Foot et trading n’ont jamais fait bon ménage ! Depuis décembre 2016, le racolage pour le trading via le sponsoring sportif est interdit en France, au même titre que la publicité pour le trading par voie électronique. Mais les traders, amateurs ou professionnels, n’en restent pas moins exposés à leur propre perte.

En Bourse, votre pire ennemi c’est vous”, écrivait Benjamin Graham, le père de l’analyse financière, en garde les investisseurs contre les risques de pertes liées à leurs réactions psychologiques, dans son ouvrage culte “Intelligent investor”, dès 1938.

Soixante-dix ans plus tard, deux études scientifiques ont apporté un éclairage nouveau sur la façon dont la perception du risque influence notre cerveau.

  • L’appât du gain favorise un attrait croissant pour le risque

 Daniel Kahneman, professeur à l’université de Princeton qui a obtenu le prix Nobel d’économie en 2002, avait déjà démontré que les individus ne réagissaient pas de façon rationnelle face à l’incertitude. Confrontés à des pertes, beaucoup d’investisseurs et de traders professionnels sont ainsi tentés de prendre encore plus de risques pour se “refaire”. Une stratégie souvent suicidaire et en tous cas contraire au bon sens qui voudrait plutôt que l’on recherche plus de sécurité pour arrêter les pertes.

Pour comprendre ce phénomène, deux chercheurs du Massachusetts institute of technology (MIT), Andrew Lo et Dmitry Repin, ont étudié les réactions émotionnelles des traders face au stress boursier en mesurant leurs pulsations cardiaques, leur respiration et leur température. Selon leurs observations, les traders qui se laissent dominer par leurs émotions réalisent de mauvaises performances. Mais ceux qui ne s’appuient que sur la logique ont aussi de piètres résultats.

Ceux qui obtiennent les meilleurs gains sont ceux qui ont une réponse émotionnelle contrôlée, c’est-à-dire ceux qui savent utiliser leurs émotions sans se laisser emporter par leurs sentiments. Selon Andrew Lo, cette capacité à canaliser ses émotions pour se surpasser sans se laisser emporter est une des techniques utilisées par les athlètes professionnels qui préparent une compétition.

Pour aller encore plus loin dans cette exploration des réactions physiques face au stress boursier, Brian Knutson, professeur de psychologie et de neuroscience à l’université de Stanford, a eu l’idée d’observer les réactions cérébrales de traders professionnels quand ils réalisaient des transactions. Les volontaires étaient examinés avec un système d’imagerie à résonance magnétique (IRM) permettant de repérer les zones de leur cerveau sollicitées par les transactions boursières.

Le résultat est sidérant : plus les traders sont habitués à réaliser des gains en faisant des transactions, ce qui est le cas de ceux qui sont embauchés, plus leur cerveau s’accoutume à des prises de risque de plus en plus élevés.

À la fin, la prise de risque a le même effet chimique sur le fonctionnement du cerveau qu’une vraie drogue. “Plus vous pensez que vous pouvez gagner en prenant des risques, plus vous prenez de risque, et plus cela active les circuits cérébraux”, détaille Brian Knutson.

  • La meilleure réaction est parfois de ne rien faire

 Face à un événement les gens veulent parfois agir à tout prix pour éviter une issue défavorable. C’est le cas des gardiens de but qui sautent dans une direction au hasard dans l’espoir d’arrêter un tir de penalty. Et s’il était plus judicieux de ne rien faire? C’est la question que s’est posé Ofer Azar, professeur d’économie à l’université du Negev en Israël, et ses collègues dans une étude publiée par le Journal of Economic Psychology intitulée “Le biais de l’action chez les joueurs de foot gardiens de but professionnels” (méthodologie ci-dessous).

Sa conclusion est que les gardiens de buts professionnels préfèrent agir, sauter d’un côté ou de l’autre, dans 93,7% des cas, plutôt que de rester à leur place (6,3% des cas) pour tenter d’arrêter un penalty. Selon ses calculs, c’est une mauvaise stratégie. Mais deux tiers des gardiens avouent qu’ils auraient des regrets si le but était marqué sans qu’ils aient bougé.

Il y aurait là un “biais d’action”, en l’occurrence une pression du public ou de leurs collègues, qui les pousse à agir même si la meilleure réaction serait en fait de ne rien faire. Cette conclusion n’est pas valable dans tous les domaines car, pour Marcel Zeelenberg, chercheur en psychologie à l’université d’Amsterdam, la préférence pour l’action ou l’inaction dépend des résultats obtenus dans le passé. L’étude du “biais d’action” est néanmoins utile en finance.

Ainsi, Daniel Kahneman, cité plus haut, a observé avec son collègue Amos Tresky, que les investisseurs avaient plus de regrets quand ils réalisaient une perte après avoir réalisé un arbitrage dans leur portefeuille que lorsqu’ils subissaient la même perte sans avoir rien changé. Ce biais d’inaction, induit par le regret d’une perte liée au fait d’agir, est peut-être lié au fait que les investisseurs attendent souvent de prendre la mesure d’un événement, ce qui les pousse à agir trop tard.

A retenir

☛ Références des études citées

L’étude publiée par Andrew Lo et Dmitry Repin, intitulée “Fear and Greed in Financial Markets: A Clinical Study of Day-Traders” (Peur et avidité sur les marchés financiers, une étude clinique des boursicoteurs), est accessible sur le site web du MIT :

http://www.nber.org/papers/w11243.pdf
http://alo.mit.edu/wp-content/uploads/2015/06/FearGreedFinMarketsClinicalStudy2005.pdf

Les études publiées par Brian Knutson, “Neuroeconomics: Decision Making and the Brain” (Neuroéconomie : le cerveau et la prise de décision) et “The Neural Basis of Financial Risk Taking” (La base neurologique de la prise de risques financier) sont accessibles à partir de son site  !!! https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=795606

☛ Les tirs de penalty au football

L’étude publiée par Ofer Azar (accessible depuis son site www.oferazar.com) revêt un intérêt particulier en matière d’expérimentation des théories sur la prise de décision. La plupart des études sont faites sur la base d’expériences factices, ou avec un enjeu financier faible. L’intérêt de l’étude d’Ofer Azar est qu’elle porte sur des joueurs professionnels confrontés à une prise de décision pour laquelle l’enjeu financier est réel et important si le but est marqué ou non.

☛ Décision instantanée

L’autre intérêt à observer la réaction des gardiens de buts à des tirs de penalty est que le contexte de leur prise de décision ne leur permet ni anticipation ni réflexion analytique  : le buteur est placé à 12 mètres et la vitesse du ballon peut atteindre 100 à 130 km/h, ce qui laisse au gardien de but un délai de réaction de 0,2 à 0,3 secondes.

☛ Echantillon et observations

Pour avoir un échantillon assez large et homogène de “prises de décision” par les gardiens de but, Ofer Azar a étudié avec ses collègues 311 tirs de penalty enregistrés dans les plus grands championnats. Après avoir analysé ces tirs ils ont calculé qu’il y avait plus de probabilité d’arrêter un penalty en restant au centre (33,3%) qu’en sautant vers la gauche (14,2%) ou la droite (12,6%).

☛ Biais d’action sans regrets

Alors que la meilleure stratégie pour stopper un penalty est de rester au centre, Ofer Azar a demandé à 32 gardiens de buts de noter combien ils se sentaient mal sur une échelle de 1 à 10 après avoir laissé entrer un penalty. La moitié répondait 10. Sur les 15 restant, 11 avaient plus de remords d’avoir encaissé le but en restant au centre (inaction) qu’en sautant d’un côté ou l’autre (biais d’action).

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