
Entre l’étendue des pratiques irrégulières de Leonteq révélées dans la presse, et sa capacité à esquiver jusqu’ici toute indemnisation des épargnants français plumés par ses produits structurés foireux, on déplore que les victimes ne puissent s’appuyer sur les preuves accumulées par les régulateurs financiers.
« Face au refus de Leonteq de communiquer aux clients les relevés des opérations litigieuses, auxquels ces derniers n’ont jamais eu accès, nous avions dû saisir le juge de la mise en état d’un premier incident, qui a permis d’obtenir des dates et montants d’entrées et sorties dans les produits structurés incriminés, partiellement transmis par les assureurs des contrats d’assurance-vie au sein desquels étaient logés ces produits Leonteq, explique Maître Nicolas Lecoq-Vallon, avocat des épargnants dans l’affaire du bonneteau en assurance-vie BNP Paribas Cardif – BPCE/Natixis – AG2R. Mais face à la résistance de Leonteq, s’obstinant à faire la sourde oreille aux injonctions du juge de la mise en l’état, nous avons dû soulever un nouvel incident en octobre, qui a été plaidé lors d’une audience de procédure le 30 janvier 2025. On voit bien que Leonteq n’a pas une culture de coopération avec la justice. »
Vu l’étendue des bévues épinglés par la FINMA dans sa sanction de Leonteq, la connaissance détaillée des faits sur lesquels l’autorité Suisse a fondé sa décision serait d’un éclairage précieux pour les procès français. Ces pratiques sanctionnées par le superviseur suisse sont en effet au cœur de l’organisation de Leonteq ayant permis, voire favorisé, les ventes litigieuses de ses produits structurés en France, qu’il s’agisse des CLN-Rallye fourgués à Eramet et ID Formation, ou de leur diffusion par des assurances-vie en unités de compte trompeuses criblées d’irrégularités.
« La FINMA vient de confirmer ce que des lanceurs d’alerte ont affirmé dès 2021 : Leonteq a été impliqué dans des transactions illégales depuis 2018 au moins », renchérit l’un de ces lanceurs d’alerte, pour rappeler l’importance des révélations étayant cette sanction FINMA au contenu secret.
« Il serait crucial, pour comprendre l’étendue des manquements de Leonteq, d’avoir les détails de sa sanction par la FINMA », conclut Maître Lecoq-Vallon.
C’est vrai. On a été un peu sévère en ironisant à première lecture sur les insinuations guimauve présentant la sanction de la FINMA dans son communiqué de presse. La sanction, la vraie, doit être une mine d’information qu’on aimerait lire.
Certes, le communiqué de la FINMA est assez sibyllin, mais on ne peut reprocher à ses auteurs son manque de détail, sachant qu’ils ont dû résumer au mieux une liste de manquements s’étirant probablement sur des dizaines de pages, comme c’est souvent le cas pour les sanctions de son homologue français, l’Autorité des marchés financiers.
A ce titre, rappelons qu’Hedios nous a reproché dans un de ses procès d’avoir suivi la ligne du communiqué de presse de l’AMF, mettant l’accent sur les conditions de vente contestables de ses produits structurés Gamme H, alors qu’au terme de 31 pages d’arguties juridiques, la Commission des sanctions de l’AMF avait elle-même renoncé à sanctionner les pratiques dénoncées dans les grief du Collège de l’AMF, ce qui n’empêchait pas ces griefs d’exister.
La rédaction du CP FINMA LEONTEQ SANCTION n’a donc pas due être facile, et on lui pardonne son laconisme sur les détails de la sanction elle-même, méritant une lecture attentive.
Dès le 18 décembre (2024), j’interrogeais donc la FINMA par courriel :
J’écris un article supplémentaire sur les récents développements de LEONTEQ, à l’occasion de la conclusion par la FINMA de la « procédure à l’encontre de Leonteq », comme indiqué dans le communiqué de presse. https://www.finma.ch/en/news/2024/12/20241212-mm-leonteq
J’ai apprécié la version française du communiqué de presse, plus facile à citer sans biais de traduction. Mais je ne trouve aucun lien vers la décision de la FINMA, peut-être parce que je ne suis pas familier avec la structure et l’organisation de votre site web.
Où puis-je trouver la décision de la FINMA sur LEONTEQ ?
En résumé : « Vous avez publié un beau communiqué de presse, mais où peut-on trouver la sanction sous-jacente de la FINMA contre LEONTEQ ? »
Sa réponse ? « The underlying ruling is not public. There is only the press release. »
En français, “Circulez, y a rien à voir”, » La décision commentée n’est pas publique. Il n’y a que le communiqué de presse. «
Alors j’ai taquiné la FINMA, m’étonnant du « secret » entourant la sanction de Leonteq : « Est-ce spécifique à la FINMA de garder ses décisions privées, lorsqu’elle reconnaît publiquement les comportements frauduleux d’une institution comme LEONTEQ, sans détailler à quel point ils sont frauduleux ? »
Sans réponse après dix jours, je craignais que ma raclette n’ait pas plu. Mais le communiquant de la FINMA m’adressa ses vœux le 31 décembre avec ces précisions juridiques : « Vous mentionnez souvent le terme « frauduleux ». Il peut être utile de préciser que la fraude est un délit pénal prévu par le code pénal. La FINMA n’a toutefois pas de compétence pénale. C’est le domaine de la police et du ministère public ».
Belle esquive (qui m’a rappelé cet article https://deontofi.com/delit-dinitie-ou-manquement-dinitie-quelle-difference/)
En l’occurrence, on en déduit que la FINMA n’est pas là pour embêter Leonteq sur ses circuits de blanchiment contournant les réglementations pour verser des commissions dans les paradis fiscaux sur la vente de produits structurés ficelés à Dubai pour des clients français souscrivant en France par l’intermédiaire de courtiers français agissant en France, car ça, c’est un délit pénal qui ne regarde pas la FINMA.
La FINMA ne donne donc aucun détail des faits qu’elle sanctionne, heureusement finement décryptés à la lumière de ceux qu’on connaît, déjà étalés dans les médias depuis des mois.
Dommage. En attendant, heureusement que la FINMA est là pour « enforcer » son « enforcement », comme dit son communiqué.
Halte au grabuge : « La FINMA exige de LEONTEQ que les responsabilités au sein de la direction soient décrites et attribuées de manière exhaustive par écrit et qu’un reporting sur les questions de gouvernance ayant un impact sur la réputation soit mis en place ».
Mais attention, sans précipitation ni empressement. On a le temps à Berne, si on comprend bien l’injonction de la FINMA : « Lorsque LEONTEQ aura informé la FINMA qu’elle a mis en oeuvre toutes les mesures, la FINMA nommera une chargée d’audit qui contrôlera la mise en oeuvre correcte de ces mesures et qui rendra compte à la FINMA ». Ah bon ? Et ce sera quand ? « La décision n’est pas encore entrée en force », conclut le communiqué d’enforcement de la FINMA. On l’a bien compris, l’autorité suisse n’a pas l’air pressée.
On a quand même posé des questions sur ce calendrier de sanction, pour voir, par courriel le 6 mars 2025 : « Le dernier paragraphe de la FINMA LEONTEQ STATEMENT implique de nombreuses notions temporelles que j’aborderai dans mon article, je me demandais donc s’ils avaient une « précision suisse » de leur calendrier :
« Suite à la notification de LEONTEQ qu’elle a mis en œuvre toutes les mesures »
1- [y a-t-il une date limite pour cette « notification de LEONTEQ » et/ou « mise en œuvre de toutes les mesures » ?].
« La FINMA désignera un mandataire d’audit dans le cadre de sa surveillance continue qui contrôlera la bonne mise en œuvre de ces mesures et en rendra compte à la FINMA. »
2-[la FINMA a-t-elle fixé un délai pour ce » mandataire d’audit » et son » rapport à la FINMA » ?]
« Le groupe financier ne pourra pas accepter de nouveaux distributeurs classés à haut risque tant que le respect de la loi n’aura pas été pleinement rétabli. »
3-[LEONTEQ ayant déjà enfreint cette disposition, qui décidera que « la conformité à la loi a été pleinement rétablie » ? et quand ?]
« La FINMA a également ordonné la restitution de bénéfices d’un montant total de 9,3 millions de francs suisses. Ces bénéfices ont été générés en violation grave du droit réglementaire avec deux distributeurs non réglementés. La décision n’est pas encore juridiquement contraignante. »
4-[Quand la décision sera-t-elle juridiquement contraignante ? LEONTEQ bénéficie-t-il d’un délai entre la reconnaissance de ses transactions « avec des distributeurs douteux et non régulés dans certains cas » vendant « des produits d’investissement structurés dans des pays pour lesquels ils n’étaient pas contractuellement autorisés et pour lesquels ils n’avaient pas de licence » avant que cette sanction ne devienne « juridiquement contraignante » ?]
Réponse de la FINMA (14/3/2025) : « D’une manière générale, nous pouvons dire qu’il existe habituellement un délai de trente jours pour faire appel devant un tribunal administratif d’une décision émise par une agence gouvernementale ».
Ah, bel embarras ! La FINMA ne peut même pas dire si sa sanction est effective ni quand elle le sera ! Mais attendez, sérieux ? Et si cette sanction FINMA LEONTEQ n’était finalement qu’une opération de déminage de l’autorité suisse, pour ne pas paraître trop bête quand le château de carte s’écroulera… mais sans portée concrète ?
On leur demande : « La FINMA est-elle autorisée à divulguer si la décision de LEONTEQ publiée le 12 décembre 2024 a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif dans le délai légal de 30 jours ?
LEONTEQ doit-il informer la FINMA d’un tel recours ou seulement le tribunal administratif ?
LE RECOURS EST-IL SUSPENSIF POUR LA « restitution de bénéfices d’un montant total de 9,3 millions de francs suisses » ? Ou LEONTEQ doit-il le payer de toute façon nonobstant toute procédure d’appel ? »
Et ce n’est pas faute de bonne volonté, si la FINMA ne peut rien nous dire. Car le superviseur suisse se plaint lui-même à demi-mot d’être muselé et entravé dans ses missions, comme on le découvre dans son dernier rapport annuel, signalé par notre confère Gotham City.
Ainsi, pour « créer les conditions cadres propices à une surveillance viable » en Suisse, « il est prioritaire de créer une base légale permettant d’intervenir efficacement à un stade précoce dans la surveillance. La FINMA doit disposer de toutes les mesures courantes à l’international et pouvoir les mettre en œuvre immédiatement, sans qu’elles puissent être différées par des recours », lit-on p.81 du rapport. https://mcusercontent.com/a5e49e88ce8cd6ddb9b7c691c/files/955bb95f-b63c-c0b2-e40b-1d1650355582/20250408_FINMA_JB24.pdf
En clair, la FINMA n’a pas le pouvoir, dans son pays, de « mettre en œuvre immédiatement » des mesures « courantes » dans d’autres pays, qui lui auraient permis d’intervenir plus tôt, dans une affaire comme celle de Leonteq.
Parmi ces entraves à une « surveillance viable », la FINMA éclaire par ailleurs nos doutes quant au rapport attendu du fameux « mandataire d’audit », désigné pour lui rendre compte de la mise en conformité de LEONTEQ.
« Aujourd’hui, le respect des exigences relevant du droit de la surveillance est examiné par des sociétés d’audit qui sont mandatées et rémunérées par les assujettis eux-mêmes, dénonce la FINMA. Les conflits d’intérêts inhérents à ce système inhabituel sur le plan international sont évidents et doivent être réduits le plus possible par un mandat que la FINMA attribue directement aux sociétés d’audit ».
En clair, la FINMA estime que déléguer le contrôle de ses sanctions à des cabinets d’audits payés par les coupables, est une exception helvétique favorisant les conflits d’intérêt et la collusion entre auditeurs et audités. CQFD : ERNST & YOUNG et les audits serviables (déjà vu…).
La boucle du blanchiment de blanchiment semble parfaitement bouclée.
Enfin, rejoignant notre complainte compatissante, la FINMA se plaint elle-même qu’on l’empêche de communiquer. Ses « amendes et astreintes » (…) « sont une composante importante de la surveillance préventive » (note le rapport p.81, mais insuffisante si sa communication est muselée : « À l’avenir, la FINMA devra en outre être autorisée à communiquer plus proactivement et plus directement sur ses activités » ! Sans détour ?
Quant à LEONTEQ, à qui nous avons aussi adressé ces mêmes questions par courriel du 14 mars, le champion des structurés tout schuss n’a jusqu’ici jamais répondu à aucune de nos questions, ni à aucune de nos correspondances.
On est habitué, car avec LEONTEQ vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.