.
Les analystes et les marchés n’ont pas tardé à exprimer leur déception. Le jour de l’annonce des résultats, l’action Leonteq perdait 11%. Les analystes ont « dramatiquement » revu à la baisse leurs prévisions de bénéfice par action (EPS) pour 2025, passant de 2,57 CHF à 1,56 CHF, et ont réduit leur objectif de cours de 19 %, à 17,00 CHF, en février 2025. L’agence de notation Fitch Ratings avait anticipé cette dégradation en révisant la perspective de Leonteq à « Négative » dès décembre 2024, citant une rentabilité affaiblie comme raison principale. Avec une note de solvabilité à long terme BBB, Leonteq était déjà considéré comme un emprunteur « high yield », c’est-à-dire avec une probabilité de défaut élevée, rendant ses emprunts inéligibles pour les investisseurs institutionnels prudents, comme les régimes de retraite (au moins l’agirc-arrco en France).
Profits en fumée après des gains pas si nets : -96% en deux ans !
Année | Revenus totaux (CHF millions) | Bénéfice net (CHF millions) | Marge nette (%) |
2014 | 201,16 | 62,57 | 31,1 |
2015 | 220,42 | 68,63 | 31,1 |
2016 | 211,10 | 17,19 | 8,2 |
2017 | 216,16 | 23,07 | 10,7 |
2018 | 284,25 | 91,49 | 32,2 |
2019 | 280,05 | 62,73 | 22,4 |
2020 | 255,46 | 39,88 | 15,6 |
2021 | 428,73 | 155,72 | 36,3 |
2022 | 466,74 | 156,44 | 33,5 |
2023 | 268,67 | 20,59 | 7,7 |
2024 | 238,50 | 5,84 | 2,4 |
La descente aux enfers de l’action Leonteq illustre ce revers sévère, après des espoirs illusoires.

Introduite en bourse en 2012 avec un premier cours coté de 21,88 CHF le 19/10/2012, l’action Leonteq s’était envolée jusqu’à plus de 200CHF aux sommets de l’été 2015 (221CHF le 11/9/2015). L’écroulement de son modèle d’affaire, après les scandales et sanctions, a entraîné une dégringolade de son cours de plus de 92%.
Le drame ne s’arrête pas là. L’Assemblée Générale du 27 mars 2025 a été le théâtre d’une « rébellion des actionnaires ». Menés par Raiffeisen (actionnaire à 29,71 %), les actionnaires ont rejeté la proposition de dividende du conseil (0,25 CHF) et ont approuvé une contre-proposition de 3,00 CHF par action. Ce vote de défiance, assorti d’un rejet de la rémunération des dirigeants, n’est pas qu’un revers pour le conseil ; c’est un signal fort envoyé par des actionnaires pressés de sortir l’argent restant en dividendes ou rachats d’actions. Si elle satisfait certains appétits à court terme, cette manœuvre interroge sur la stratégie à long terme de Leonteq, et sa capacité à investir dans la conformité et la croissance future. Leonteq, entre sanctions passées et menaces futures (BAFIN, PNF), navigue en eaux troubles, et la ligne de flottaison ne cesse de baisser.
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